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XXVIII

LETTRE DE D. CH.-ANTOINE BLANCHARD A MANOURY L'AINÉ LIBRAIRE A CAEN

Collection de l'auteur.

Monsieur et féal ami

Vous n'êtes sûrement pas content de ma négligence à répondre à l'honneur de la vôtre, mais ne vous fàchez point; je pouvois attendre encore plus de huit jours sans que vous pussiez m'accuser de manquer à l'usage de répondre dans le mois. Ma nièce dans deux lettres consécutives m'avoit fait espérer la vôtre qui, datée du 18 avril, ne m'est parvenue que le 29. Ainsi, comme vous voyez, j'ai encore de la marge, mais je n'en profite pas, me reprochant moi-même d'avoir tant tardé. Je vais vous en dire la raison.

Un moine-curé s'est avisé de faire, en faveur de son sentiment, un petit ouvrage de 20 et quelques pages. J'ai voulu le refuter; mon ouvrage en auroit bien contenu près de 60 ; je voulois vous l'envoyer pour le faire imprimer, si vous le jugiez à propos. Un voyage que j'ai fait à Rouen, forcément, a fait avorter mon projet. Je fus chez Vallée, libraire, rue de l'Ecole, prendre le Bref du Pape et quelques autres brochures; en jasant, il me dit qu'il faisoit imprimer un petit ouvrage de 48 pages contre un de mes confrères curé (de Bonneville la Louvet, à 6 lieues d'ici). La chose est plaisante; j'en fais un aussi contre lui. Oh bien, j'attendrai que le vôtre soit imprimé, et puis après l'avoir lu, je verrai ce que j'aurai à faire. Vallée m'avoit promis de me le faire passer; il n'en a rien fait. Comme l'auteur que j'ai aussi rencontré le même jour en allant à la messe à Bellefont, a bien à se plaindre du curé intrus de Bonneville, je ne doute pas qu'il ne l'ait bien mieux drappé que je n'aurois fait. Je me contentois de lui prouver qu'il n'étoit qu'un ignorant. A mon retour, j'ai montré mon travail à un de mes confrères très instruit en matière théologique; il m'en retranchoit ce qui me plaisoit le plus ; il vouloit que je changeasse bien des choses, il ne pensoit pas comme moi sur d'autres. Toute réflexion faite, je me suis déterminé à ne me pas faire imprimer. D'ailleurs ces matières-là ont été si souvent traitées qu'on ne peut plus guère dire rien de neuf. Tout ce qui me fait peine, c'est de n'avoir pas vu quelque ouvrage sur le serment proprement dit : par exemple, après avoir défini le serment, avoir prouvé par l'Hist. sacrée et profane jusqu'à quel point il est inviolable, l'horreur que l'on doit avoir d'un parjure, etc., faire toucher au doigt que, sans en excepter notre bon R., la 1re affaire et celle-ci, presque

tous les citoyens de tout état méritent ce titre. Je sçai qu'on répéteroit bien des choses que tout le monde sait, mais il est des vérités qu'on ne peut trop répéter et inculquer.

Mais revenons au voyage que j'ai fait à Rouen. Un drôle est venu s'annoncer chez nous pour le fils de M. le Maréchal de Broglie (Victor Amé de Broglie, comte de Lyon, chanoine honoraire d'Autun). Il parlait de toute la famille comme s'il l'étoit réellement, etc. Il emprunta 100 livres à un de nos Frères ; je le conduisis à Brionne où nous avons un moine jureur (qui sera curé dimanche); il lui emprunta sa voiture qu'il devoit lui renvoyer trois jours après, mais qu'il vendit. Ce moine a écrit de côté et d'autres. Enfin, notre escroc s'est fait arrêter auprès de Neuchâtel; on l'a mis en prison, puis on l'a conduit dans celle de Dieppe et enfin à Rouen. L'accusateur public sut qu'il étoit venu au Bec; il écrivit à notre Prieur pour savoir s'il ne pourroit pas se transporter à Rouen, ou du moins lui nommer ceux de ses Religieux qui avoient plus vu le soi disant Broglie. Le P. Prieur lui nomma le Religieux qui lui avoit prêté de l'argent et moi qui l'avois conduit. Deux jours après, deux cavaliers de Maréchaussée vinrent nous apporter une cédule pour nous rendre à Rouen au Palais, le 21 avril à 8 h. du matin. Là, en présence de plus de mille personnes, le geôlier amena notre escroc qui trouva fort mauvais qu'on n'eût pas fait paroitre l'avocat qu'il avoit choisi. On lui dit qu'il n'avoit pas voulu venir. Oh bien, dit-il, je plaiderai ma cause. Nous étions onze témoins contre lui, et je fus le seul qui n'en dis pas de mal. Il déclara s'appeler Victor-Ch.-Ant. Bayard, de St Paul aux Bois, tonsuré, ágé de 29 ans. Les témoins lui reprochèrent une lettre de change qu'il avoit fabriquée, un habit, une montre, etc., etc., etc., qu'il avoit escroqués, puis nos 100 livres, puis la voiture. Il parloit bien et en termes choisis; mais il ne put nier que la lettre de change qu'il avoit reçue, disoit-il, à Bruxelles. Pour ne pas vous ennuyer, il fut condamné par les juges et jurés à 6 ans de fer, mais avant tout à être transporté à Dieppe pour y être un jour de marché attaché à un poteau pendant deux heures avec un écriteau qui marqueroit son nom, sa profession, ses crimes et son jugement. J'ai appris depuis qu'il en avoit appellé, je ne sais où.

