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huit ans, le 29 juillet 1722. Vingt ans plus tard, il était prieur de Saint-Vigor de Bayeux, d'où il était nommé abbé régulier de Saint-Martin de Séez1, l'une des six abbayes de l'ordre de Chezal-Benoit, qui, réunies en 1636 à la Congrégation de Saint-Maur, avaient conservé le privilège d'être administrées par des abbés triennaux nommés par le chapitre général de la Congrégation. Poussé par ses légistes et ses courtisans qui voyaient d'un mauvais œil ces abbayes soustraites à la commende, le roi voulut les avoir dans sa main, et le 17 décembre 1763, il disposa de ces abbayes en faveur de plusieurs prélats et abbés. Les brevets portaient que la nomination à ces abbayes appartenait au roi; qu'elles étaient vacantes de fait et de droit, et que le roi et quelques-uns de ses prédécesseurs avaient négligé d'y nommer. La raison alléguée était au moins étrange. Un procès s'ensuivit, et le 1er septembre 1764, le Parlement rendait un jugement déclarant que les six abbayes étaient à la nomination du roi, et maintenait en possession ceux qu'il y avait nommés par brevet.

D. Boudier, qui après deux triennats passés à l'abbaye de Saint-Martin de Séez, avait été nommé prieur du Bec en 1760, reçut en cette circonstance les deux lettres suivantes :

« A Sens, le 19 septembre 1764.

« Je reçois, mon cher prieur, de vos nouvelles avec une vraye satisfaction. Votre trop long silence m'avoit fait craindre que vous ne m'ùssiez oublié. Il est certain que vous avez perdu le procez concernant vos abbayes, à quoy je m'attendois, et cette perte pourra vous mener beaucoup plus loin. J'avois fort conseillé à votre régime de ne point plaider dans les circonstances présentes, et de présenter simplement au Roy les remontrances les plus respectueuses à ce sujet. Ils ne m'ont pas crù. Vos Pères se sont réjouis de la destruction

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L'abbé Vanel. Nécrologe des bénédictins de Saint-Maur décédés à Saint-Germain des Prés, p. 342, Paris, 1896, in-4°. D. Boudier, après avoir été pendant deux triennats supérieur général de la Congrégation de St-Maur, fut nommé prieur de l'abbaye de Saint-Denis; il mourut le 26 octobre 1787.

des Jésuites, ainsi que plusieurs autres ordres religieux. Je leur ai dit qu'ils ne sçavoient ce qu'ils faisoient, et que s'ils ne pleuroient pas sur le sort des Jésuites, ils pleureroient bientôt sur le leur; je n'ai été que trop prophète. Comptez toujours, mon trez cher prieur, sur une sincère et véritable amitié pour vous. Le cardinal de Luynes1. »

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De son côté, l'évêque de Lombez écrivait à D. Boudier:

« Du 20 février 1765.

« C'est toujours avec un nouveau plaisir, mon cher prieur, que je reçois les nouvelles preuves de votre tendre amitié; je suis également sensible aux voeux obligeans qu'elle vous inspire pour moi dans ce renouvellement d'année. Je n'en fais pas de moins sincères et de moins étendus pour votre satisfaction. La mienne seroit plus grande, mon cher prieur, si j'étois à portée de vous voir plus souvent et de m'entretenir avec vous. J'ai vu dans le temps avec beaucoup de peine. votre ancienne abbaye de Séez mise en commende, ainsi que les autres qu'on vous a enlevées par la même voye; il paroît qu'on est plus que jamais dans le goût des innovations, et les suites en sont fort à craindre. Vous avez dû vous féliciter que cela ne soit point arrivé pendant que vous en étiez abbé; j'en aurois été aussi plus fàché à cause de vous, et je pense bien qu'aimant votre ordre comme tous les bons religieux, ce coup vous auroit été trop sensible. J'ai l'honneur d'être avec un attachement respectueux, mon trez cher prieur, votre trez humble et trez obéissant serviteur. Jacques, évêque

de Lombez2 ».

L'année suivante, Dom Pierre-François Boudier était élu supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur, dans le chapitre qui fut tenu à Saint-Germain des Prés, le 25 novembre 1766.

Depuis son retour de la campagne de Hanovre, le comteabbé de Clermont ne faisait guère parler de lui. « Le général

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des Bénédictins, comme on l'avait surnommé dans la dernière guerre, était désormais averti de songer tout de bon à se réformer. Pendant cette période de déclin, le comte de Clermont vécut plus habituellement dans une petite maison. qu'il avait rue de la Roquette. Il subit la loi du temps: il devint dévot avec les années. C'est alors sans doute que, pour apaiser ses scrupules et pour épurer le passé, il contracta un mariage de conscience avec Mile Leduc. Il ne fit que suivre le courant de l'opinion publique en se mettant du parti contraire à la Cour dans l'affaire des Parlements, et en s'abstenant de paraître à la séance royale pour le Parlement Maupeou. Cependant il put, ainsi que les autres princes du sang engagés dans la méme opposition parlementaire, entendre vanter, à cette occasion, son courage civil et ses vertus de citoyen. Il mourut le 16 juin 1771, avec cette légère auréole de popularité. Comme il était bienfaisant et charitable, il fut regretté par les pauvres gens de son faubourg1. >>

En 1774, alors que l'abbaye était en économat, un bail ou ferme générale fut passé avec une société de trois membres solidaires, moyennant un loyer annuel de 140,550 livres. Cette opération fut avantageuse pour tout le monde, car les sous-baux passés par la société fermière produisirent environ 199,500 livres par an. De ce total, il convient de mettre en défalcation la part relativement considérable qui revenait aux fermiers comme prix de leur gestion ou de leurs avances de fonds. En 1780, un nouveau bail est passé au loyer annuel de 192,600 livres. Un troisième bail, signé le 20 mars 1784, devait commencer le premier janvier 1787 et expirer le 31 décembre 1795. La Révolution l'empêcha d'arriver à sa fin.

