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requête. Leur demande fut mise en délibération, et par 24 voix contre 19, on refusa l'entrée aux religieux réclamants. Les notaires furent seuls admis, vers dix heures et demie, et ils déposèrent sur le bureau la requête dont les prieurs étaient chargés. C'était une protestation contre la présence des députés de la province de Normandie que les signataires considéraient comme illégalement élus à la diète du Bec. Les quatre prieurs délégués étaient D. Robbé, du Bec, D. d'Albignac de Montal, de Saint-Vigor de Bayeux, D. de Mesnilgrand, de Saint-Etienne de Caen, et D. Le Maire, de Fécamp. Le 22 mai, les religieux réclamants appelèrent comme d'abus des entreprises de D. Mousso et de l'admission des députés de Normandie au chapitre général. Des consultations d'avocats, en faveur des protestaires, parurent coup sur coup, les 20, 21 et 27 juin 1781. Dans l'une d'elles il était dit que le conseil soussigné, consulté par les religieux officiers des dix-sept monastères « sur le renversement total que le prétendu chapitre général de la Congrégation de SaintMaur vient d'opérer à l'égard des prieurs, sous-prieurs, maîtres, procureurs et autres officiers des dix-sept maisons de la province de Normandie dont les prieurs étaient appelants comme d'abus de la diète tenue dans cette province et de tout ce qui pourrait s'ensuivre, appel relevé et dénoncé au chapitre général avant qu'on eùt commencé à y procéder à aucune élection; consulté sur le parti que doivent prendre les religieux officiers de ces dix-sept monastères lorsque les religieux qui prétendent être leurs successeurs se présenteront pour s'y installer et faire tenir chapitre à cet effet » est d'avis qu'ils ne seraient fondés à s'y opposer « qu'autant qu'ils souscriraient et adhéreraient à l'appel comme d'abus des 31 appelants de la province de la diète qui y a été tenue, de la nomination irrégulière qui y a été faite de ses députés au chapitre par 28 votants seulement, et négligeant de prendre le suffrage des 31 autres capitulants, et de tout ce qui a suivi, même dudit prétendu chapitre général ».

Néanmoins, les opérations du chapitre général de 1781 furent considérées comme régulières ; mais l'accord était bien loin de se faire au sein de la Congrégation.

L'Assemblée du clergé de 1782 avait cru devoir essayer de mettre un terme à ces troubles scandaleux. Sur un rapport de l'archevêque d'Arles, il fut décidé que quelques membres de l'Assemblée conféreraient avec le garde des sceaux sur les moyens de ramener la paix. Ceux qui furent adoptés par le ministère ne firent qu'accroître la discorde. Un arrêt du Conseil d'Etat du roi, du 21 juin 1783, convoqua un chapitre extraordinaire qui se tint le 9 septembre suivant, à l'abbaye de Saint-Denis, en présence ou plutôt sous la présidence effective des archevêques de Narbonne et de Bordeaux. II devait se composer du supérieur général et de six députés de chacune des six provinces de la Congrégation. Une convocation royale ne pouvait faire, de ce chapitre, qu'une assemblée politique avec des pouvoirs civils. Aussi les supérieurs majeurs avaient-ils fait signifier aux membres réunis des défenses formelles de procéder à aucun acte spirituel. Bien plus, le supérieur général D. Mousso, ayant eu vent des projets tramés contre lui, refusa de s'y rendre, ainsi que ses deux assistants, D. Bourdon et D. Brunet, ainsi que quatre visiteurs sur six. Néanmoins, l'assemblée de Saint-Denis se déclara canonique. Un membre s'était déclaré porteur de plus de deux cents protestations, et n'avait pu obtenir d'en faire lecture. D. Mousso fut destitué. Le supérieur général et ses deux assistants ne sachant plus de quel côté se tourner, finirent par où ils auraient dù commencer, c'est-à-dire interjetèrent appel à Rome; un arrêt du Conseil du roi frappa de nullité cet appel. Le chapitre de Saint-Denis aurait bien voulu procéder aux élections, mais l'arrêt de convocation du 21 juin n'autorisait à en faire de nouvelles « que s'il y avait lieu ». Il ne pouvait y avoir lieu qu'autant que les élections

En convoquant un chapitre extraordinaire à Saint-Denis, le roi disait au sujet de ses attributions, « auquel sera dévolue toute l'autorité de ladite Congrégation, et généralement toute la puissance qui appartient aux chapitres généraux ordinaires, de fixer les points litigieux des constitutions, pourvoir, s'il y a lieu, à toute supériorité, procéder à toutes les élections et faire, sous l'autorité desdits sieurs commissaires, tous réglements et ordonnances convenables pour l'administration de ladite Congregation, pour être ensuite lesdits règlements representes à Sa Majesté, et leur exécution ordonnée, s'il y a lieu ». Arrêt du Conseil

de 1781 auraient été viciées; or, le chapitre qui les avait faites, malgré les protestations dont il avait été l'objet, avait été canonique, et l'Assemblée extraordinaire de 1783 ellemême le reconnaissait. Du reste, les deux évêques qui prési daient comme commissaires du roi avaient ajouté d'autres irrégularités; le procès-verbal avait été rédigé chaque jour loin de ceux qui protestaient; on gènait la liberté des suffrages; on interrompait les opinants quand ils parlaient; on refusait même d'entendre les protestations 1. On crut remédier au mal en élisant, le 5 octobre, D. Ambroise Chevreux comme supérieur général 2. Ce fut inutile la confusion était à son comble, et l'on ne savait plus à qui entendre.

