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cela arrive toujours, se déclaraient déjà contre la royauté qu'ils voyaient faible, en faveur de la révolution qu'ils sentaient victorieuse. En effet, de la cohue tumultueuse qui s'ouvre à peine sur les instances de Roederer pour donner passage au Roi et à sa famille, on n'entend sortir que des injures et des menaces. Quelques membres de l'Assemblée qui viennent au-devant du monarque ne peuvent fendre les flots épais de la foule; sur la terrasse des Feuillants les cris redoublent avec fureur: A bas le tyran! la mort! la mort! N'ayez pas peur, dit au petit Prince le grenadier qui le porte, ils ne vous feront pas de mal. — A moi, non, dit le Dauphin, mais à mon père!» Et ses larmes filiales coulaient. Tant que les jours de son père n'avaient point été menacés, il y avait eu comme une auréole de joie à l'entour du front insouciant de cet enfant. Maintenant il tremble et il a peur. Le malheureux père, lui-même, se sent un instant les yeux humides. Qu'ai-je donc fait à mon peuple? » dit le Christ de la royauté en s'acheminant vers Ponce Pilate. Il faut une demi-heure pour traverser, sous une pluie d'invectives et d'outrages, cette courte distance qui sépare le palais de l'asile où l'on entraîne la famille royale. Dans le plan que nous donnons au revers de cette page, le lecteur pourra suivre la marche du triste cortége depuis le château jusqu'au Manége, où siégeait l'Assemblée nationale, et se rendre compte de la physionomie de ces lieux où s'élevaient alors le couvent des Feuillants et le local des séances dont il ne reste plus nulle trace, le quartier Rivoli ayant tout effacé. Jamais roi de France, jamais roi d'aucun peuple, jamais homme, depuis les stations de l'homme-Dieu sur la route du Calvaire, n'avait fait un voyage si douloureux.

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Aux portes du manége les cris redoublent : le procureur général harangue la populace et la calme; mais dans le couloir étroit et obstrué par la cohue un mouvement irrésistible sépare un instant les membres de la famille royale. La mère tremble pour son fils; mais le grenadier qui s'était

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A Cour des Princes.
B Cour des Tuileries.
C Place du Carrousel.

D Hôtel d'Elbeuf.

E Hôtel de Longueville.
F Cour des Suisses.

G Cour des Écuries.

H Terrasse des Feuillants. I Manége (salle des séances de l'Assemblée nationale).

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emparé de l'enfant l'élève dans ses bras au-dessus de la foule; puis, se faisant jour avec ses coudes, il pénètre dans la salle derrière le Roi, et dépose sur le bureau de l'Assemblée son précieux fardeau, aux applaudissements des tribunes; le Roi prend place à côté du président, et la Reine et sa suite sur les siéges des ministres. A peine le Dauphin est-il laissé à lui-même qu'il s'empresse de retourner auprès de sa mère; une voix s'écrie aussitôt : « Qu'on le porte au Roi, à côté du président; il appartient à la nation; l'Autrichienne est indigne de la confiance du peuple. » Un huissier vient prendre l'enfant; mais celui-ci, les bras tendus vers sa mère, l'effroi peint sur le visage, laisse échapper quelques larmes, et ces larmes arrachent aux tribunes un mot d'intérêt qui arrête l'huissier dans son entreprise. Au même moment, quelques gentilshommes entrant l'épée à la main jusque dans la salle du Corps législatif : « Vous compromettez la sûreté du Roi!» s'écrient quelques députés effarés; et les hommes armés se retirent. Le calme se rétablit, et le Roi prend la parole :

« Je suis venu ici pour épargner un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'au milieu des représentants de la nation. » — « — « Sire, répond Vergniaud, vous pouvez compter sur la fermeté de l'Assemblée nationale. Elle connaît ses devoirs; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées. »

Le Roi s'assied; l'Assemblée est morne, la haine s'amortit devant le spectacle de tant de douleurs. Les regards se portent avec une stupeur mêlée de quelque respect, mais sans attendrissement, sur tant de grandeur humiliée.