Sainte-Beuve, Le comte de Clermont, etc., p. 73. Sur la mort chretienne et les obsèques du comte de Clermont voir l'abbé Vanel, Nécrologe, etc., p. 334.

* Le Revenu de l'abbaye du Bec à la fin du xvir® siècle, par M. Chanoine Davranches, dans La Normandie, novembre 1897. Plusieurs baux passes devant le notaire d Harcourt mentionnent, en 1787, la presence de « Pierre-Armand Foucquet, receveur de l'abbaye du Bec, demeurant au palais abbatial dudit lieu, au nom et comme fondé de la procuration généralle et specialle du sieur François Chanoine, fermier général des biens et revenus de la manse abbatiale de ladite abbaye ».

CHAPITRE XXII

Graves dissensions au sein de la Congrégation de Saint-Maur. Diète provinciale de Normandie tenue au Bec en 1781. Chapitre extraordinaire tenu à Saint-Denis en 1783. L'arrêt du 8 janvier 1785 et les religieux du Bec.

Au moment où les querelles du jansénisme semblaient perdre de leur acuité, un acte de la plus haute gravité était venu renouveler l'agitation au sein de la Congrégation de Saint-Maur. Le 15 juin 1763, vingt-huit religieux de l'abbaye de Saint-Germain des Prés adressaient au roi une requête dans laquelle, non contents de signaler certains abus qui s'étaient glissés dans l'administration de leur monastère, ils se plaignaient des pratiques introduites dans l'ordre bénédictin, d'un habillement singulier et « avili aux yeux du public », d'austérités étrangères, disaient-ils, à la lettre de la règle. Ils demandaient une législation nouvelle, un habillement ecclésiastique modeste et décent, une nourriture simple et commune, et le réveil pour les matines à une heure plus commode. Ils ne voulaient être regardés que comme des ecclésiastiques, et offraient de se charger, dans chacune des six provinces de l'ordre, de l'éducation de dix jeunes gentilshommes, nommés par le roi'. Cette requête fut signée du prieur, D. Pierre Boucher, du doyen et du secrétaire de la communauté, de DD. Henry et Taschereau, continuateurs

1 L'imprimé suivant, condamné à être lacéré et brûlé par la main du bourreau: Lettre d'un religieux bénedictin de la Cong. de St-Maur à un magistrat sur la triennalité des supérieurs de la même Congrégation, 1763, avait donné le signal de cette controverse.

du Gallia christiana, Poirier et Précieux, continuateurs du Recueil des historiens de France, Berthereau, de Brézillac, Bourotte, Caffiaux, Coutant, Haudiquier, Labbé, Lièble, Pernety, etc. Le lendemain, deux religieux portèrent la requête à l'évêque d'Orléans, de Jarente, qui se chargea de la présenter au roi. Ce factum et les observations qui l'accompagnaient parurent imprimés, et causèrent autant d'indignation que de surprise. On n'était pas encore accoutumé à voir des religieux rougir de leur habit, de leur nom et de leurs obser

vances.

Ce fut un eri unanime dans l'Assemblée du clergé qui se tenait alors. Le roi fit témoigner aux supérieurs majeurs combien il était mécontent de la démarche des religieux de Saint-Germain. De son côté, l'archevêque de Paris, irrité de ce scandale qui éclatait dans son diocèse, provoqua des réclamations. La première et la plus énergique vint des religieux des Blancs-Manteaux. Dès le 30 juin, ils arrêtèrent les termes d'une requête au roi pour protester contre la démar

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1 L'Assemblée du clergé de 1765 voulut remédier à ce mouvement de décadence qui se manifestait dans un certain nombre d'ordres religieux. La commission chargée de présenter un rapport nomma rédacteur l'archevêque de Toulouse, Lomenie de Brienne. Celui-ci proposa une réforme générale : on devait recourir au Saint-Siège qui serait sollicité de nommer des cardinaux ou des évêques commissaires, qui, au nom du pape, rétabliraient l'ordre et la régularité. Le Conseil d'Etat du roi, auquel fut soumise cette délibération, ne voulut pas — c'était aisé à prévoir entendre parler de recours au pape, et donna l'ordre à l'Assemblée du clerge de suspendre ses séances. Pendant la prorogation, Louis XV signifia que la réforme des ordres religieux ne regardait que lui; en conséquence, et malgré les remontrances de l'Assemblée du clergé qui avait repris ses séances, le roi nomma deux commissions, l'une dite des Réguliers, et l'autre des deux Puissances. L'archevêque de Toulouse fut l'àme de la commission des Réguliers et son influence fut déplorable. C'est une figure vraiment répugnante que ce Loménie de Brienne. Ennemi des ordres religieux, il ne prit la charge de les reformer que pour mieux les affaiblir; devenu ministre sous Louis XVI, il quitta les affaires et les laissa dans le plus effrayant désordre pour aller recevoir à Rome le chapeau de cardinal que le roi avait eu la sottise de solliciter pour lui. A la Constituante, à la Législative, à la Convention, il prêta tous les serments qu'on voulut: il renvoya dédaigneusement au pape les insignes du cardinalat, abdiqua ses fonctions sacrées, et finit par s'empoisonner pour éviter la mort a laquelle l'avait condamné le comité de Salut public. (Voir : Morellet, Mémoires, II, ch. xxIII.)

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