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DORENAVANT le premier numéro de chaque trimestre aura un frontispice comme celui-ci, pour le plus grand ordre de la reliure. J'en donnerai incessamment pour les trimestres précédens.

REVOLUTIONS DE PARIS.

DU 9 AU 16 JUILLET 1791.

Rentrée des cendres de Voltaire à Paris.

La pompe de Voltaire

A

déterminée pour

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le

lundi 4 juil. t, n'eut lieu que le lundi 11. L'évasion de Louis XVI fut la cause de ce retard. Quand donc les sottises de la cour cesseront elles d'influer sur le destin des grands hommes, pendant leur vie et après leur mort? Le triomphe décerné à Voltaire par la nation ne pouvoit être suspendu que par quelque grande calamité publique; la perte d'un roi cu sa déposition n'en est pas

une.

Dimanche 10, le cortège de voyage, parti le matin de Brie-Comte-Robert, fit halte à Creteil, vers l'heure de la dinée (1), et s'attendoit à y trouver une nombreuse députation des hommes de lettres de Paris. Aucun d'eux ne fut à sa rencontre hors de la ville. A la trans'ation de Descartes, tous les amis de l'illustre défunt expatrié allèrent fort loin au-devant de lui.

La route étoit presque déserte jusqu'aux barrières. Nous ne répéterons pas ce qu'on trouve dans tous les journaux ; nous ne nous attacherons qu'aux détails intéressans et peu connus. La simplicité du charriot qui nous apporta les

(1) Des gens de la campagne, que nous rencontrâmes sur l'avenue de Creteil à Charenton, et à qui nous nous informâmes de Voltaire, nous répondirent naïvement: Voltaire dîne à Creteil,

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cendres du grand homme avoit son mérite, même à côté du char superbe qui les attendoit à Paris. C'étoit un spectacle touchant que la vue de ce cha riot ombra é de branchages verts, orné de devises ana ogues au temps, précédé des municipaux de chaque paroisse, et accompagné de gardes nationales, fières du dépôt précieux qui leur étoit confié. O soit avec avidité ee vers, devenu si expressif dans la circonstance actuelle, peint sur l'un des côtés de la voiture :

Si l'homme a des tyrans, il doit les détrôner..

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Sur l'autre panneau étoit écrit cet autre vers non moins frappant :

Si l'homme est créé libre, il doit se gouverner.

Derrière étoient plusieurs autres inscriptions faites à la main, et composées de l'abondance du

cœur.

A Charenton, les spectateurs commencèrent à devenir plus nombreux; on s'en apperçut aux cómestibles; le prix en étoit excessif. Jadis les princes mettoient la famine par-tout où ils passoient. Les hôtelleries du lieu crurent d voir rendre le même hommage à un philosophe. La municipalité n'eut pas connoissance apareinment de ce brigandage. Depuis la révolution, il ne doit plus être permis -de rançonner ainsi des patriotes.

Les reliques de Voltaire n'arrivèrent qu'à la nuit sur la place où fut la bastille. On les déposu dans un bosquet de lauriers et de roses, remplaçant les cachots où le poëte fut renfermé deux ou trois fois. Tout cela a l'air d'un songe; et pourtant il existe encore plusieurs des personnages qui furent les comp.ices ou les témoins de ces horreurs ministérielles. A son avénement au trône qu'il vient de souiller, Louis XVI rappela les parlemens; mais il n'eut garde de révoquer les lettres

de cachet et les décrets dont Voltaire rompit les liens en dépit de la cour. C'est que la cour craignoit davantage l'influence de ce seul homme que clle de tous les parlemens ensemble.

Tout Paris s'empressa d'aller en pélerinage au cercueil de Voltaire. Que ses cendres n'ont-elles pu conserver une étincelle de vie! que n'a-t-il pu entendre les propos dont il devint le sujet ou l'occasion! il seroit mort une seconde fois de plaisir. Au milieu de ce concert d'éloges de divers styles, un noir corbeau osa bien faire entendre son croassement sinistre: Dieu! tu seras vengé, s'écria un prêtre caché dans la foule.

Cet oiseau de mauvais augure ne croyoit pas être exaucé si vite. Des torrens de pluie tombèrent pendant la nuit et toute la matinée du lundi; mais la pompe triomphale n'en fut retardée que de quelques heures. L'opéra fut son premier reposoir. Les sapeurs ouvroient la marche comme à l'ordinaire. Pourquoi a-t-on toujours envie de rire quand on apperçoit ces grosses bedaines recouvertes d'un tablier de peau ? Mais cette fois-ci on n'y prit pas garde, heureusement. Le bataillon des enfans venoit ensuite; ces marionnettes bleuesde roi n'avoient guère affaire dans un pareil cortége; leur place étoit dans la députation des col· léges elles avoient leurs sapeurs, leur tambourmajor, leurs bonnets de peau d'ours, et sur-tout leurs épaulettes; tout cela fait pitié.

Les clubs suivoient, portant chacun sa bannière. Ce qui leur succédoit étoit d'un plus vif intérêt. C'étoit une compagnie de maçons, et une autre de forts de la halle. Ils n'avoient point d'uniforme, et n'en étoient pas moins remarqués. On dit qu'on va les habiller. Tant pis on n'en fera' que des gardes nationales ordinaires; ils cesseront d'être des hommes, et à coup sûr ils n'en deviendront pas meilleurs patriotes. Avec eux marchoient les habitans du faubourg de gloire, dits les bonnets de laine, n'ayant d'autres ornemens que leurs

piques; ces piques, les premières colonnes de la révolution. Une femme, vêtue en amazone, por toit leur bannière. Qu'en avoient-ils besoin, à côté du drapeau déchiré qu'ils remportèrent du siége de la bastille ?

Derrière eux étoient les maires des municipalités des environs. Pourquoi les sépara-t-on des offi. ciers municipaux de Paris? Ces beaux messieurs en habit noir de soie, eussent peut être été choqués du voisinage; mais il en fût résulté un contraste piquant pour les spectateurs. La couronne murale, portée par quatre hommes sous un costume antique, ne signifioit pas grand chose à côté des boulets et des cuirasses trouvés lors de la démolition du nid à tyrans, et placés sur un brancard avec le procès-verbal de l'assemblée des électeurs, de 1789. La bastille en relief, taillée dans une pierre des cachots, offroit un monument toujours nouveau, toujours précieux pour les amis de la liberté. Quand donc les châteaux de Bicêtre et de Versailles n'existeront-ils de même que par leurs simulacres? Nous en recommandons d'avance l'exécution au patriote Palloy. Un autre ouvrage de cet artiste citoyen s'offroit aux regards, et ne sembloit qu'un hors-d'oeuvre dans la pompe triomphale consacrée uniquement à Voltaire; c'est le buste et un médaillon de Mirabeau, au milieu de quatre autres portraits peints sur des enseignes forme d'écran. On aura peine à en deviner le

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choix.

Mirabeau et Desilles ;

Francklin et Rousseau.

en

Les deux derniers étoient plus que suffisans. Mais pourquoi Mirabeau encore? Et Desilles ! C'est à Louis XVI, ou à son chevalier d'honneur Bouillé, où à son capitaine des gardes, la Fayette, de suspendre ce portrait dans leur appartement.

Une députation assez mesquine des théâtres

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