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prenant le titre « d'official et d'archidiacre ordinaire du lieu », fit signifier à ce prêtre de cesser ses fonctions, et le religieux par lui désigné put reprendre son service paroissial. Le 13 janvier 1692, le même prêtre reparut avec une nouvelle commission, signée cette fois de l'archevêque qui s'y prévalait de son titre d'abbé du Bec, prétendant qu'il lui donnait le droit de commettre un prêtre pour desservir ladite église. Le prieur fit dresser opposition par huissier; il se regardait comme le grand vicaire, l'official, l'archidiacre-né, non des archevêques qui avaient cédé leurs droits, mais de l'abbaye; l'archevêque était considéré comme métropolitain, primat de Normandie, et nullement comme diocésain et ordinaire. D. Charles Aubourg alla trouver Colbert; mais soit faiblesse, soit tout autre cause, il ne crut pas devoir soutenir à fond les prétentions de son monastère, et pour éviter un scandaleux conflit, uniquement « par tolérance », il consentit à ce que le prêtre commis par l'archevêque desservît la paroisse du Bec, ajoutant que l'archevêque ne devait regarder cet acquiescement que comme un effet du respect sincère des religieux pour lui. Quelques jours après, sur la demande du prieur lui-même, qui paraît avoir été un homme assez accommodant, Colbert fit examiner le religieux-curé commis précédemment par le prieur, et lui conféra la cure du Bec « de plein droit, disaient les lettres de collation, à raison de sa dignité d'archevêque de Rouen et d'abbé du Bec, et avec réserve expresse du droit de déport1».

L'attitude que prenait Colbert portait une grave atteinte à l'exemption des religieux. En effet, ceux-ci prétendaient: 1° que de temps immémorial, le prieur exerçait en première instance les droits d'officialité sur les prêtres, clercs et ha

Les moyens et les preuves de l'exemption des religieux sont longuement exposés dans un factum ms. intitulé: Exposition sommaire de l'exemption de l'abbaye du Bec-Hellouin et de la juridiction ecclésiastique et ordinaire qui appartient aux religieux d'icelle sur la paroisse, curé et paroissiens dudit lieu. Rédigé par ordre, en 1692, par D. Massuet. (Archives de la Seine-Inférieure G. 1308.) A la fin de ce mémoire se trouve une lettre de D. Massuet au prieur du Bec relative à la pénitence publique et à l'absolution des cas réservés. Nous l'avons publiée dans notre étude : L'Abbaye du Bec au XVIIIe siècle, p. 74.

bitants de la paroisse du Bec, sauf appel à l'official de Rouen; 2° qu'à l'exclusion de l'archidiacre de Rouen, le prieur faisait la visite de l'église et recevait les comptes des trésoriers; 3° qu'il possédait le droit de déport après le décès du vicaire perpétuel ou curé; qu'il accordait les dispenses de bans; 4° enfin, que le prieur nommait et approuvait les religieux pour entendre les confessions dans l'église de l'abbaye et dans celle de la paroisse 1.

Redoutant le crédit dont l'archevêque jouissait à la cour, les religieux n'osèrent pas pousser plus loin l'affaire, se réservant de la reprendre à 'meilleure occasion. Le 19 juil let 1717, Mgr Claude-Maur d'Aubigné vint en personne faire la visite canonique de l'église paroissiale: les religieux, représentés par leur procureur, firent dresser par-devant notaire une protestation qui fut remise à l'archevêque à huit heures du matin, avant qu'il eût procédé à sa visite. Il y était dit, « qu'au cas que contre plusieurs remontrances également fortes et respectueuses, il semble faire la visite paroissiale dudit lieu qu'ils prétendent exempte, ils entendent s'opposer formellement..... comme à un attentat fait aux droits et aux privilèges de cette église et abbaye fondés sur la concession de Guillaume, en son tems archevêque de Rouen.....; décla rent que leur abbé, le comte de Clermont, n'étant nommé que depuis deux ou trois jours, n'a pu ni savoir ni empêcher ladite entreprise du seigneur archevêque; et ils protestent de nullité contre tout ce qui pourroit être tenté ». L'archevêque passa outre et fit la visite, puis il vint à l'église de l'abbaye, mais n'y fit aucun acte de juridiction 3.

En 1720, sous Mer de Bezons, de nouvelles difficultés surgirent; mais pour éviter une procédure « qui deviendrait de conséquence », l'archevêque consentit à s'en rapporter à la décision de « messieurs du conseil de S. A. S. Mer le comte de Clermont », au sujet des droits d'officialité, déport, visite, etc., pourvu que de son côté la communauté voulût se sou

Archives de la Seine-Inférieure, G. 1308. Archives de la Seine-Inférieure, G. 1308. 3 Mémoire pour servir, etc. Archives de l'Eure.

mettre à leur décision. Les religieux, au nombre de trentedeux, capitulairement assemblés le 2 mai 1725 sous la présidence du prieur D. Joseph Le Paulmier, acceptèrent l'arbitrage et promirent de s'y soumettre « comme à un arrêt de cour souveraine 1. »

Comme c'était à prévoir, l'affaire fut jugée en faveur de l'archevêque, qui était alors Mer de Tressan.