De nombreux appels comme d'abus n'avaient pas manqué d'être interjetés par les religieux mécontents, à l'occasion. des délibérations prises par le chapitre extraordinaire de Saint-Denis. Un arrêt du Conseil d'État du 8 janvier 1785, ordonna à tous les religieux de la Congrégation de reconnaître comme légitimes « les supérieurs majeurs et locaux. visiteurs et autres officiers nommés par le chapitre de SaintDenys », et de leur rendre obéissance sous les peines portées par les Constitutions autorisées par les lettres patentes du 21 juillet 1769. C'était maintenant le pouvoir royal qui se posait juge de l'obéissance due par les religieux à leurs supérieurs. Au Bec, comme sans doute dans beaucoup d'autres monastères, on récalcitrait contre cet arrêt. Qu'on en juge par la lettre suivante: « Abbaye du Bec, 28 janvier 1785. Monsieur. On vient de nous communiquer un arrêt du

d'Etat du roi du 21 juin 1783. Malheureusement, il n'appartenait pas au roi de rendre canonique un chapitre tenu en dehors du supérieur général; voilà pourquoi les résultats en furent à peu près nuls. Un autre arrêt du Conseil, du 12 juillet 1783, supprimait quatre écrits sortis de la plume de Mauristes mécontents, entre autres, un « Mémoire concernant la diète de la Cong, de Saint-Maur, dans la province de Normandie et le chapitre général de 1781, signé de D. Pierre Mousso, supérieur général, Bourdon et Brunet, assistants. >>

1 Picot, Mémoires, etc., V, 194 et 195; l'abbé Vanel, Nécrologe, etc., p. 343.

L'abbé Vanel, Nécrologe, etc., p. 343.

Conseil d'État du roi, en date du 8 de ce mois. Cet arrêt nous met dans un embarras dont nous ne pouvons sortir que par vos conseils. Nous sommes cinq qui étions bien décidés à former opposition à la visite que Dom Verneuil doit faire dans huit à dix jours dans notre maison. L'arrêt du Conseil ne nous intimide pas; mais nous ne sçavons quelle conduite tenir lors de cette visite. Pouvons-nous encore faire cette opposition? Dans quelle forme faut-il la faire? C'est sur quoi nous avons besoin de vos conseils que nous suivrons exactement. J'ai l'honneur d'être très respectueusement, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur. Fr. Guillotte ».

Collection de l'auteur. Cette lettre devait être adressée à un avocat. Les mots suivants qui sont en post-scriptum : « L'adresse à la dame veuve Filoque, au Bec », indiquent suffisamment le caractère clandestin de la correspondance.

CHAPITRE XXIII

Yves de Marbeuf, 45° et dernier abbé. Diète provinciale de 1788 tenue au Bec. La Révolution et l'ordre monastique. Premières spoliations. Suppression des ordres religieux. Sentiments des habitants du Bec à l'égard des religieux. Inventaire du mobilier de l'abbaye. Le serment de liberté- égalité. Evacuation de l'abbaye. Translation du corps d'Herluin dans l'église paroissiale du Bec.

L'abbaye, mise en économat en 17661, fut donnée en 1782 à Mgr de Marbeuf qui devait être le dernier abbé du Bec.

Yves-Alexandre de Marbeuf était né en 1734, d'une noble famille des environs de Rennes. Nommé, jeune encore, chanoine-comte de Lyon, conclaviste du cardinal de Luynes, député à l'Assemblée du clergé en 1760, abbé de Saint-Jacut en 1761, vicaire général de l'archevêque de Rouen (22 juillet 1759-1765), il fut sacré évêque d'Autun le 11 juillet 1767, et entra en 1777 au conseil du roi, avec la feuille des bénéfices. Ce fut sans doute pour l'aider à soutenir son rang à la cour que la commende du Bec vint s'ajouter à tous ces titres. En 1788, Yves de Marbeuf succédait à Mgr de Montazet sur le siège primatial de Lyon 2.

Le prieur de l'abbaye, D. Philippe-Nicolas Dupont, fut l'un des députés de l'ordre du clergé à l'assemblée du département de Pont-Audemer 3 qui se tint, en 1788, au manoir

Voir Additions, à la fin de ce volume.

Antoine de Malvin de Montazet mourut le 3 mai 1788.

3 Sur ces assemblées de département ou d'élection créées par l'édit de juin 1787, voir le vicomte de Lucay, Les Assemblées provinciales sous Louis XVI, p. 196. Paris, 1871, in-8.

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