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Les religieux, témoins de la mise en valeur des biens de l'abbaye et de l'augmentation des revenus (ils s'élevaient à plus de 85 000 livres au milieu du xvIIe siècle) avaient plusieurs fois demandé qu'une répartition plus équitable fût faite de ces revenus, et que l'on procédât à un nouveau partage en trois lots dont le premier serait choisi par l'abbé, un autre par les religieux, le troisième demeurant pour subvenir aux charges. Dominique de Vic en référa au Conseil du roi, lequel, par arrêt du 27 novembre 1648, renvoya les contestations devant le Parlement de Rouen, « pour y estre pourveu conformément au jugement de 1626 ». L'abbé du Bec comprit qu'il n'aurait rien à gagner de se pourvoir au Conseil ; et il crut, avec raison, qu'il ne pouvait mieux faire que de convenir d'arbitres qui furent cinq des plus fameux avocats du Parlement de Paris : Camus, Couturier, l'Hôte, de Monthelon et Du Bois. Leur sentence arbitrale, rendue le 9 juillet 1653, ordonna le partage des revenus 1.

Le 7 octobre suivant, la communauté du Bec se réunit en chapitre pour donner son acquiescement à cette sentence. Furent présents: D. Joseph Taillendeau, prieur, Jérôme Chantreul, sous-prieur, Maur Bouvard, Agathange Collot, Charles Dumesnil, Guillaume Trabouillet, Laurent Vitray, Charles Lecœur et Robert de Maleval, prêtres; Jacques Flavigny, Jean Bonneau, Adrien Bruneau, Guillaume Pasquinol, Jean Garret, Nicolas Raynault et Claude Carrel, diacres, tous religieux profès et faisant le chapitre en communauté 2.

Ce ne fut qu'en 1654 « que les religieux commencèrent à jouir de leur tiers exempt de toutes charges 3. » Le partage n'eut lieu, en effet, que le 11 mai 1654. Le revenu général de l'abbaye s'élevait alors « à plus de 85 000 livres, ainsi qu'il paroist par un état desdits biens produit au procès et écrit de la main du receveur dudit sieur de Vic, sur lesquels

• Requéte servant de Factum pour les religieux du Bec contre Messire de la Rochefoucault. Bibl. de l'Evêché d'Evreux.

H. Saint-Denis, Invent. sommaire, etc., p. 105. 3 Mémoire pour servir, etc. Archives de l'Eure.

les partages de 1654 ont esté faits ». Les religieux eurent donc pour leur part environ 30 000 livres, et Dominique de Vic les deux autres tiers; mais le tiers lot demeurait sujet aux charges générales.

Dans une contre-lettre du même jour, 11 mai 1654, les religieux, pour reconnaître les avances que l'abbé de Vic avait faites aux retraits de plusieurs biens de l'abbaye, el << pour éviter l'embarras qu'auroit pu causer le décès dudi sieur de Vic, âgé de plus de quatre-vingts ans, convinrent pour toute indemnité des biens par lui retirés et des frais par luy faits et autres considérations particulières qui regardoient personnellement ledit sieur de Vic, de luy faire une pension de 11 000 livres 2. >>

Quatre ans plus tard, le 11 septembre 1658, les religieux et l'abbé de Vic passaient une autre transaction par laquelle l'abbé leur cédait, moyennant une pension de 2000 livres, la terre de Servaville qui était dans son lot. L'acte disait que cette cession était faite pour acquitter les abbés du Bec de certaines charges auxquelles ils étaient tenus à cause du tiers lot, par exemple : « d'entretenir de grosses et menues réparations l'église, les clochers, cloître, dortoir et autres bâtimens; de fournir, même dans les cas extraordinaires de feu du ciel ou hostilité, jusqu'à la somme de 6 000 livres; de fournir les ornements, le linge de l'église et toutes autres choses nécessaires au service divin; » ce qui emporte, ajoutait le Factum, l'entretien des cloches, de l'orgue, des cierges, lampes, etc. « Il n'y a personne qui ne voye que, dans une grande abbaye comme le Bec, toutes ces charges. immenses ne peuvent estre acquitées pour 3 000 livres par an l'un portant l'autre. Le sieur abbé de Vic n'a pourtant cédé pour acquiter tout cela que la terre de Servaville qui n'a jamais valu 1 800 livres de revenu 3. » La terre de Serva

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Requête servant de Factum pour les religieux du Bec contre Messire de la Rochefoucault, p. 4. Bibl. de l'Evêché d'Evreux.