J'ai reçu, il y a environ deux mois, une lettre d'un de mes écoliers qui est la bas; il me faisoit des complimens de Mrs Durocher et Chandugné. Je n'en ai pas eu de nouvelles depuis; peut-être feront-ils leur commission eux-mêmes, au moins ils me le faisoient espérer.

Je fus voir mardi un gentilhomme à quatre lieues d'ici ; il me raconta une chose bien étrange; c'est que les curés intrus de ses environs ont fait accroire aux paysans que le Pape avoit excommunié tous ceux qui n'avoient pas juré. Avez-vous idée d'une pareille effronterie.

On dit que votre ville fait des réjouissances superbes tous les jours; a-t-elle envie de ramener les usages du Paganisme? Pendant que les Juifs dans leurs malheurs se couvroient de cendre, jeûnoient, etc., les Romains, pour fléchir les Dieux quand quelque fléau ravageoit leur pays, établissoient des jeux et des fêtes.

Ma nièce est bien embarrassée, elle n'oseroit aller loger à Montaigu; il faut avouer que nous avons eu trop bonne opinion de la sûreté publique quand nous avons loué cette maison. Du moins, nous avons bien fait de ne pas l'acheter. Je voudrois que M. Varignon, notre bon ami, lui trouvât de quoi se loger dans son quartier. Il y a longtemps qu'on nous chante que cela ira. On doit être bien content; cela ne va pas mal. N'y a-t-il point à craindre que les lanternes ne se garnissent? Tout le monde de tout parti est-il bien tranquille?

Nous sommes ici 28 moines qui jouissons, en attendant mieux, d'une grande tranquillité; Dieu veuille nous la conserver ! Il paroît qu'il n'est plus question du changement de costume; mais garre que nous n'ayons quelque éclaboussure de la nouvelle motion contre les Prêtres; nous en attendons des nouvelles demain.

Si vous avez du nouveau dans vos cantons, je vous prie de me le mander, et surtout parlez-moi de votre santé, de celle de M. Varignon à qui je vous prie de dire, ainsi qu'à sa respectable famille bien des choses de ma part. Je vous einbrasse l'un et l'autre de tout le cœur, et suis avec la plus cordiale et la plus constante amitié, Votre tout dévoué serviteur. (Paraphe 1).

Au Bec, le 17 mai 1792.

Respects, amitiés, complimens à ceux qui s'intéressent à moi. A Monsieur, Monsieur Manoury l'aîné libraire, près de la Halle au bled à Caen. Département du Calvados.

XXIX

INVENTAIRE SOMMAIRE DRESSÉ PAR LE PRIEUR DU BEC

Archives municipales de Bernay, Liasse du Bec.

Monsieur

Aussitôt que je reçus la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, je m'occupai du travail que vous m'avez demandé ;

Cette lettre n'est pas signée; mais plusieurs autres lettres de D. Blanchard, en notre possession, nous permettent d'affirmer que celle-ci est bien de lui.

comme vous exigez une prompte expédition, je n'ai pu faire qu'un état très sommaire de la bibliothèque. Si l'on vouloit prendre une notice exacte de tous les livres qui sont ici, il faudroit plusieurs moi3. Je me propose d'aller à Bernay cette semaine. J'aurai l'honneur de saluer MM. les administrateurs; ils me feront leurs observations sur l'état que je vous envoie. S'il y a quelque chose à ajouter ou à retrancher, je m'y prêterai volontiers. Si cependant, un de vous, MM., doit venir au Bec cette semaine je remettrai mon voyage à la semaine prochaine. Dans toute hypothèse, j'aurai l'honneur de vous renouveler de vive voix l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis, Monsieur. Votre très humble et obéissant serviteur.

