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chainement une nouvelle application. Il ne peut y avoir que de l'utilité à comparer entre eux les systèmes suivis à différentes époques ou dans des pays différents. L'émancipation politique s'étend; mais si sa marche est trop rapide, elle peut compromettre l'avenir par des essais dangereux.

Cette dernière réflexion ne s'applique pas aux modifications apportées en Belgique au système électoral, par la loi du 12 mars 1848. En abaissant d'un coup le cens au minimum fixé par la Constitution (20 florins ou fr. 42 32 c3), elle a augmenté le nombre des électeurs sans opérer un bouleversement.

Les tableaux qui suivent (A et B) présentent, par arrondissement, le nombre des électeurs inscrits et de ceux qui ont pris part aux élections générales de 1847 et 1848.

La Belgique avait conservé, pendant près de dix-huit années, un système électoral calqué en partie sur les institutions néerlandaises, quoique partout les élections fussent directes et à un degré.

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La Loi fondamentale de 1815 avait, dans ses articles 6 et 7, inscrit des dispositions vagues, indéfinies, qui témoignaient de l'inexpérience de l'époque 1. L'art. 129 divisait la nation, pour la formation des états des provinces, en trois ordres, savoir les nobles ou corps équestre, les villes, les campagnes. Chaque ordre nommait un tiers des membres des états provinciaux. Les états provinciaux nommaient les membres de la seconde Chambre des États généraux, dans la proportion indiquée à l'art. 79 de la Loi fondamentale.

:

La révolution de 1830 supprima les droits politiques de la noblesse; mais la division entre les villes et les campagnes fut conservée. Et, tandis que, dans les villes, un cens souvent assez élevé donnait le droit électoral, il suffisait d'un cens moindre aux habitants de la campagne. Les élections se faisant par arrondissement, la prépondérance était assurée, selon les lois des majorités, aux campagnes. Ainsi, le cens électoral dans les villes de Bruxelles, de Gand et d'Anvers, était de 80 florins (fr. 169 31 c'); il était de 70 florins (fr. 148 14 c3) à Liége, de 60 florins (fr. 126 98 c3) à Bruges et à Louvain. Dans les campagnes, il n'était en général que de 30 florins (fr. 63 49 c3); il n'était même que de 20 florins (fr. 42 32 c3) dans les provinces de Luxembourg et de Namur.

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Existait-il, en fait comme en droit, deux ordres de citoyens dans la Belgique

« ART. 6. Le droit de voter dans les villes et les campagnes, ainsi que l'admissibilité dans les administrations provinciales ou locales, sont réglés par les statuts provinciaux et locaux.

» ART. 7. Les dispositions de ces statuts relatives au droit et à l'admissibilité mentionnés au précédent article, telles qu'elles seront en vigueur à l'expiration de la dixième année qui suivra la promulgation de la Loi fondamentale, seront censées faire partie de cette loi. »

de 1830? Les intérêts des villes étaient-ils distincts de ceux des campagnes? A défaut d'une parité de représentation que l'on n'avait point songé à établir, une certaine pondération était-elle nécessaire? Si les campagnes ne sont pas plus éclairées, plus morales, plus riches que les villes, si tous les intérêts sont également respectables et doivent être représentés, le système électoral de 1831 était dû en partie à l'esprit de routine; dans la Constitution néerlandaise, le cens avait été différent dans les villes et dans les campagnes; ce mode prévalut parce qu'il était établi. On a cru aussi que, l'élément conservateur dominant dans les campagnes, le maintien du nouvel ordre de choses serait mieux assuré par leur prépondérance. En admettant que cette présomption fût fondée, les conséquences devaient en être transitoires comme les motifs qui avaient servi à l'établir.

Sous l'empire de la loi électorale de 1831, la Belgique comptait environ 46,000 électeurs, que l'on divisait, en raison du cens, en électeurs des villes et électeurs des campagnes. Dans ces dernières, l'on comprenait les villes de moins de 5,000 habitants. Voici le relevé officiel du nombre des électeurs pour les sept dernières

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Sur une population de 4,555,519 habitants (recensement du 15 octobre 1846), la Belgique comptait, en 1847, 46,463 électeurs ayant le droit de participer à l'élection des membres des Chambres législatives; le rapport était de 10.72 électeurs sur 1,000 habitants. Dans ce nombre, 50,360 appartenaient aux campagnes, 16,103 aux villes. La moyenne des années précédentes démontrait que les deux tiers des électeurs appartenaient aux campagnes.

En France, vers la même époque, le nombre des électeurs politiques s'élevait à environ 220,000: sur une population de 56 millions, le rapport était de 6.11 électeurs par 1,000 habitants.

En Belgique, la loi du 12 mars 1848, en abaissant le cens au minimum fixé

par

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la Constitution 1, a fait dresser de nouvelles tables électorales. De 46,463 qu'il était en 1847, le nombre des électeurs s'est élevé en 1848 à 79,076; c'est une augmentation de 70 p. %. Comme le cens n'était pas précédemment uniforme, et que, dans une province (Luxembourg), il n'a pas même été modifié, nous croyons intéressant d'insérer ici en regard, pour chaque province, les changements qui en sont résultés.

