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Ici nous sommes amené à parler par anticipation d'un droit bien différent, que nous examinerons plus tard en détail, en parlant de la navigation pendant la guerre, du droit de visite (right of visitation and search des Anglais).

Il importe de bien remarquer les différences profondes qui séparent l'un de l'autre ces deux droits. Ils diffèrent essentiellement dans leur but, et aussi dans le procédé au moyen duquel ils s'exercent.

Le droit d'enquête du pavillon n'a qu'un but : celui de reconnaître la nationalité du navire, afin précisément d'accorder à ce navire tous les droits résultant de cette nationalité, du moment qu'elle a été reconnue.

Le droit de visite a pour but de constater à bord d'un navire, même dont la nationalité a été reconnue, certains faits relatifs à son chargement ou à tout autre objet intérieur.

Le premier de ces droits repose sur le respect même de la nationalité, sur le respect de l'indépendance des États souverains: c'est parce qu'on respecte cette nationalité, parce qu'on veut lui assurer, lui garantir tous les droits qui lui reviennent, c'est pour cela même qu'il faut établir un moyen de la reconnaître et d'en empêcher l'usurpation frauduleuse : du moment qu'elle a été reconnue, la puissance étrangère s'arrête, elle laisse le navire à toute l'indépendance de son pavillon.

Le second de ces droits est une atteinte aux attributs de la nationalité et à l'indépendance réciproque des États souverains. C'est lorsque cette nationalité a été reconnue, et malgré cette reconnaissance, qu'une puissance étrangère vient s'immiscer à bord du navire, même en pleine mer, pour y constater certains faits..

En un mot, dans le premier cas, une souveraineté

veut reconnaître l'autre; dans le second cas, elle empiète sur l'autre, même après l'avoir reconnue.

Indépendamment de leur but, ces deux droits different encore considérablement dans le procédé au moyen duquel ils peuvent être mis en exercice.

L'expression de droit d'enquête du pavillon indique un procédé plus doux, des moyens moins directs, la faculté préalable de s'enquérir de la nationalité, c'est-à-dire de demander l'exhibition des indices qui la révèlent.

Des signaux visibles, un échange de paroles au portevoix, peuvent le plus souvent, sauf les cas de suspicion légitime de piraterie, suffire à cette vérification, ainsi que nous devons le dire bientôt.

Tandis que l'expression même de droit de visite emporte l'idée que le visiteur se transporte à bord du bâtiment soumis à la visite, et s'y livre à des actes d'examen ou de recherche pour la constatation des faits en question.

Hors le temps de guerre, la loi conventionnelle et la loi coutumière internationales, d'accord en cela avec les principes primordiaux du droit des gens, n'admettent pas l'exercice de la visite. Suivant ces principes, c'est une vérité fondamentale que les pavillons des États souverains, sur la pleine mer, sont indépendants les uns des autres. Cette indépendance continue de subsister même en temps de guerre pour les pavillons neutres, qui restent étrangers à la lutte des belligérants (4). S'il y a été fait, dans

(1) Un auteur va même jusqu'à dire qu'en droit naturel, malgré la guerre, «<l'indépendance du pavillon neutre, en pleine mer, est absolue; que, par conséquent, il (le pavillon) n'y est point soumis au droit de recherche ou de visite. » (RAYNEVAL, De la liberté des mers, tom. 1, part. 2, ch. 16 et ch. 22.) Mais cette assertion, même au point de vue du droit naturel, nous paraît exagérée : la visite pour les armes et munitions de guerre prohibées nous paraissant fondée, même en pure raison;

ce temps de guerre, exception, outre la vérification de de la nationalité, pour la recherche des armes et munitions de gnerre de contrebande, c'est qu'alors les belligérants ont le droit de s'assurer s'ils n'ont pas affaire à des ennemis déguisés ou à des neutres aidant l'ennemi. La loi conventionnelle, résultat de la coutume et de la concordance des traités, en établissant cette exception pour le temps de guerre, n'a donc fait que sanctionner un principe de raison, celui de légitime défense et du droit de conservation. Mais rien de pareil n'existe en temps de paix. La maxime de l'indépendance du pavillon reste entière en pareil temps, conservant toute sa force et toute son étendue. Les tribunaux de prises, les cours d'amirauté des principales puissances ont plusieurs fois sanctionné cette maxime par des jugements motivés. Tous les auteurs qui ont écrit sur le droit international maritime en proclament l'existence et la nécessité. Nous devons donc dire avec tous ces auteurs, et notamment avec le publiciste américain M. Wheaton, que le droit de visite et de recherche n'existe pas en temps de paix à moins d'un pacte spécial (1).

