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pour ainsi dire; l'esprit de solidarité reconstitue de ces débris épars une famille nouvelle.

Pour apprécier l'influence bienfaisante de ce nouveau principe introduit dans l'exercice de la charité rurale, il importe de se rappeler les abus qui naguère encore existaient dans plusieurs communes des Flandres et qui malheureusement ne sont pas entièrement extirpés. Les vieillards, les infirmes, les orphelins étaient mis en pension chez des particuliers, et pour obtenir les conditions les moins onéreuses pour l'administration, on avait recours à l'adjudication publique pour régler le prix d'entretien de chacun de ces malheureux. « Ces adjudications, dit M. le commissaire de l'arrondissement de Roulers-Thielt 1, se faisaient à peu près de la même manière que la location ou la vente d'un objet mobilier ou d'un animal domestique. Les amateurs, appelés par les moyens de publicité ordinaires, assistaient très-nombreux à cette opération. Les pauvres qu'il s'agissait de mettre en pension, subissaient une sorte d'exhibition publique; chacun était admis à supputer les charges résultant de chaque infirmité, et les profits à tirer des forces qui restaient à chaque sujet. Souvent la mise à l'encan avait lieu au milieu des observations les plus révoltantes, et l'adjudication définitive était l'objet de plaisanteries ou d'immorales félicitations, selon que l'affaire était jugée avantageuse ou mauvaise par les assistants. Les indigents mis ainsi en pension étaient pour la plupart exposés à un traitement plus dur que les plus grands criminels dans les prisons les moins bien organisées. »

Ces abus monstrueux se reproduisent dans quelques communes de la Flandre orientale où ils sont dénoncés en termes non moins énergiques. « Lorsque certaines communes, dit M. l'abbé V., dans une lettre adressée au Département de l'intérieur, ont des orphelins à placer, on le fait savoir publiquement, et, au jour fixé, la pauvre créature, juchée sur une table ou un tonneau, est exposée à l'inspection des amateurs accourus pour la louer à un prix misérable et trop souvent dans un but d'immorale spéculation. L'enfant, après avoir été visité comme un cheval de réforme ou un nègre esclave, est mis à prix, et le taux de l'adjudication est déterminé d'ordinaire d'après des calculs basés sur sa constitution et le bénéfice qu'on espère pouvoir en retirer en le formant à la mendicité.

» L'enfant malade, accepté pour un prix de 3 ou 4 francs par mois, ne peut pas évidemment être soigné comme il le devrait, alors surtout que l'on sait que sa mère adoptive doit se livrer à des travaux qui absorbent tout son temps. Dans ce cas, le

1 Rapport général présenté, en exécution de l'art. 138 de la loi du 30 avril 1836, à la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale, par le commissaire de l'arrondissement de Roulers-Thiclt (M. Van Damme); 1846.

petit infortuné est abandonné seul au logis, ou confié à la garde d'un autre enfant un peu plus âgé, mais qui est tout à fait incapable de pourvoir à ses besoins et de lui prêter assistance. Aussi arrive-t-il souvent des accidents irremédiables, et la mère adoptive, en rentrant le soir au logis, n'est jamais sûre de trouver en vie la frêle créature confiée à ses soins intéressés. Si sa santé résiste, au contraire, le but proposé est atteint; l'enfant grandit, se fortifie, et il est bientôt à même d'aller mendier ou marauder, et de fournir ainsi son contingent au ménage. Élevé de la sorte, au sein de la misère, de l'oisiveté et du vice, que devient cet infortuné? Un être nul, ayant très-souvent des mœurs dépravées, et dont l'existence n'est plus qu'un fardeau ou une menace pour la société. »

1

Ces faits déplorables ne peuvent malheureusement être niés, et dans une occasion récente, lors de la discussion de la loi sur les dépôts de mendicité 1, un honorable représentant de Gand, M. d'Elhoungne, s'écriait à son tour: « Savez-vous, Messieurs, comment on pourvoit dans beaucoup de communes des Flandres à l'entretien des enfants pauvres, des enfants abandonnés? On les fait venir le jour de l'an sur la place publique, on les y expose, on les y étale, et on en fait l'objet d'une espèce d'adjudication publique : celui qui se charge de les nourrir et de les entretenir au meilleur marché, est déclaré adjudicataire pour une année...... »

