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La demande, si convenablement exprimée, des religieux du Bec fut favorablement accueillie de leur abbé. Dès le 5 juillet suivant, un délégué de l'archevêque, M. Jacques Saillard, prêtre, curé-chanoine de Notre-Dame de la LondeCommin, doyen rural de Bourgtheroulde, et docteur en théologie de la maison de Sorbonne, présida à l'ouverture du tombeau du bienheureux Herluin.

On trouva dans le sarcophage un corps revêtu d'une chasuble, ayant à sa gauche une crosse de bois, et à ses pieds et jambes des pantouffles (?) et de petites bottines; ledit corps étant dans sa situation naturelle, sans qu'aucune partie fut déplacée, quoique toutes les chairs fussent consommées; la tête un peu recourbée parce que le tombeau était trop court, la mâchoire belle, les dents blanches, les mains sur la poitrine, la crosse n'ayant point de bout recourbé peut-être à cause de la petitesse du tombeau; une des pantouffles décousue par le bout laissait voir très distinctement les doigts du pied. Après que l'assemblée eut considéré le saint dépôt, on recouvrit le tombeau qui fut scellé; le procès-verbal fut dressé et les principaux témoins le signèrent. Parmi eux nous citerons D. Haudard, prieur du Bec, D. Guillaume Le Clerc, sous-prieur, Lanfranc Pinard, curé de Saint-André du Bec; D. Guillaume Bessin, l'éditeur des Conciles de Normandie, D. Jean-François Le Turquier, professeur de théologie; Choppin, avocat et bailli de l'abbaye; Ancourt, gardien du cachet de M. l'archevêque; Desjardins, chirurgien, Saillard, curé de la Londe, et le secrétaire Priot.

Cet intéressant document fut immédiatement envoyé à l'archevêque de Rouen qui en témoigna sa satisfaction par une lettre datée de Paris, le 22 juillet 1707. Quelque temps après, Mgr Colbert permit que l'on fit un office solennel de la Sainte Trinité à l'anniversaire du bienheureux Herluin, ce qui fut exécuté le 26 août suivant. La communauté fit confirmer cette autorisation par le chapitre général qui se tint à Marmoutier

tirés des Notes mss. de M. l'abbé Caresme; nous ignorons ce que sont devenues les pièces qu'il a consultées à ce sujet.

Il nous apprend, dit l'abbé Caresme, que la communauté du Bec se composait alors de 40 religieux, compris le prieur.

en 1708, et en obtint de plus la permission de faire une station à la chapelle de la Vierge, aux processions qui ont lieu les dimanches et fêtes dans l'église et le cloitre; ce qui s'est fidèlement observé depuis1.

Colbert mourut le 10 décembre 1707. S'était-il proposé de reprendre pour son compte la question de la béatification d'Herluin? Nous ne savons. En tout cas, lui mort, les religieux étaient impuissants à poursuivre utilement cette affaire. D'ailleurs, le successeur de Colbert dans la commende du Bec était un abbé plus que mondain, un espèce de soldat tonsuré. Que lui importait que le fondateur de son abbaye fût publiquement honoré sur les autels?

Si les religieux n'eurent pas le bonheur de voir placer sur les autels les ossements de leur pieux fondateur, du moins ils tinrent à honorer magnifiquement sa sépulture. En 1714, ils firent placer sur son tombeau une dalle de marbre blanc, d'environ huit pieds de longueur, portée par six petits pilastres de marbre jaspé. Ce monument qui s'élevait à environ deux pieds au-dessus du sol, coûta 1 200 livres. Un bénédictin originaire de Conches, D. Guillaume Roussel, composa la longue épitaphe que l'on grava en lettres d'or sur la tombe du vénérable Herluin2.

La liturgie en usage au Bec depuis l'introduction de la. Réforme était celle de la Congrégation de Saint-Maur, car les Constitutions prescrivaient l'usage uniforme du bréviaire, du missel et du cérémonial bénédictins concédés par Paul III; et si quelques monastères, en vertu d'un usage immémorial, avaient conservé des offices particuliers, on devait les réunir dans un volume édité séparément, et soumis à l'approbation du chapitre général3.

Le Proprium locale, seu festa propria regalis abbatiae Beatae Mariae de Becco qui forme un petit volume in-8° de 139 pages, imprimé à Rouen chez Etienne Machuel en 1766,

'Notes mss. de M. l'abbé Caresme.

* Mémoire pour servir, etc. Archives de l'Eure; D. Bourget, The His tory of the royal abbey of Bec, p. 95; Ducarel, Antiquités anglo-normandes, p. 167-168. Voir cette inscription, Appendice no 25.

3 Constitutiones, etc., pars I. cap. 1, p. 116 et 117.

avait pour but de garder la mémoire de deux catégories de saints en vénération depuis des siècles à l'abbaye ceux que leur naissance, leur séjour, ou une dévotion particulière rattachaient à la Normandie, et les saints d'Angleterre. Le Proprium locale comprenait les oraisons, hymnes et leçons de l'office du jour et de la nuit.

