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DE L'ÉTAT ANCIEN

DE LA

MENDICITÉ DANS LA PROVINCE DE LA FLANDRE OCCIDENTALE,

PAR M. L'ABBÉ CARTON,

EENSRE DE LA COMMISSION DE STATISTIQUE DE CETTE PROVINCE

Les mendiants étaient rares dans la société païenne, parce que la population ouvrière libre était peu considérable, et que la population esclave qui travaillait au profit des maîtres était à leur charge dans ses besoins et durant ses maladies.

Même pendant les trois premiers siècles qui suivirent la venue du Christ, à cause du petit nombre d'affranchis, la mendicité était encore très-restreinte et ne se recrutait guère que dans les rangs des esclaves émancipés.

Mais à cette époque, tout un monde moral nouveau surgit à côté du monde moral païen. Le christianisme prêche la charité et la liberté du travail, et il admet dans son sein tous ceux qui acceptent ses conditions.

Comme il arrive dans toute organisation où la volonté de l'homme et son influence peuvent amener quelque modification, les chrétiens n'usèrent pas peut-être, au commencement, de toute la prudence nécessaire dans le développement des idées de liberté.

Le christianisme cependant n'abolit pas d'abord l'esclavage.

Saint Paul prêcha même aux esclaves le respect de leurs maîtres et la soumission dans leur position sociale, tout en jetant dans la conscience des maîtres les

1 Cette notice historique a été lue dans la séance de la commission de statistique de la province de la Flandre occidentale, le 22 août 1849.

TOME IV.

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germes des idées d'égalité et de charité, qui ne tardèrent pas à fructifier sous l'influence de la religion nouvelle.

Malheureusement les idées de liberté se propagèrent beaucoup plus vite que les idées de charité.

Les esclaves obtinrent leur liberté avant que le christianisme eût pénétré suffisamment les esprits de la nécessité de la charité, et avant que l'expérience eût révélé les mesures les plus convenables et les plus efficaces pour subvenir aux besoins nouveaux qui se déclaraient.

Les païens en général croyaient que l'on déméritait en faisant l'aumône, car ce que l'on donne aux mendiants, dit Plaute, périt et prolonge la vie d'un être souffrant :

Male meretur qui mendico dat quod edat,

Nam et illud quod dat perit

Et illi producit vitam ad miseriam.

Le christianisme lutta avec persévérance contre cette conviction, qui résista longtemps à l'influence de son enseignement.

Chaque période de disette que l'on rencontre dans l'histoire de la première moitié du moyen âge fournit des preuves à l'appui de cette assertion.

Les hommes avaient reçu le baptême; ils étaient chrétiens par la tête, mais le cœur n'était pas encore charitable. Les pauvres périssent sans secours et les morts restent sans sépulture.

Charles-le-Bon, en 1126, reproche amèrement à ceux de Gand d'avoir laissé périr d'inanition, devant leurs portes, des pauvres qui imploraient leurs secours. On rencontre dans le Keurbrief de Bruges, octroyé par Philippe d'Alsace, à la fin du XIIe siècle, une disposition qui constate, encore à cette époque, l'existence d'une pratique peu en harmonie avec les idées chrétiennes.

« Si un mendiant ou une mendiante (scurra), » y est-il dit, « qui a reçu chez » vous l'hospitalité, refuse de s'en aller le lendemain, ce n'est pas un forfait que » de le noyer. » Ce procédé sommaire n'était pas nouveau. Les anciens Germains jetaient à la rivière ceux qui refusaient obstinément de travailler; ils les regardaient non-seulement comme un poids inutile sur la terre, mais encore comme des voleurs qui vivaient du travail d'autrui.

L'empereur Galien fit un édit, si toutefois le nom d'édit peut être appliqué à une pareille barbarie, par lequel il ordonna d'arrêter tous les mendiants robustes, de les parquer dans des bateaux et de les faire couler en pleine mer.

Cependant, dans les contrées soumises à l'empire romain, ou plus en contact que

les pays germaniques avec la civilisation avancée des premiers siècles, les concilest et les évêques, de concert avec les gouverneurs, cherchèrent de bonne heure, par des mesures générales, à soulager la société de l'entretien des mendiants. On eut pour but de remplacer les aumônes isolées, dont profitent surtout les plus effrontés et ceux qui les méritent le moins, par des secours distribués administrativement.

Mais dans les temps de disette, lorsqu'on ne consulta pas la religion, les mesures prises par les magistrats se ressentirent trop souvent des idées qui avaient cours dans la société païenne.

Ainsi, aux époques de famine, les mendiants accouraient de tous côtés vers les villes, et l'autorité civile, à un jour donné, les expulsait et les forçait d'aller infester les campagnes et mourir où ils pouvaient.

Saint Ambroise s'éleva contre ces mesures de police barbare : « Ceux, dit-il, qui >> chassent de Rome les étrangers ne doivent pas être approuvés. C'est agir inhu» mainement que de repousser quelqu'un au moment où il a besoin qu'on le se» coure. Les animaux ne chassent pas les animaux, l'homme chasse l'homme. » La charité des chrétiens lutta contre la dureté des païens, mais cette charité elle-même, mal raisonnée parfois, ne servit qu'à multiplier le nombre des mendiants. Pour contre-balancer l'excès d'insensibilité, on excita peut-être outre mesure le précepte de l'aumône et la charité des premiers chrétiens.

Saint Ambroise vit arriver les choses au point qu'il jugea nécessaire d'adresser des instructions à ce sujet aux fidèles de son diocèse. « Il faut, dit-il, poser des limites » à la libéralité...... Jamais l'avidité des mendiants n'a été pareille. Il se présente > des hommes valides et robustes qui mendient pour le seul agrément du vaga» bondage, et qui absorbent les secours dus aux véritables pauvres. »

Des efforts simultanés de l'Église et de l'État résulta enfin l'organisation d'un grand système de charité publique.

Le ive siècle avait vu se multiplier démesurément le nombre des prolétaires et, au moindre revers, le nombre des mendiants.

Après de nombreux tâtonnements, on organisa un système de secours publics pour venir en aide aux pauvres et pour recueillir les vieillards, les infirmes et les enfants abandonnés. C'est à peu près ce que nous avons encore de mieux pour secourir les malheureux.

Mais l'état de mendiant, si déshonorant et si avilissant, se perpétua malgré les efforts des chefs de la société.

A chaque siècle s'élèvent des plaintes contre le développement de cette plaie. Dans un rapport de la Commission centrale de statistique que j'ai entendu lire ici en séance, on compare cette recrudescence périodique de la mendicité au flux et au reflux de la mer.

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