Ce mode barbare d'assistance trouvait, sinon son excuse, du moins son explication dans la pénurie des ressources de plusieurs communes. Or, pour le supprimer il n'y avait qu'un moyen possible, efficace, c'était de prouver par des faits patents, irréfutables, qu'il n'en coûtait pas plus pour soulager efficacement un vieillard, un orphelin que pour s'en débarrasser en quelque sorte au rabais. Cette preuve, on la trouve dans l'institution des fermes-hospices.

Chacun de ces hospices est une espèce de métairie; le travail agricole est fait par les vieillards et les orphelins; généralement les produits récoltés suffisent aux besoins de l'alimentation. Le service intérieur de la ferme, de la basse-cour et de l'étable est confié aux femmes; les vêtements sont en grande partie confectionnés dans la maison. En un mot, chaque hospice est en quelque sorte une petite colonie agricole exploitée par une association de vieillards et d'infirmes, s'aidant l'un l'autre, chacun dans la mesure de ses forces, sous la direction de quelques surveillants ou plus souvent de quelques sœurs de charité.

D'après les renseignements que nous devons à l'obligeance de M. Van den Berghe, commissaire de l'arrondissement de Thielt-Roulers (Flandre occidentale), il existait au 1er janvier 1851, 14 fermes-hospices dans cet arrondissement.

Le tableau qui suit indique, pour chacun de ces établissements, le nombre des

Séance de la Chambre des Représentants, du 2 mars 1848.

TOME IV.

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pensionnaires, celui des personnes préposées à la direction, ainsi que le prix de la journée d'entretien :

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L'hospice de Lichtervelde a environ 5 hectares de terre à labour, qui sont exploités par les indigents. C'est, sous ce rapport, l'hospice le plus considérable de l'arrondissement. Dans presque tous les établissements, on nourrit à l'étable deux ou trois vaches, mais généralement il est à regretter que les exploitations ne soient pas plus étendues. Pour s'expliquer le taux si minime de la journée d'entretien, il faut se représenter que les fermes-hospices ne payent d'ordinaire ni fermages ni contributions; la plupart de leurs pensionnaires sont encore capables de faire quelque travail; ils labourent à la bêche, fument, ensemencent, sarclent les terres; ils filent et bobinent le fil, tissent la toile; leur nourriture se compose de lait, de pommes de terre, de légumes, de seigle, de lard, tous produits de la

culture et de la ferme; leurs vêtements sont d'étoffes grossières fabriquées et confectionnées dans les établissements. A ces ressources viennent s'ajouter d'ordinaire les bénéfices des écoles et des ateliers d'apprentissage que dirigent les sœurs, les dons de personnes charitables, etc.

La plupart des fermes-hospices de l'arrondissement sont des établissements communaux, créés par les bureaux de bienfaisance ou avec leur concours. A l'exception des hospices d'Ardoye, de Meulebeke et de Ruysselede, qui sont des institutions purement privées, chaque établissement est dirigé par une commission administrative nommée par le conseil communal.

Dans la Flandre orientale, les fermes-hospices tendent aussi à se multiplier, et dans ce moment encore il y en a plusieurs qui sont en voie d'organisation. A défaut de renseignements officiels à cet égard, force nous a été de puiser à des sources particulières; M. H. Kervyn, inspecteur de l'enseignement primaire de la province, et M. Aug. Lippens, bourgmestre de Moerbeke, ont bien voulu nous communiquer des notes précieuses sur ces établissements, qui nous mettent à même d'apprécier dans leurs moindres détails leur organisation et leurs résultats.