2 Sommaire du procès pour les religieux du Bec, défendeurs, contre messire Roger de la Rochefoucault, abbé commendataire de lad. abbaye, demandeur, p. 5. Bibl. de l'Évêché d'Evreux.

3 Salvations aux contredits, etc., p. 9. Bibl. de l'Évêché d'Evreux. Servaville, canton de Darnétal (Seine-Inférieure). Ce domaine avait

ville ne valait, en réalité, que 1 725 livres de revenu; il faut donc admettre que les religieux, satisfaits d'avoir obtenu la jouissance de leur tiers propre, ne voulurent pas contrarier les vues de leur abbé parvenu à l'extrême vieillesse ; et s'ils n'y trouvèrent pas un avantage immédiat, ils comptaient bien, sous son successeur, arriver à un partage plus équitable. « Depuis le partage de 1654, les religieux ont fait faire plusieurs réparations et améliorations sur leur fonds, des colombiers tant à la terre de Fourquettes qu'à celle du TheilNollent; ils ont fait achever les deux petites tourelles qui servent d'escaliers pour aller sur les voûtes de l'église; ils ont fait faire les deux chandeliers de cuivre qui sont dans la chapelle de la Vierge et que l'on allume pour l'Élévation3. » En 1661, la communauté répara tout le corps de bâtiment qui se trouvait sur le cloître, du côté du midi

été donné au Bec par Baudry, beau-frère d'Herluin, lorsqu'il était venu se faire religieux avec son fils Hugues. Lors de la transaction de 1658, le prieur de l'abbaye était D. Agathange Collot; en 1650, le chapitre général de Marmoutier l'avait envoyé au Bec en qualité de professeur de théologie. (D. Martène, Annales de la Cong. de Saint-Maur. Bibl. nat., lat. 12791, fo 372). L'avarice du vieil abbé du Bec semble avoir crû avec les années. Les premiers abbés commendataires avaient continué à faire largement l'aumône; en 1572, 600 boisseaux de blé, plus les reliefs des tables subvenaient aux distributions que l'on faisait trois fois la semaine. En prenant possession, l'abbé de Vic ne chargea son receveur que de la distribution de 200 boisseaux de blé, qui furent portes a 400 en 1611; depuis l'année 1655, « il cessa de faire l'aumône trois jours toutes les semaines de l'année, et se contenta de la faire distribuer un jour, pendant seulement vingt semaines. » Les religieux pourvurent volontairement aux aumônes depuis 1655 jusqu'en 1709, durant lesquelles années « ils ont distribué en bled 9 418 boisseaux sans y comprendre 14 années dont ils ont perdu les états), et ils ont distribué en argent la somme de 25 485 livres (sans y comprendre les années 1660 et 1661 dont les registres sont egarez. ») Salvations aux contredits contre messire Roger de la Rochefoucault, p. 16 et 17. Bibl. de l'Evêché d'Evreux.

'Fourquettes, hameau de Saint-Eloi de Fourques, canton de Brionne Eure).

* Theil-Nolent, canton de Thiberville (Eure). Le Theil-Nolent, avec Duranville, Bournainville et Drucourt, formait un vaste domaine qui appartenait au x1° siècle à la famille Crespin.

* Mémoire pour servir à l'hist. de l'abb. du Bec-Herluin. Arch. de l'Eure.

et de l'ouest, et qui servait alors d'infirmerie. Plus tard, on y installa les chambres des hôtes. Près de l'emplacement de la nef et sur la portion du cloître qui regardait le nord-ouest, on avait établi la bibliothèque dans une aile construite à neuf1.

Le domaine de Mailloc, sis sur les paroisses de Thierville et d'Ecaquelon, avait été donné par Philippe le Bel en fieffe perpétuelle à l'abbaye. Le 24 juillet 1656, il fut affermé moyennant 750 livres, 6 chapons et 50 livres de beurre par an, plus 150 livres pour le vin du marché. Mais comme il était nécessaire « de pourveoir à la négociation et adménagement de la terre, ferme et seigneurie de Mailloc abandonnée et délaissée en peu de valleur depuis les derniers troubles de l'année 1649 », Me Guillaume Barrois, notaire à Pont-Authou, en fut nommé administrateur. Il faut croire que sous cette administration la terre avait été remise en valeur, car le 7 août 1678, le manoir seigneurial de Mailloc avec la ferme, les jardins et les droits seigneuriaux furent affermés pour 1 422 livres 10 sols par an3.