Deux ou un plus grand nombre de puissances peuvent en effet convenir entre elles que, dans certains cas et dans certain but, les croiseurs de l'une et de l'autre pourront visiter les navires marchands de chacune d'elles; mais comme une telle convention déroge essentiellement

quand on la renferme dans de légitimes limites, ainsi que nous aurons occasion de l'expliquer avec détail en traitant de l'état de guerre.

(4) « The right of visitation and search on the high seas by the armed and commissioned vessels of one nation upon the merchant vessels of another, does not exist in time of peace, unless by special compact, binding only on those who have freely consented to become parties to such compact. » (WHEATON, Enquiry into the right of visitation and search, 1842, p. 84.)

aux lois rationnelles et aux lois positives internationales, elle ne peut avoir d'effet permanent. C'est entre les parties contractantes une délégation réciproque d'un des attributs essentiels de la souveraineté, et une telle délégation est essentiellement temporaire. Quel que soit d'ailleurs le nombre des puissances signataires d'un pareil traité, toutes celles qui n'y sont pas parties restent dans le droit commun, et le principe de la prohibition de la visite en temps de paix demeure sauf.

Dans les années 1831 et 1833, la France et l'Angleterre ont donné l'exemple d'un pareil pacte spécial. Dans le but de réprimer efficacement la traite des noirs, elles conclurent à cette époque des conventions concédant, dans certains parages et sous certaines conditions, à des croiseurs anglais l'autorisation de visiter les bâtiments marchands français, et réciproquement, à des croiseurs français l'autorisation de visiter les bâtiments marchands anglais. Le 20 décembre 1841, par un semblable traité, la Grande-Bretagne, l'Autriche, la Russie et la Prusse. se concédèrent aussi un droit mutuel de visite (1).

De l'esprit et de la lettre de ces conventions de 1831 et de 1833, il résultait clairement que, conclues pour atteindre un résultat tout particulier, elles devaient n'avoir qu'une courte existence. Les précautions restrictives qui s'y trouvent stipulées, quant au mode de la visite, le nombre restreint des navires visiteurs et les mandats spéciaux dont ces navires devaient être pourvus, et qu'ils devaient exhiber avant de procéder à la visite, sont d'ailleurs une preuve que les puissances contractantes avaient compris que de pareils traités étaient une dérogation aux principes reconnus et pratiqués du droit des

(1) Voir ce traité à l'Appendice, annexe F.

gens. Aussi, quoique presque tous les États de l'Europe aient adhéré successivement à ces conventions, on n'en peut pas conclure que le principe de la visite du navire en temps de paix ait passé, ou puisse jamais passer dans le droit public des nations.

Peu après la mise en exercice de ces conventions, l'opinion publique s'émut en France et manifesta hautetement sa répulsion pour le droit mutuel de visite. Quelques actes abusifs commis par les Anglais, à l'encontre de notre commerce, virent peu d'années après motiver davantage cette répulsion. La Chambre des députés, dans deux adresses successives, celles de 1843, et 1844, exprima le vœu de « voir notre commerce maritime replacé sous la surveillance exclusive de notre pavillon ». Le gouvernement reconnut la nécessité de chercher, pour atteindre le but commun, la répression de la traite, des moyens autres que le droit de visite, devenu inefficace en même temps que compromettant pour les rapports des deux pays, et il ouvrit avec l'Angleterre des négociations qui aboutirent à une nouvelle convention, conclue le 29 mai 1845, portant suspension immédiate, et, dans un avenir prochain, abolition complète des premières, et obligation actuelle pour chacun des gouvernements d'entretenir sur la côte d'Afrique un certain nombre de navires de guerre destinés à empêcher la traite des noirs, les deux forces navales anglaise et française devant agir de concert.

L'article 8° de cette convention énonce cette vérité incontestable : « que le pavillon hissé par un navire n'est pas toujours un indice concluant de nationalité, et qu'il n'est pas dans tous les cas interdit de procéder à sa vérification. » La difficulté est de préciser dans quels cas et par quels moyens doit se faire cette vérification en temps.

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