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Rapport au Ministre de l'Intérieur, sur la question des assurances.

Bruxelles, le 9 novembre 1849.

MONSIEUR LE MINISTRE,

Par dépêche du 5 octobre 1846, M. votre prédécesseur a demandé l'avis de la Commission centrale de statistique sur un vœu émis par le conseil provincial du Luxembourg, tendant à rendre obligatoires les assurances contre l'incendie, et à în attribuer le monopole à l'État.

Une commission spéciale ayant été créée au Ministère des finances, à l'effet de préparer un projet de loi sur les assurances par l'État, la Commission centrale a, le 30 décembre 1846, pris la résolution de demander si, par suite de la création de cette commission spéciale, elle devait se considérer comme dessaisie de la même question, et, le 28 janvier 1847, M. votre prédécesseur a répondu que son collègue des Finances désirait au contraire associer la Commission centrale au travail qu'il a entrepris pour la rédaction d'un projet de loi sur les assurances. Par une autre dépêche du 21 décembre 1847, vous avez, Monsieur le Ministre, fait connaître que votre collègue attachait beaucoup de prix à notre concours, et que, sans avoir aucune question spéciale à soumettre aux études de la Commission centrale, il recevrait avec intérêt et reconnaissance les avis et les renseignements qu'elle voudrait bien lui communiquer.

Précédemment, le 23 juin 1847, M. votre prédécesseur nous avait envoyé un extrait du procèsverbal d'une séance du conseil supérieur d'agriculture, relatif à l'institution, dans chaque province, d'une caisse d'assurance agricole contre les risques de grêle, ainsi qu'à l'établissement d'un système d'assurances générales obligatoires contre l'incendie; à cet envoi était joint un exemplaire imprimé de l'arrêté du conseil provincial de la Flandre occidentale, du 18 juillet 1846, portant institution d'une caisse d'assurance agricole contre les risques de grêle, etc., dans la province.

Dans notre séance du 21 janvier 1848, nous avons également reçu communication d'une lettre de la chambre de commerce d'Anvers, qui émet un avis contraire au projet tendant à rendre l'État assureur, et annonce l'envoi d'un mémoire sur cette question. Il est probable que le mémoire annoncé par la chambre de commerce d'Anvers n'aura pas été présenté au Gouvernement, la Commission centrale n'en ayant pas eu connaissance jusqu'à présent.

Mentionnons encore un projet de tarif d'assurances contre l'incendie, que M. voire prédécesseur nous a communiqué le 9 décembre 1846, et qui lui avait été soumis par un agent d'affaires. Enfin nous avons reçu successivement, de la part du Département des finances, des exemplaires : 1° Du premier volume et de la première partie du second volume de documents imprimés sur les assurances;

2o Du recueil autographié des quatorze procès-verbaux des séances de la commission spéciale des assurances, accompagnés de l'avant projet de loi qu'elle a formulé sur cette matière.

Tel est, Monsieur le Ministre, l'état dans lequel la Commission centrale a abordé l'étude de la question soumise à son examen.

D'après les communications ci-dessus rappelées, son attention devait se porter sur trois points principaux, savoir :

Les assurances contre l'incendie;

Les assurances contre la grêle;

Les assurances contre la mortalité des bestiaux.

Les deux derniers points ont d'abord été écartés par les raisons que nous allons avoir l'honneur de vous faire connaître.

En ce qui concerne les risques de grêle, l'essai tenté dans la Flandre occidentale n'a pas été heureux, et, dans sa séance du 12 juillet 1849, le conseil provincial, à l'unanimité des voix, un membre s'étant obstenu, a voté la suppression de la caisse, à partir de 1850.

On a particulièrement objecté que « le cultivateur envisage la mesure comme vexatoire, et la » faible prime qui lui incombe comme un nouvel impôt qu'on lui impose; qu'il s'agit ici surtout » du principe; qu'il n'appartient pas à une administration quelconque, pas même à l'État, de se >> substituer aux entreprises particulières et d'établir des espèces de contributions qui sont avanta» geuses aux uns et défavorables aux autres; que c'est aux compagnies que les intéressés doivent » avoir la faculté de recourir; que cela doit être de leur part un acte spontané et libre. »

Pour nous, Monsieur le Ministre, les documents que nous avons eus à notre disposition, ne nous ont pas paru suffisants pour établir, sur ce point, des données certaines; ces documents sont, outre les tableaux de la production agricole, constatée par le recensement général de 1846, le relevé des pertes causées par la grêle pendant les trois années de 1844 à 1846 inclusivement, avec indication du montant des secours alloués sur les fonds de non-valeur. Cette question, pour être résolue convenablement, exigerait un travail général constatant avec plus d'exactitude qu'on n'a encore pu le faire, tous les dommages causés par la grêle pendant une série d'années, avec la distinction. des différentes contrées du pays. La marche de la grêle variant considérablement d'une région à l'autre, il serait juste d'établir un tarif différent pour chacune d'elles, ce qu'il n'est pas possible de faire avec les seuls éléments actuellement existants.

