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SUR

LA STATISTIQUE CRIMINELLE DU ROYAUME-UNI

DE

LA GRANDE-BRETAGNE.

LETTRE A M. PORTER, A LONDRES, PAR M. A. QUETELET,

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CENTRALE.

25 mars 1851.

MON CHER MONSIEUR,

Vous avez lu, dites-vous, avec quelque intérêt mon travail Sur la statistique morale et les principes qui doivent en former la base 1; vous avez eu en même temps l'obligeance de me transmettre, en manuscrit, les documents de la statistique criminelle de la Grande-Bretagne pour les années 1846, 1847, 1848 et 1849, afin de compléter ceux que renferme la nouvelle édition de votre important ouvrage sur les progrès de la nation anglaise 2. L'opinion d'un statisticien de votre mérite m'est trop précieuse pour ne pas répondre à son appel et ne pas chercher à mettre à profit les nouveaux moyens d'étude qu'il me présente. Je ne me dissimule cependant pas toutes les difficultés qui se rattachent à un travail sur la statistique morale d'un pays que je ne connais pas dans son organisation la plus intime: aussi je me bornerai à constater les rapports qui ressortent immédiatement des chiffres et sur l'appréciation desquels il ne pourrait s'élever de contestations. J'ai cru que le

Tome XXI des Mémoires de l'Académie royale de Belgique; Bruxelles, 1848.

2 The Progress of the Nation, etc., by G.-R. Porter, 1 vol. grand in-8°; Londres, 1847.

TOME IV.

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meilleur moyen de répondre à votre courtoisie, était de prouver que j'ai soumis à un examen attentif les chiffres que vous avez bien voulu me communiquer.

Ces chiffres, joints à ceux de votre ouvrage the Progress of the Nation, font connaître, d'année en année pour toute l'Angleterre, le nombre des accusés depuis 1805 jusqu'en 1849, en établissant la distinction des sexes et celle des individus acquittés ou déclarés coupables : j'en reproduis ici le tableau.

Nombre d'individus accusés et déclarés coupables en Angleterre.

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A la première inspection de ce tableau, on est frappé de l'accroissement rapide du

nombre des accusés; ce nombre, en 1805, était de 4,605, et, en 1817, il se trouvait triplé; après cette époque, il avait continué à augmenter encore; et, en 1842, il atteignait un maximum, et se trouvait à peu près sept fois aussi grand qu'en 1805! Depuis, il a atteint un état à peu près stationnaire. Que conclure de cet accroissement rapide? La nation marche-t-elle en effet avec une vitesse effrayante dans la carrière du crime, et les Anglais d'aujourd'hui valent-ils moins que ceux du commencement de ce siècle? Vous avez parfaitement montré ce qu'aurait d'absurde une semblable prétention; vous avez fait voir que cette augmentation apparente des crimes provient de ce qu'on poursuit aujourd'hui devant les tribunaux une infinité de méfaits dont la justice ne s'occupait pas même autrefois. Vous avez fait voir en même temps que les grands crimes ont notablement diminué et qu'on peut parcourir aujourd'hui impunément, de nuit, une quantité, de lieux où l'on aurait été sûr de rencontrer autrefois le poignard des assassins. Il n'y a peut-être pas d'exemple plus frappant du danger qu'il y aurait à juger du nombre des crimes réellement commis par le nombre des crimes dénoncés aux tribunaux, sans tenir aucun compte de la gravité de ces crimes, ni de l'activité de la justice à en poursuivre les auteurs. Afin d'écarter ce que les nombres précédents renferment d'accidentel, je résumerai, dans le tableau qui suit, les valeurs moyennes par périodes décennales.

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On voit que le nombre des crimes dénoncés aux tribunaux a progressivement augmenté chez les hommes ainsi que chez les femmes, mais plus rapidement chez les premiers.

Pour un accusé du sexe feminin on comptait moyennement trois accusés du sexe masculin pendant la première période décennale de 1805 à 1814; puis, le rapport a été de 1 à 5 environ; et peu à peu il est devenu de 1 à 4.