Le Bec, ce 10 may 1791.

Etat sommaire

Marye.

des principaux meubles et effets de l'abbaye du Bec.

Argenterie de l'Eglise.

1° 3 calices de vermeil avec leurs patènes aussi de vermeil. 4 autres calices d'argent dont un est à la chapelle de l'Infirmerie, et un qui étoit à St Philbert a été prêté à l'église d'Annebaut pour suppléer à celui qui a été volé.

2o Un soleil de vermeil. Une grande croix processionale de vermeil; une petite croix de vermeil ; un bâton de chantre de vermeil et fort beau.

3o Un saint-ciboire de vermeil dans lequel est renfermé un petit saint-ciboire où sont les Stes Espèces.

4o Une croix d'argent avec un pied de bois couvert de lames d'argent; un encensoir d'argent avec sa navette.

5o Un plat d'argent avec une paire de burettes d'argent.

6o Un beau et très riche reliquaire de bois d'ébène orné partout d'un riche et rare jaspe oriental et de lapis-lazuli.

Il y a encore quatre autres châsses ou reliquaires : deux qui sont en cuivre doré, deux couvertes de feuilles d'argent.

Tableaux, bustes et figures.

Le crucifix du Jubé, au bas du choeur, est fort estimé des connaisseurs.

Il y a dans le réfectoire six grands tableaux qui passent pour être très bons; aux deux bouts de l'appartement, en face, sont les deux plus grands, l'un représentant la Pêche miraculeuse, l'autre le Repas du pharisien. Les quatre autres tableaux représentent les Quatre éléments; ce sont les meilleurs des six. Dans les deux alles il y a plusieurs tableaux qui ont leur mérite. Les autres

tableaux qui se trouvent dans différents endroits de la maison sont fort communs. En voici le détail :

1o La Visitation.

2o Le Repas de N. S. chez Marthe et Marie.

3o N. S. apparaissant à Madeleine sous la figure du jardinier. 4o La femme adultère.

5o Le Repas chez le pharisien.

6o La naissance de Dieu à la crèche.

7° Paysages de peu de valeur.

Dans le sallon Saint Jean dans le désert, tableau original. 5 tableaux représentant différents objets assez bons. 5 tableaux des papes savoir, Clément 13, Benoit 14, Rezzonico et Ganganelli ; Louis XV enfant et une princesse d'Espagne.

Dans le chapitre 13 tableaux grands et petits fort communs, représentant des relligieux et des mistères de la relligion. La tombe de marbre blanc de B. Herlouin avec son épitaphe.

Dans la chambre Ste Scolastique, 2 tableaux très communs.
Dans la chambre St Maur, 2 tableaux très ordinaires.

Dans le chapitre journalier, 7 tableaux représentant St Benoît et des supérieurs de la Congrégation.

Dans la chapelle de l'Infirmerie, 3 grands tableaux : la Mort de St Benoit, St Benoit dans le désert, N. S. au Jardin des olives. Dans la chambre St Placide, 5 tableaux, dont 4 figures antiques et un flûteur.

Dans la chambre St Lanfranc, 4 Pères grecs et St Bernard. Dans la bibliothèque, 13 tableaux moyens représentans différens chefs d'ordres et plusieurs personnages illustres; un buste en plâtre de Bouchardon représentant N. S.; 74 petits cadres représentans les rois de France.

Dans la sacristie, 9 tableaux de peu de valeur représentans différens saints et Jésus portant sa croix au Calvaire.

Bibliothèque.

Il y a plus de 3 000 volumes tant in-fol, qu'in-4°, in-8°, in-12, etc., parmi lesquels il y a des ouvrages de prix.

1o La Polyglotte de Le Jay en 11 vol. grand in fol., Paris, 1645. La grande Bible ou Biblia maxima, 19 vol. in fol., Paris, 1660. Plusieurs autres Bibles grandes ou petites, hébraïques, grecques, latines, françaises; les grammaires et dictionnaires hébraïques. 2o Les Pères grecs et latins, tant des anciennes que des nouvelles éditions. Saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Cyprien, etc., etc.

3° Maxima Bibliotheca Patrum, 27 vol. in fol., Lyon, 1677, avec un apparat qui sert de supplément à l'ouvrage, 2 vol. in fol., Paris, 1703, par Le Nourry, Bénédictin.

4° Les Théologiens tant anciens que modernes, tels que saint

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