Moins heureux que Saint-Wandrille ou Jumièges, le Bec ne pouvait inscrire sur ses diptyques les noms de toute une pléiade de ses moines. Le culte d'Herluin, on l'a vu tout à l'heure, ne fut jamais canoniquement établi, et le jour anniversaire de sa mort, on faisait l'office de la Sainte Trinité sous le rite double de première classe de premier ordre. Lanfranc, l'ardent promoteur de la réforme du clergé normand et saxon, le professeur célèbre, le grand politique, est sans doute appelé saint et bienheureux dans quelques martyrologes cités par d'Achéry en tête de l'édition de ses œuvres1; mais son culte n'exista jamais au Bec. Le nom de saint Anselme était une glorieuse compensation, et nul autre, parmi les monastères normands, n'avait compté au nombre de ses abbés un docteur de l'Eglise 2.

Les religieux de la Congrégation de Saint-Maur, en succédant à l'ancien ordre du Bec, reprirent pieusement ses traditions liturgiques, et insérèrent dans leur Proprium locale les légendes des saints dont le culte était immémorial dans l'abbaye. Nous citerons entre autres, en suivant l'ordre du calendrier saint Evroul, le fondateur de l'antique abbaye d'Ouche; saint Blaise, dont le Bec avait possédé une relique insigne; saint Ansbert, évêque de Rouen; sainte Honorine, patronne du prieuré de Conflans, soumis à l'abbaye dès le XIe siècle; saint Leufroy, le fondateur du monastère de La Croix, au diocèse d'Evreux; saint Alexis, objet d'une dévo

2

Lanfranci Opera, Venise, in-fol., p. 36.

D. Jean Beaucousin, né à Rouen, profès à Jumièges le 13 septembre 1712, « est auteur, dit D. Tassin, des hymnes qu'on chante dans l'abbaye du Bec en l'honneur de saint Anselme ». D. Beaucousin mourut, jeune encore, le 30 septembre 1723 (Hist. litt. de la Cong de Saint-Maur, p. 783). L'office de saint Anselme « ad usum monasterii Beatae Mariae de Becco» parut en 1722 chez la veuve Vautier, à Rouen.

tion populaire au Bec et aux environs; saint Wandrille, fondateur de Fontenelle; saint Taurin, premier évêque d'Evreux; saint Philbert, abbé de Jumièges; saint Nicaise, et saint Mellon, fondateur de l'église de Rouen; saint Ymer, solitaire du Jura bernois, dont le culte existait dès le x1° siècle au diocèse de Lisieux, dans une collégiale devenue un important prieuré de l'ordre du Bec.

Les saints anglais tenaient aussi une place importante dans le Proprium locale. Il avait existé, durant des siècles, des liens trop étroits entre l'abbaye et le royaume d'Angleterre pour que les saints saxons et hibernois ne fussent pas en vénération chez les moines normands: c'est ce qui explique la solennité de l'office, ordinairement du rite double, que l'on faisait de saint Brendan, si populaire dans le haut moyen âge; de saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry; de saint Néot, dont on conservait les reliques au Bec; de saint Wulgan, le célèbre thaumaturge; de saint Edmond, le roi martyr, et de saint Laurent, archevêque de Dublin, qui mourut à Eu, en 1181.

CHAPITRE XX

Roger de la Rochefoucauld, 43° abbé. Grand procès de partage. La mense abbatiale affermée aux religieux. Rachat de la capitation. Travaux d'embellissement à l'église de l'abbaye. Mort de l'abbé de La Rochefoucauld. Une visite sensationnelle à l'abbaye. Conflit avec l'archevêque de Rouen au sujet de la visite de l'église paroissiale du Bec. Fin de l'exemption du Bec.

Mgr Nicolas Colbert était mort le 10 décembre 1707. A la requête de l'avocat du roi, le Bureau des finances déclara en régale l'archevêché de Rouen et l'abbaye du Bec, et en adjugea les fruits au roi'. Dès le lendemain de la mort de l'archevêque, le roi donnait la commende du Bec à l'abbé de La Rochefoucauld. Roger, né le 27 juillet 1687, était le troisième fils de François VIII de La Rochefoucauld, maréchal de camp, et de Madeleine-Charlotte Le Tellier2.

Ses bulles sont du 14 janvier 1708; il prit possession par procureur le 18 mars suivant3. Bientôt après, Roger de La Rochefoucauld, prétendant hériter tous les droits des abbés ses prédécesseurs, réclama en plus des revenus auxquels il

Archives de la Seine-Inférieure, série C. 1194. Claude-Maur d'Aubigné, évêque de Noyon, fut transféré à l'archevêché de Rouen, le 24 décembre 1707.

Moréri. Le grand Dictionnaire historique, 1732, t. V, p. 548. « M. de la Rochefoucauld dont la famille regorgeoit de biens d'Église eut surle-champ pour son petit-fils, qui avoit dix-neuf ans, la riche abbaye du Bec dont il se repentit bien dans la suite. » Saint-Simon, Mémoires, IV, p. 74.

Bibl. nat., lat. 13905, f 39 et 99 vo. Mém. pour servir, etc., Archives de l'Eure.

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