Quant à la répression qui, pendant la première période décennale, était de 63 sur 100, elle s'est élevée successivement à 74. Vous attribuez cette sévérité plus

grande à ce que des peines que le jury ne voyait appliquer qu'avec regret, ont été adoucies par votre législation; en sorte que, dans certaines circonstances où l'on pouvait hésiter, on éprouve une répugnance moins grande à se prononcer aujourd'hui pour la culpabilité. Quand, en effet, les peines sont trop graves, on est moins disposé à les appliquer; c'est un fait dont tous les pays donnent des exemples et qui peut être considéré comme entièrement mis hors de doute.

Les nombres que vous avez publiés pour l'Écosse, joints à ceux que vous avez bien voulu me communiquer, comprennent une période de dix-huit ans, 1832 à 1849.

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Pour me faire une idée plus exacte de ce qu'ils expriment, je les ai partagés en deux séries, de neuf années chacune. Je suis parvenu ainsi aux moyennes suivantes :

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On voit qu'ici, comme en Angleterre, le nombre des accusés a successivement augmenté; l'augmentation a été comparativement plus forte chez les femmes que chez les hommes.

On a compté, en Écosse, 24, puis 28 femmes, sur 100 accusés, pendant qu'en Angleterre et dans le pays de Galles on n'en comptait que 16 à 20.

Au reste, vous avez fait voir qu'eu égard à la population, le nombre des accusés mâles était beaucoup plus considérable en Angleterre qu'en Écosse, et qu'au contraire, le nombre des femmes accusées était proportionnellement un peu moins grand en Angleterre.

Quant à la répression, elle a progressivement augmenté en Écosse comme en Angleterre, mais cette augmentation a été très-faible. Le nombre des condamnés sur 100 accusés était de 73,64 en 1836; et de 75,74 en 1845. La moyenne était donc à peu près exactement ce qu'elle était en Angleterre et dans le pays de Galles, pendant ces dernières années; cependant il ne faut pas perdre de vue que la législation n'est pas la même dans les deux pays.

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Si nous jetons les yeux sur les tableaux de l'Irlande, nous n'y trouvons plus le caractère présenté par les tableaux de la statistique criminelle des deux autres contrées les nombres vont encore en croissant, mais sans offrir aucune continuité. De 1803 à 1812, on trouve annuellement un peu moins de 4,000 accusés, puis les documents statistiques manquent jusqu'en 1822. A cette époque, le nombre des accusés se trouve considérablement augmenté; puis, il s'accroît encore, mais sans suivre aucune loi de continuité apparente; en 1836, il s'élève à 23,891; l'année suivante, il n'est plus que de 14,804; en 1839, il se relève encore jusqu'à 26,592; et, en 1849, il ne monte pas à moins de 41,989. Quelle est la cause de fluctuations aussi brusques? On ne saurait la méconnaître un état tout exceptionnel. Ce n'est plus le crime parcourant ses différentes phases dans une population qui jouit de son état normal; mais l'insurrection éclatant sur tous les points, tantôt furieuse et bravant les tribunaux et les lois, tantôt comprimée et s'organisant dans l'ombre et le silence. Comme vous l'avez fort bien montré, d'après les documents statistiques de l'Irlande, ces nombres en apparence si irréguliers suivent une tout autre marche, quand on en défalque les accusés pour crime de rébellion et pour les autres délits qu'a fait naître la situation malheureuse et tout exceptionnelle de l'Irlande. Cette espèce de fièvre qui agite tout le corps social est marquée par des secousses brusques dans les annales du crime, et présente peut-être un des exemples les plus frappants de l'importance des études statistiques, quand on veut juger si les États sont dans leur état normal, ou s'ils s'en écartent plus ou moins. On y voit mieux que partout ailleurs combien est faible l'influence du libre arbitre des individus, pris isolément, quand on le considère dans ses rapports avec les phé

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