Il en est de même de la mortalité des bestiaux. Les documents se bornent à présenter la situation du bétail sur pied d'après le recensement général, et les indemnités allouées sur le fonds de l'agriculture, du chef de perte de bétail abattu pour cause de maladie contagieuse. La mortalité, comparée d'une province à l'autre, présente d'énormes inégalités; mais enfin, l'évaluation de la mortalité générale fait complétement défaut, et c'est à regret que la Commission centrale se voit dans l'impossibilité d'émettre une opinion formelle sur cette partie du problème.

La même incertitude s'est rencontrée en France, lorsque, sur la proposition de l'un de ses membres, l'Assemblée nationale a eu à s'occuper d'un projet d'organisation d'assurances agricoles par l'État. Dans le rapport fait en séance le 26 avril 1849, on lit que les dommages de toute nature résultant de la grêle, de la gelée, de la sécheresse et des inondations, ainsi que de la mortalité des animaux domestiques, s'élèveraient, suivant les uns à 66 millions et demi, suivant les autres à 120 millions. Le rapport fait, à la vérité, ressortir une considération, qui rend moins importante qu'on ne pourrait le supposer, la détermination rigoureuse de la valeur moyenne et annuelle des sinistres agricoles : c'est l'excessive inégalité des pertes, si on les compare d'une année à l'autre.

Il est d'ailleurs un fait qui frappe l'esprit à l'égard de l'assurance contre la grêle : c'est que, malgré la bonté de l'organisation et la prudence des compagnies, il n'en est pas une qui, ayant entrepris ces assurances, n'ait fini par se ruiner et disparaître. Cela tient, ainsi que nous l'avons TOME IV. 31

déjà fait observer, à ce que les lois qui régissent les phénomènes atmosphériques ne sont rien moins que déterminées. En Belgique, les ravages causés par la grêle se répartissent d'une manière très-inégale, d'où il suit que les cantons les moins exposés refusent de s'assurer contre les risques qui ne les atteignent pas, et il s'ensuit aussi, par une conséquence forcée, que quelque minime que soit le taux d'une prime obligatoire imposée à la généralité du pays, elle devra être envisagée, dans la plupart des communes, uniquement comme une addition à la contribution foncière.

In présence de ces difficultés, la Commission centrale n'a pas jugé qu'il fût prudent, du moins quant à présent, que l'État se chargeàt des assurances contre les risques de grêle et la mortalité

des bestiaux.

Elle a ensuite examiné et discuté la question des assurances contre l'incendie.

Envisageant la question au point de vue purement financier, la Commission centrale a cherché à se rendre compte du résultat probable des assurances obligatoires, considérées comme source de revenus de l'État. C'est aussi en ces termes, si nous ne nous trompons, que le problème a été jusqu'à présent posé devant l'opinion publique.

Avant tout, nous croyons devoir rappeler, Monsieur le Ministre, que des chiffres plus ou moins élevés ont été mis en avant, soit dans la presse, soit incidemment dans les discussions aux Chambres législatives; mais ce ne pouvaient être que des hypothèses, dépourvues de bases certaines ou seulement approximatives. La commission spéciale des assurances elle-même, faute de documents, s'est trouvée dans l'impossibilité d'établir à cet égard des calculs quelque peu exacts.

Pour arriver à une solution satisfaisante, il est nécessaire de bien déterminer les éléments du problème, qui se présentent au nombre de trois, savoir le montant des matières assurables; les primes d'assurances; le montant des sinistres.

:

Prenant pour point de départ les résultats du recensement général, en ce qui concerne les maisons assurées contre l'incendie, nous croyons, Monsieur le Ministre, nous rapprocher de la vérité plus qu'on n'avait pu le faire jusqu'à présent.

On comptait en Belgique, au 15 octobre 1846, un nombre total de 829,561 maisons habitées et inhabitées. De ce nombre, 160,471 ont été indiquées comme assurées pour une somme de 1,093,030,336 francs, valeur déclarée par les habitants dans les bulletins de recensement.

On pourra, jusqu'à un certain point, contester l'exactitude absolue des chiffres relatifs au nombre et à la valeur des propriétés assurées; nous sommes même persuadés, Monsieur le Ministre, qu'il y a eu, de la part des déclarants, beaucoup d'omissions, qu'il n'est guère possible d'apprécier. Mais il nous suffit ici de connaître la valeur moyenne d'une propriété assurée. Or, cette valeur, d'après l'examen attentif des documents recueillis dans les différentes provinces, a pu être établie d'une manière satisfaisante.

La moyenne générale, basée sur les deux termes numériques que nous venons d'exprimer, serait de 6,811 francs par maison, et si l'on applique cette moyenne aux maisons non assurées et qui sont au nombre de 669,090, on trouverait une somme de 4,557,171,990 francs, lesquels ajoutés aux 1,093,030,336 francs déclarés, élèveraient à 5,650,202,326 francs la masse des matières assurables pour toute la surface du pays.