Au mois de mars 1657, on voit figurer dans les actes du tabellionnage de Pont-Authou et de Brionne, Charles de la Croix, sieur d'Irreville, bourgeois de Paris, « recepveur général de l'abbaye du Bec-Hellouin et procureur de messire Dominique de Vic».

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Mémoire pour servir, etc. Arch. de l'Eure.

H. Saint-Denis, Inventaire sommaire. etc., p. 123 et 125.

3 H. Saint-Denis, Invent. sommaire, etc., p. 219.

Dans un acte notarié du 11 février 1669, Charles de la Croix prend les qualités « d'auditeur en la Chambre des comptes de Normandie. seigneur et patron de Saint-Laurent de Quetteville. (H. Saint-Denis, Invent. som.. p. 130). Plusieurs baux furent passes par lui en 1658 et 1659. Mars 1658, affermage de la dime de Courbépine, 530 livres par an et 176 livres 10 sols pour le vin; dime d'Epreville-en-Roumois, affermee pour six ans, 600 1. par an, 272 1. de vin; 1659, affermage de la dime de Thierville, pour trois ans, 150 1. par an, 50 1. pour le vin et le sol pour livre: André Dupont, curé de la paroisse, stipule pour le preneur; 17 mai 1659, dime de Notre-Dame-du-Val affermee pour trois ans, 400 1. par an; 10 juin, dime de Granchain, affermée pour trois ans, 310 1. par an, 60 1. de vin; 23 juin, dime du Bosc-Regnoult, affermée pour trois ans, 500 1. par an, 20 1. de vin; juillet, dime de Bermonville, 450 1. par an, 60 1. pour le vin et le sol pour livre; dîme de

Le 21 décembre 1661, Mgr Dominique de Vic mourut dans sa maison de campagne d'Ermenonville, à l'âge de soixanteseize ans ; il avait tenu la commende du Bec pendant près de soixante-cinq ans1. Il laissa à Marin de Vic, comte de Fiennes, son principal héritier, une succession onéreuse : l'archevêque d'Auch ayant négligé de faire de nombreux travaux d'entretien ou de reconstruction. Marin de Vic dut faire travailler aux fontaines de Saint-Martin du Parc. Conformément aux conditions stipulées dans le concordat de 1626, on éleva, en 1663, des murailles pour contenir les sources, on répara les aqueducs, et l'on fit à neuf un grand bassin de pierre avec des canaux pour amener l'eau dans tous les bâtiments tant du logis abbatial que des lieux réguliers. Toutes ces dépenses, qui s'élevèrent à 4000 livres 2, ne suffirent pas pour libérer la succession vis-à-vis de l'abbaye, car onze ans plus tard, le 30 mars 1674, le grand Conseil rendait, en faveur du sieur Colbert abbé du Bec, un arrêt par lequel, sur les conclusions du procureur général, le sieur de Fiennes donataire universel du défunt abbé était condamné à remettre entre les mains du commis du greffe une somme d'environ 38 000 livres; elle provenait de deniers non employés par l'abbé de Vic et dont les héritiers n'avaient pu rapporter quittance d'emploi. Est-il téméraire de supposer que le tout-puissant ministre Colbert ne fut pas étranger à cet arrêt de bonne et raide justice?

A la mort de l'abbé de Vic, l'abbaye fut mise en économat jusqu'en 1665. Pendant la grande cherté du blé, en 1662, le Parlement taxa les menses abbatiale et conventuelle du

Marnefer affermée à Jean Véron, curé du lieu, 140 1. par an, 40 1. de vin; 25 juillet, dime de Berthouville affermée à Jean Legrix, écuyer, prêtre, curé du lieu, 80 1. par an; 9 septembre, dime de Saint-Pierredes-Cercueils affermée à D. Robert Cyrot, ancien religieux du Bec, 190 l, par an. (H. Saint-Denis, Invent. sommaire, p. 119 et 120.)

Son portrait, peint par C. Carette, a été gravé en 1655 par Karl Audran. Dominique de Vic, vu à mi-corps, porte un large col rabattu, la mosette et la croix pectorale; des cheveux blancs assez courts s'échappent de dessous sa calotte; ses traits maigres, ses yeux noirs lui donnent une grande expression d'énergie et de décision.

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* Mémoire pour servir, etc. Arch. de l'Eure.

3 Notes mss. de M. l'abbé Caresme, ancien curé du Bec-Hellouin.

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