Généralement les fermes-hospices de la province doivent leur origine à la charité privée, mais sous diverses formes. Dans quelques communes, telles que Beveren, Melsele, Ertvelde, S-Laurent, Destelbergen, les fondations ont été exclusivement l'œuvre de particuliers qui ont érigé les bâtiments de leurs propres deniers. Dans d'autres communes, à Sinay, Stekene, Moerbeke, etc., ce sont les bureaux de bienfaisance qui ont fait construire les locaux à l'aide du produit des souscriptions et de dons particuliers. Ailleurs enfin, on a réalisé une partie des biens des bureaux pour parfaire les fonds nécessaires aux constructions. Partout, avant de mettre la main à l'œuvre, on a fait des quêtes fructueuses chez les habitants aisés, et les paysans ont fait les corvées, telles que le charroi des matériaux, etc.

Les commencements ont été d'ordinaire très-modestes: on a réuni d'abord quelques indigents dans une maison appartenant au bureau de bienfaisance; ces indigents ont été employés aux travaux communaux; puis on a pris un champ en location pour y planter des pommes de terre, et peu à peu on a étendu la culture. Le but de l'institution s'est dessiné ainsi progressivement, et lorsqu'il a été bien fixé, on a compris la nécessité de locaux appropriés à leur destination, d'une direction et d'une marche régulières.

Les éléments dont se compose la population des fermes-hospices varient selon les localités. En règle générale, on a placé en première ligne les vieillards et les infirmes; dans la plupart, on admet en outre les orphelins; lorsque les ressources le permettent, on y ajoute les malades et les incurables. Sous l'empire de l'ancien usage du placement en pension chez des paysans, les vieillards coù

taient de 70 à 110 fr. l'an, les orphelins âgés de 5 mois à 8 ou 9 ans, 40 à 60 fr., et jusqu'à 14 ou 15 ans, 20 fr. Les malades recevaient des secours temporaires qui s'élevaient de 30 à 75 c2. par jour, outre le traitement médical et les médicaments. Il faut ajouter à ces pensions une part dans les distributions de vêtements. Dans les fermes-hospices, l'excédant des dépenses sur les recettes provenant de la culture, du travail, etc., divisé par le nombre des pensionnaires, fait ressortir, en moyenne, pour chacun de ceux-ci, la journée d'entretien à 9 jusqu'à 20 centimes. La différence entre ce taux et celui des pensions payées anciennement constitue l'économie du système nouveau.

Mais arrêtons-nous un moment à cette face de la question : c'est en interrogeant minutieusement le bilan des ressources des fermes-hospices que nous pourrons nous rendre compte des moyens à l'aide desquels on est parvenu à y réduire la journée d'entretien à un taux aussi bas, de telle sorte que l'institution se résume en une économie notable, tout en améliorant le sort des indigents et en assurant l'avenir des orphelins.

Comme nous l'avons dit, la plupart des fermes-hospices ont été érigées au moyen de donations en terres et en bâtiments, faites aux bureaux de bienfaisance; quelquesunes possèdent, en outre, un revenu provenant de legs. Leurs ressources ordinaires. se composent des allocations des bureaux de bienfaisance, qui sont généralement peu élevées, des produits de la culture qui subvient à la plus grande partie de la consommation, et subsidiairement des produits et des bénéfices du travail industriel. Celui-ci embrasse la préparation du lin, le tissage, dans quelques établissements, et la fabrication de la dentelle ou la confection de fleurs (plat) pour l'application dite de Bruxelles. Les pensionnaires de l'hospice ne sont pas seules occupées à cette fabrication; ordinairement une école dentellière pour les filles pauvres de la commune est annexée à l'établissement. Le prélèvement sur le travail ou les rétributions scolaires suffisent pour couvrir, du moins en grande partie, les frais de nourriture et d'entretien du personnel dirigeant l'hospice. En outre, quelques établissements ont une section primaire ou une école adoptée pour les filles pauvres. La subvention du budget scolaire, les rétributions des élèves solvables grossissent, dans ce cas, le revenu annuel de l'hospice. On trouve enfin une dernière ressource dans la pension que payent des fermiers ou des artisans retirés, qui prennent une chambre à l'hospice et y apportent leurs épargnes. Ils sont en général d'un grand secours dans la direction des travaux des champs ou des ateliers sédentaires de l'institution.

La différence que l'on remarque dans le taux de la journée d'entretien des divers hospices dépend en grande partie d'une différence correspondante dans les éléments de revenu que nous venons d'énumérer. Mais généralement la combinaison de ces

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