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En 1847, il n'y avait que 10.72 électeurs sur 1,000 habitants; d'après le système nouveau, la proportion s'est élevée à 18.24. L'augmentation du nombre des électeurs a porté surtout sur les villes, dans la proportion suivante. Sur 1,000 habitants, il y a eu:

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En recherchant quel a été, à chacune de ces deux époques, le rapport entre le

↑ « ART. 47. La Chambre des Représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins (fr. 211 64 cs) d'impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins (fr. 42 52 cs). »

nombre des électeurs et les populations respectives des villes et des campagnes, on trouve qu'il était sur 1,000 habitants :

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La population des villes n'est, en Belgique, que du quart environ de la population totale. Si le dénombrement, comme dans le système du suffrage universel, déterminait seul le nombre des électeurs, les villes ne devraient donc avoir que le quart des voix dans les élections générales. Aujourd'hui, au contraire, par l'adoption d'un cens électoral, la proportion est modifiée, et l'établissement d'un cens uniforme a fortifié l'action des villes. Sur 1,000 électeurs, voici quel a été, en 1847 et 1848, la proportion entre les villes et les campagnes:

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Avant la réforme, le nombre des électeurs des villes était seulement d'un peu plus du tiers; aujourd'hui il est d'un peu plus des deux cinquièmes. Les campagnes ont encore la prépondérance numérique; mais elle est contre-balancée par les lumières, l'influence morale, qui appartiennent aux habitants des villes.

Les tableaux que nous reproduisons ci-après indiquent non-seulement le nombre des électeurs, mais aussi celui des votants, aux deux élections générales de 1847 et de 1848. En élargissant le cadre des électeurs, on n'a pas rencontré relativement le même zèle à se rendre aux élections. Sur 100 électeurs, voici le rapport des

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Mais ce n'est point sur cette observation isolée qu'il faut fonder une conclusion absolue.

Nous venons de voir comment l'établissement d'un cens électoral a réduit en Belgique, dans le système de 1848, le nombre des électeurs à moins de deux pour cent (18.24 sur 1,000 habitants). Précédemment, ce chiffre était même moindre, 10.72 sur 1,000 habitants. On peut présumer que ces électeurs payant un cens,

intéressés au maintien de l'ordre par leur qualité de propriétaires, de fermiers, de fabricants ou de commerçants, représentent la partie la plus éclairée et la plus morale de la population. Leurs intérêts sont les intérêts généraux : il n'y a point d'antagonisme dans les différentes classes de la société; le malaise d'une partie de la population réagirait sur les autres, et dans notre libre Belgique, le niveau se rétablirait bientôt, s'il y avait compression ou contrainte quelque part.

Si, nationalité nouvelle, nous avons subi des épreuves difficiles, traversé des temps de crise pénible, la sagesse de notre Gouvernement et de nos Chambres législatives a dirigé parfaitement le vaisseau de l'État. La Constitution a proclamé que tous les pouvoirs émanent de la nation. Après la commotion produite en Europe par la révolution de Février, le Gouvernement a senti que tous les corps politiques devaient se retremper par l'élection. Successivement il a dissous le Sénat et la Chambre des Représentants, les conseils provinciaux, tous les conseils communaux et la garde civique. L'émoi populaire, s'il avait existé, aurait trouvé dans l'urne électorale un moyen légal et légitime de s'épancher. Le résultat de tous ces scrutins, en recomposant tous les corps politiques, a été de fortifier leur action, c'est-à-dire l'ordre constitué.

Pour les Chambres législatives, ce résultat a été produit par l'intervention de moins de deux électeurs par 100 habitants (18.24 sur 1,000). La proportion, à peu de chose près, est la même dans les élections provinciales ou communales. Dans notre heureuse et paisible Belgique, sur 100 habitants, nous n'avons pas tout à fait deux citoyens jouissant du libre exercice des droits politiques. Cependant, grâce à nos institutions provinciales et communales, et à la décentralisation administrative, il n'est pas dans le monde un État où les citoyens jouissent de plus de liberté et de bien-être. C'est que les institutions, regardées comme moyen, ont été appropriées aux besoins de la Belgique; le but que la Constitution de 1831 a voulu atteindre, c'est le bien-être de tous, la prospérité publique, au moyen d'institutions sagement combinées.

Tel état social vicieux ne peut être corrigé qu'à l'aide de mesures temporaires et extraordinaires : la forme du Gouvernement, le système électoral, le droit de suffrage, sont des questions auxquelles l'opinion peut donner momentanément la plus grande importance. On proclame alors la souveraineté du peuple, on organise le suffrage universel, qui en est l'expression naturelle ou le corollaire; on invite, par ces moyens, le peuple à exprimer sa volonté. On part de ce principe que les intérêts de tous ne peuvent être mieux sauvegardés que par la participation de tous. Au premier abord, ce principe semble incontestable; mais bientôt, dans la pratique, il faut le limiter. Reprenons l'exemple de la Belgique. En consultant les

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