Une vingtaine d'années plus tard, on voit les religieux se plaindre que l'abbé Terrisse, grand archidiacre de Rouen, avait fait faire, en 1742, la visite de l'église paroissiale par le doyen de Bourgtheroulde; mais ces réclamations n'avaient plus d'écho. Dans un mémoire rédigé vers cette même époque par l'abbé Terrisse lui-même, on n'opposait même plus aux prétentions des religieux les preuves de droit, et le grand archidiacre se sentait assez maître de la situation pour dire à ses adversaires, avec un dédain assez peu contenu : « Les prieurs du Bec ont varié sur le titre qu'ils prenaient; les uns se qualifiaient officiaux, ou juges ordinaires de l'exemption du Bec, et en cette qualité ils exerçaient toute la juridiction épiscopale sur la paroisse ; d'autres ont pris la qualité d'archidiacres du Bec, ce qui ne dénoterait qu'une juridiction subordonnée; enfin, quelques-uns ont cru qu'ils étaient officiers et vicaires généraux-nés des archevêques. Quand M. d'Aubigny fit sa visite, le prieur lui dit qu'il était son official et son grand vicaire; il fit néanmoins la visite, et lui défendit de prendre à l'avenir une qualité qu'il ne lui avait point conférée ; et depuis ce temps les prieurs du Bec, après avoir perdu la jouissance de leur prétendu privilège, ont perdu jusqu'aux titres qui pouvaient encore en conserver quelques vestiges 2. »

1 Extrait du registre des délibérations capitulaires du Bec. Archives de la Seine-Inférieure, G. 1308.

2

Défense de la juridiction de Mgr l'archevêque de Rouen sur l'église et paroisse de Saint-André du Bec (par l'abbé Terrisse). Archives de la Seine-Inférieure, G. 1308. La dernière pièce importante que renferme la liasse 1308 sur cet interminable conflit est une Réponse de Mgr l'ar. chevêque de Rouen au Mémoire des religieux du Bec. Ce factum rédigé ou plutôt terminé le 24 février 1744, par l'abbé Cornet, secrétaire de Mgr de Saulx-Tavannes, montre que les bénédictins se soumettaient

malaisément au droit de l'archevêque il peut se résumer ainsi : M. d'Aubigné successeur de M. Colbert fit la visite de l'église du Bec, au mois de juillet 1718, et pendant tout son épiscopat, il a exercé une pleine juridiction sur la paroisse. M. de Bezons se pourvut auprès du conseil du comte de Clermont où l'affaire fut définitivement décidée en faveur de l'archevêque. Avec une possession aussi constante de la part des archevêques, on peut s'étonner que les religieux du Bec portent encore aujourd'hui des plaintes au conseil de son Altesse où l'affaire a été discutée et terminée il y a vingt-quatre ans. Au fond, l'archevêque a pour lui le droit commun, et sans examiner si les religieux ont eu une exemption, il suffit à l'archevêque de Rouen de prouver qu'ils n'ont plus la possession, et ce défaut de possession, suivant les canonistes, suffit pour anéantir les prétentions les mieux établies.

CHAPITRE XXI

Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, quarante-quatrième abbé. Travaux d'embellissement dans l'église. La procession du Roumois. Le duc de Brancas se retire au Bec. Le Jansénisme à l'abbaye. Reconstruction de la maison abbatiale et des bâtiments conventuels. Caractère du comte de Clermont. Arrêt du Conseil sur l'aumône générale. D. Pierre Boudier, prieur du Bec. L'abbaye mise en économat. Ses revenus au XVIe siècle.

Au mois de juillet 1717, le roi, ou mieux le régent, nommait à la commende du Bec un prince du sang, Louis-Alexandre de Bourbon-Condé, comte de Clermont. On le tonsura pour la circonstance, pendant les fêtes de Noël, après que les cérémonies de son baptême eurent été suppléées. Il avait huit ans. Il prit, par procureur, possession de son abbaye le 19 avril 17181.

Sainte-Beuve a tracé du jeune abbé un portrait peu flatteur, assurément; il a le mérite d'être fidèle. «M. le comte de Clermont était le frère cadet de M. le duc, qui fut quelque temps premier ministre, du comte de Charolais, si connu par ses férocités et ses frénésies; il était le frère aîné de ces trois sœurs mondaines, à l'allure libre et au parler franc, Mile de Charolais, Mile de Clermont, Mlle de Sens, desquelles il n'aurait fallu ne rien savoir pour en faire des héroïnes de roman sentimental, comme l'essaya un jour Mme de Genlis pour Mile de Clermont. Né le 15 juin 1709, on le destina de bonne heure à l'état ecclésiastique, ou du moins à des bénéfices d'Eglise.

Mémoire pour servir, etc. Archives de l'Eure.

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