Dans ces nombres figurent des meubles et objets mobiliers, des marchandises, des fabriques, usines, fermes, granges, en un mot tout ce qui est de nature à être assuré contre l'incendie.

Nous nous hâtons, Monsieur le Ministre, de faire observer que cette masse assurable de plus de cinq milliards et demi, doit subir une forte diminution, par suite de deux distinctions essentielles à faire.

D'abord, la décomposition des nombres généraux, en distinguant les villes des campagnes, donne les résultats suivants :

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D'après ces calculs, la somme ci-dessus énoncée de 3,650,202,526 francs se trouverait diminuée de 313,011,190 francs du chef de la distinction des villes et des campagnes.

D'un autre côté, il est impossible d'admettre, ainsi qu'on l'a fait par pure supposition dans les calculs qui précèdent, que les valeurs non assurées s'élèvent au quintuple de celles qui ont été déclarées. Il est hors de doute, Monsieur le Ministre, qu'en général les objets non assurés sont ceux qui ne représentent que les moindres valeurs pour les campagnes notamment, ainsi que vous le verrez par le tableau détaillé qui forme l'annexe no 1, sur 629,395 maisons, 551,495 ou 871/2 p. %, m'ont que le rez-de-chaussée, 75, 182, ou 11 54 p. %, un étage au-dessus du rez-dechaussée, et seulement 4,716, ou 5 p. %, deux étages ou plus; de sorte qu'il est impossible d'admettre pour les maisons non encore assurées une moyenne de 5,445 francs par maison, même en comprenant dans cette moyenne la valeur des propriétés exceptionnelles, telles que châteaux, maisons de campagne, usines, etc.

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Le même raisonnement s'applique aux villes, dont les maisons qui n'ont que leur rez-de-chaussée sont au nombre total dans la proportion de 45 1/2 p. %.

Nous pensons, Monsieur le Ministre, qu'il y a lieu de réduire de moitié les estimations faites plus haut, en ce qui concerne les objets non encore assurés. Dans notre conviction, fondée sur le raisonnement que nous venons de faire, ce qui reste après cette réduction de moitié, est encore bien au-dessus de la réalité. Voici alors le résultat auquel nous arrivons :

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C'est donc en définitive sur une masse de trois milliards deux cent quinze millions de francs que porteraient les assurances générales de tout le royaume.

Nous trouvons, Monsieur le Ministre, une espèce de confirmation de ce chiffre dans les comptes rendus aux actionnaires des principales compagnies belges.

En effet l'annexe n° 2, résumant les opérations des sociétés d'assurances contre l'incendie, dites Se compagnie d'Anvers, Sûreté et repos, à Primes, des Propriétaires réunis, d'Assurances générales et de l'Union belge, de Bruxelles, montre que les valeurs assurées pendant les trois années de 1846, 1847 et 1848, représentent la somme de 6,221,861,000 francs, et que les sinistres se sont élevés, à 5,449,163 francs, ce qui donne par année moyenne, d'une part, 2,073,953,667 francs, d'autre part, 1,149,721 francs. Le rapport proportionnel des sinistres aux valeurs assurées est donc de 55 centimes pour mille francs. Faisons remarquer ici que le chiffre si élevé des valeurs assurées tient en grande partie à ce que les compagnies belges ont un grand nombre d'assurances à l'étranger, notamment en Hollande : c'est particulièrement la position de la principale de ces compagnies.

De l'annexe no 3, il résulte que les pertes par suite d'incendies constatées par l'autorité dans les neuf provinces, pour les années 1859 à 1841 et 1844 à 1848, les années 1842 et 1845 faisant défaut, se sont élevées aux sommes suivantes, savoir :

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En rapprochant cette dernière moyenne des 3,215,121,945 francs, montant des matières assurables, on trouve que le rapport est d'un peu plus de 68 centimes et demi pour mille francs, c'està-dire 13 centimes et demi de plus que la proportion résultant des opérations des six compagnies prises pour point de comparaison. Cette différence de 13 centimes et demi s'explique d'ailleurs assez facilement par ce fait que les évaluations sur lesquelles est basé notre chiffre moyen de fr. 2,205,788 45 cs sont évidemment empreintes d'exagération, devant être faites dans les 24 heures de l'événement, et par conséquent d'une manière plus ou moins précipitée; de sorte que, cette rectification étant admise, les deux nombres proportionnels entre les matières assurables et le montant des sinistres, se rapprochent assez pour servir de preuve d'exactitude à l'une et à l'autre supputation.

Nous passons maintenant à la détermination de la prime d'assurance.

Dans le procès-verbal de la séance du 28 janvier 1847, de la commission spéciale, la prime générale est portée à un pour mille.

Le rapprochement des valeurs assurées et du montant des primes, tel qu'il résulte de l'annexe n° 2, donne comme prime générale le chiffre de quatre-vingt-quatorze centimes pour mille francs.

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