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étoient empreintes d'orgueil et d'obstination, que leur piété n'étoit pas exempte d'enthousiasme, il auroit prémuni ses lecteurs contre cet excès de vénération pour eux, qui dégénéra insensiblement en culte religieux. Son Histoire, en cachant ou palliant tout ce qui tient aux foiblesses humaines, fut un des moyens les plus efficaces de consacrer la mémoire, les reliques et les écrits des Saints du parti dominant ; et une grande partie des erreurs et des corruptions des âges suivants peut être justement attribuée à cette criminelle dissimulation de l'Histoire Ecclésiastique.

« Les fables, dit l'abbé Fleury, se découvrent tôt ou » tard; et, alors, elles donnent occasion de se défier » de tout, et de combattre les vérités les mieux établies.>> Premier discours sur l'Hist. Eccl., p. 16.

L'abbé Fleury est cependant l'homme qui a le plus altéré l'Histoire dans le sens indiqué par Eusebe. Il supprime d'une relation antique tous les miracles ridicules qui l'auroient rendue suspecte, du langage d'un Saint toute amertume, de sa conduite toute violence. La comparaison, année par année, de son histoire à celle de Raynaldus, qui lui a servi de base, est un constant commentaire sur ce chapitre.

CHAPITRE V.

SOPHISMES DES TERMES AMBIGUS [ad judicium].

1.° Pétition de principe cachée dans un seul

A

mot.

La pétition de principe ou le cercle vicieux est un des sophismes les plus connus, même de ceux qui n'ont pas fait une étude particuHère de la logique. Une question étant donnée, on prétend la résoudre en affirmant la chose même qui est en question, le quod erat demonstrandum. Pourquoi l'opium fait-il dormir? C'est qu'il a une vertu soporifique. C'est un de ceux qu'Aristote avoit signalés. Mais Aristote

n'a

pas décrit et n'a pas même indiqué un moder particulier de l'employer, par le moyen d'un seul mot. Cependant le sophisme ainsi couvert et caché, n'en est que plus efficace. Cherchons à le démêler.

Dans la nomenclature des Êtres moraux, il est des dénominations qui présentent l'objet pur et simple, sans y ajouter aucun sentiment d'approbation ou de désapprobation. Par exemple: désir, disposition, habitude, caractère, motif. J'appelle ces termes, neutres.

Il en est d'autres qui à l'idée principale joignent une idée habituelle d'approbation. Honneur, piété, générosité, gratitude; j'appelle ces termes, eulogistiques.

D'autres joignent à l'idée principale une idée habituelle de désapprobation. Libertinage, avarice, luxe, cupidité, prodigalité; je les appelle, dislogistiques (1).

Si l'on formoit un catalogue des plaisirs, désirs, émotions, affections, penchants, etc., on en trouveroit quelques-uns qui sont pourvus de ces trois espèces de dénominations, mais en très-petit nombre. Pour les uns, vous n'avez que des termes eulogistiques; pour d'autres, et c'est le grand nombre, vous n'en avez que de dislogistiques. Par dénominations, j'entends celles qui ne consistent que dans un seul mot; car, avec des phrases composées, on peut exprimer tout ce qu'on veut.

Beaucoup de termes, neutres dans l'origine, ont pris par degrés une teinte de blâme ou de louange, à mesure que les sentiments moraux

(1) Eulogistiques, dislogistiques sont donc synonymes d'approbatifs et désapprobatifs. Les deux mots, empruntés du Grec, mais faciles à entendre, m'ont paru plus significatifs que les deux termes vulgaires.

se sont développés par le progrès de la civilisation. Tyran a été un terme neutre. Pirate est employé par les anciens Grecs comme terme neutre, et quelquefois comme un terme bonorable, jusqu'à ce qu'enfin il n'a plus exprimé qu'un délit. Vitium, disent quelques étymologistes, n'exprimoit qu'une maladie dans la plante qui porte le vin. Virtus ne signifioit que force. Latro, Hostis, et beaucoup d'autres, avoient insensiblement changé de signification. Ces variations dans toutes les langues fournissent un fonds de recherches curieuses et intéressantes.

Venons maintenant à notre objet, le șophisme qui se cache sous ces mots. - Ces termes moraux qui ont pris ce caractère eulogistique ou dislogistique, ne sont point des termes simples. Ils renferment une proposition, un jugement. Le mot seul et par lui-même affirme que l'objet auquel on l'applique est un objet d'approbation ou de désapprobation.

Une dénomination partiale ajoute donc à la proposition primitive une proposition secondaire, et cette addition se fait d'une manière imperceptible, ou du moins cachée (1).

(1) En termes de logique, la proposition primitive est le sujet : la seconde est le prédicat. Ce prédicat est

En parlant de la conduite, ou des penchants ou des motifs de tel individu -vous est-il indifférent, vous employez le terme neutre. Voulez-vous lui concilier la faveur de ceux qui Vous écoutent Vous avez recours au terme eulogistique. Voulez-vous le rendre méprisable ou odieux, vous usez du terme dislogistique (1).

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Pour employer ce genre de sophisme, il n'est pas besoin de l'avoir étudié. On y tombe tout naturellement; on en fait usage sans s'en apercevoir. Molière dit qu'un Gentilhomme sait tout sans avoir rien appris. Tout homme est Gentilhomme par rapport à ce sophisme. La difficulté est de le désapprendre. Dans d'autres cas, onenseigne; dans celui-ci, il faut désenseigner.

Dans tous les cas où il s'agit de savoir si la chose mérite blâme ou louange, celui qui ne veut employer qu'un terme partial cherche à

un jugement d'approbation ou de désapprobation sur l'acte ou le motif, ou l'intention dont il s'agit.

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(1) Culte dogme sont des termes neutres; religion, piété, dévotion, sont pris dans un sens d'éloge; - superstition, crédulité, fanatisme, sont pris dans un sens de blâme. Rien de plus commun que l'application de ces divers noms aux mêmes choses, selon les vues de ceux qui parlent. Ce qui est religion aux yeux de l'un, est superstition aux yeux de l'autre.

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