La discussion commence, mais l'observation étant faite par quelques membres que la constitution interdit au Corps législatif de délibérer en présence du Roi, l'Assemblée, sous ce prétexte ironique, décide que le Roi et sa famille se rendront dans la loge où se réunissaient les collaborateurs du

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journal intitulé le Logographe. Placée de niveau avec les derniers rangs de l'Assemblée, derrière les siéges du président et des secrétaires, cette tribune est si étroite qu'à peine elle peut contenir les journalistes, et si basse qu'on ne peut y demeurer debout'. On y conduit la famille royale. Louis XVI s'assied sur le devant de la loge, Marie-Antoinette dans un coin où sa noble tête cherche un peu d'ombre contre tant d'opprobre; les enfants et leur gouvernante se placent avec Madame Élisabeth et la princesse de Lamballe sur une banquette, derrière laquelle se tiennent debout quelques gentilshommes, généreux courtisans du malheur, qui espéraient combattre aux Tuileries, et qui veulent du moins ne pas fuir la mort si la bataille leur échappe.

Cependant la bataille et la mort attendaient aussi leurs compagnons restés au château; mais la bataille n'offrait là que la défense d'un palais vide et le dévouement qu'une mort inutile2. Ceux-ci avaient espéré plus, désiré plus; ils avaient suivi le Roi pour lui faire un dernier rempart de leur corps et tomber frappés à ses pieds. Ils n'eurent pas cette consolation, et moins heureux que les gardes nationaux, que les Suisses, que les gentilshommes égorgés aux Tuileries, ils furent condamnés à assister à la dégradation du Prince pour lequel ils auraient voulu mourir.

Il n'entre pas dans notre sujet de raconter les égorgements partiels qui eurent lieu dans la cour du Manége; le massacre général qui ensanglanta les Tuileries et les environs du château; le tumulte, le pillage, les assassinats, les auto-da-fé qui marquèrent cette fatale journée et la nuit hor

1 C'est par erreur que M. Eckard a dit qu'elle avait dix pieds d'élévation. (Mémoires historiques, 2e édit., p. 74.)

2 Il y eut dans cette journée des traits d'héroïsme antique, accomplis simplement et la plupart restés ignorés. M. Pallas, huissier de la chambre des rois Louis XV et Louis XVI, ne voulut pas survivre à la ruine de la monarchie. Après le départ de la famille royale, il demeura à son poste, se couvrit la tête de son chapeau, remit son épée dans le fourreau, s'assit sur le strapontin placé près de lui; et là, les bras croisés, il attendit avec tranquillité la mort qui vint bientôt le frapper.

rible qui la suivit. Au premier coup de canon le Roi s'était écrié : « J'ai donné des ordres pour qu'on ne tirât pas. » Un second ordre fut expédié; le Roi enjoignait aux Suisses d'évacuer le château, et à leurs chefs de se rendre auprès de lui; un courrier alla en toute hâte au-devant d'une division qui venait de Courbevoie, et lui porta l'ordre de rétrograder. C'était trop tard ou trop tôt trop tard, car le sang avait coulé; trop tôt, car c'était donner gain de cause à l'insurrecțion; déjà refoulée et coupée sur plus d'un point, elle abandonnait le champ de bataille du Carrousel aux défenseurs du trône, qui, bien que peu nombreux, ils ne comptaient, en effet, que 200 volontaires, 250 gardes nationaux, et 900 Suisses, — avaient fait cependant reculer l'immense cohue des assaillants, quand cet ordre fatal arriva. · Le meurtre régnait tout à l'entour de la salle législative, où, malgré le tumulte de l'Assemblée, des conversations des députés et des motions des orateurs, arrivaient les vociférations des sicaires, les cris des victimes, et jusqu'au retentissement des coups qui donnaient la mort. Des femmes ont été vues prenant part au carnage, et, parmi elles et avant toutes, figurait Reine Audu, cette Reine des Halles, déjà illustrée par la journée du 6 octobre.

La salle et les tribunes s'étaient encombrées de monde de minute en minute; l'agitation était extrême, la chaleur excessive, et la loge où était parquée la royale famille, et dont les murailles blanches reflétaient les rayons ardents du soleil, n'était plus qu'une fournaise où s'engouffraient toutes les vapeurs brulantes et tous les bruits du carnage. La sueur ruisselait de tous les fronts; l'émotion soulevait toutes les poitrines. Le Dauphin, qui, pendant la première heure, n'avait cessé de questionner son père, s'enquérant du nom de chaque député qui passait ou qui prenait la parole, n'avait plus de voix maintenant; haletant et presque étouffé, il cherchait la vie et le calme dans les yeux de sa mère, et ne les y trouvait pas. L'affreux spectacle qui se déroulait devant

TOME I.

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