Page images
PDF
EPUB

Nous avons eu bien souvent l'occasion de citer la Chronique du Bec c'est une œuvre historique qui fut, à différentes époques, reprise par des religieux dont le nom est demeuré inconnu. Dans la préface de l'édition que nous avons donnée de la Chronique du Bec, nous avons essayé de démêler les fragments antérieurs qui ont été englobés dans une rédaction d'ensemble faite par l'auteur du MS. 499 du fonds de la Reine de Suède au Vatican 1. Ce que nous devons faire remarquer ici, c'est que les religieux qui ont continué la Chronique dans le cours du xve siècle se sont départis de la méthode aride et brève des annalistes du XII et du XIe siècle, et qu'ils se sont efforcés de faire œuvre d'historien. Les vies de Jean de la Motte (1446-1452) et de Geoffroy d'Epaignes (1452-1476) ont même une saveur littéraire que l'on ne retrouve pas dans les parties plus anciennes.

L'écrivain auquel nous devons le récit des événements relatifs à l'histoire de l'abbaye pendant les soixante premières années du xvi siècle mérite une mention spéciale, car son nom appartient à l'histoire littéraire du Bec. François Carré naquit à Lisieux, à une date inconnue, mais que l'on peut approximativement placer à l'année 1508. Il fit profession à l'abbaye du Bec avec six autres jeunes novices, le 18 août 1526, en présence du prieur Richard3. La vie d'un religieux est rarement accidentée d'événements importants on sait donc bien peu de choses sur celle de Dom François Carré.

enseignoit les humanitez, la rhétorique et la philosophie, en 1493, au mois de février (1494). » Bibl. nat., lat. 13905, fo 83 vo. Un « estat de la priouré de Saint-Philbert pour l'an 1398 » fait une simple mention des « escolles de Montfort en la donneson du priour ». (Id., fo 59 v.) Vers, la fin du xv siècle, l'abbé du Bec présenta à la cure de Montfort, Robert Garin, maître és arts, en remplacement de maître Jehan d'Épinay, récemment promu à l'évêché de Valence. (Arch. de la Seine-Inf. G. 1328.)

Chron. du Bec, édit. Porée, Préface, p. xvII-XXII.

'François Carré parait avoir conservé quelques relations avec ses compatriotes lexoviens. Un chanoine de Lisieux. Philippe de Nocy, lui envoie le résumé d'un discours prononcé par le cardinal Pole à l'assemblée de Saint-Salut, entre Gravelines et Ardres. (Chron. de François Carré, p. 256.)

3 Bibl. nat., lat. 13905, f 58 vo.

C'était un religieux fort instruit; aussi lui confia-t-on les fonctions de chantre, auxquelles s'ajoutèrent vraisemblablement celles de professeur d'humanités. En furetant curieusement dans la bibliothèque du Bec, il découvre un traite inédit de Lanfranc, « De Corpore et sanguine Domini1, » et le 31 janvier 1540 (v. st.), il écrit à Guillaume le Rat, professeur de théologie à Rouen, pénitencier et grand vicaire du cardinal Georges II d'Amboise, pour l'engager à publier le précieux manuscrit qu'il lui envoie2.

Ce moine, plongé dans les livres, avait l'âme courageuse. L'abbé du Bec, Jacques d'Annebaut, avait voulu échanger sa terre de Garguesale pour le fief des Planets, près d'Appeville, appartenant à l'abbaye; mais il fallait le consentement de la communauté. Trois experts furent nommés pour examiner la proposition de l'abbé le second prieur, le sacristain et le chantre, qui n'était autre que François Carré. Ces religieux refusèrent de ratifier un échange par trop désavantageux pour les intérêts de leur monastère. Furieux de son échec, le commendataire les dépouilla de leurs charges et les envoya en disgrâce dans les prieurés du voisinage 3.

Il nous est resté de François Carré une chronique latine qu'il a intitulée: « Epithome in Annaleis Becci per Franc. Carraeum, ejusdem coenobii monachum, 1562. » C'est une compilation qui s'étend depuis la fondation de Troie jusqu'à

« Cum hisce diebus, animi colligendi causa, bibliothecam nostram revolvens, aliquid de Virginis assumptae laudibus quaererem, ecce in manus nostras vetus quidam codex incidit: de corpore et sanguine Christi, in Berengarium quendam haereticum, Lanfranco authore conscriptus. » Opera Lanfranci, édit. d'Achéry, Venise, 1745, p. 168.

2

Cet opuscule parut pour la première fois sous ce titre : « Lanfranci cantuariensis archiepiscopi, in Berengarium Turonensem, hereticum, de corpore et sanguine Domini dialogus, opus quidem recens editum, sed ab ipso authore quingentis iam annis conscriptum, cui additur Paschasii Ratberti, etc. Rothomagi, ex officina Johannis Parui, MDXL., >> in-8, lettres rondes. Sous le privilège on lit : « Venundantur Rothomagi, in officina Ludovici Bonnet, et Cadomi in officina Michaelis Angier. » (E. Frère, Manuel du bibliographe normand, II, 148).

3 Chronique de François Carré, p. 254.

Sa préface est datée: « E Beccensi coenobio, calendis Januarii, 1562, » c'est-à-dire 1563.

l'année 1563. La partie qui va de la fondation de l'abbaye, en 1034, à la mort de l'abbé Geoffroy d'Epaignes, en 1476, n'est qu'un résumé du Chronicon Beccense. Mais depuis l'année 1476, Carré devient un annaliste original; le récit des quarante dernières années de sa Chronique est surtout précieux parce qu'il est dû à la plume d'un témoin oculaire. Son style est concis, parfois même obscur; l'auteur n'a point résisté au plaisir d'employer ces images pompeuses, ces phrases ampoulées qu'aimaient tant ses contemporains. Malgré ces défauts littéraires, la Chronique de François Carré est intéressante; elle abonde en détails précieux pour l'histoire intime de l'abbaye au xvIe siècle. On y remarque, sur le bois ou Parc du Bec, une petite poésie mythologique qu'il ne faudrait pas assurément prendre à la lettre au point de vue de la faune et de la flore locales, mais où l'on sent les profonds regrets que faisait naître dans l'âme du bon religieux la destruction des ombrages séculaires où il aimait à promener ses poétiques rêveries.

François Carré dit à plusieurs reprises qu'il a écrit son livre pour les jeunes religieux, juvenes, qui paraissaient ignorer l'histoire du monastère auquel ils appartenaient. Par juvenes faut-il entendre les étudiants, ou mieux les jeunes novices qui étudiaient encore ? C'est notre avis. Un passage de la Chronique de Carré établit la présence, au Bec, de jeunes moines qui étudiaient les belles-lettres et les sciences. sacrées. Lorsqu'au mois de d'août 1558 le dominicain Etienne Paris, évêque d'Avelonne, suffragant et vicaire général de l'archevêque de Rouen, vint faire la visite canonique de l'abbaye, il fut frappé du petit nombre des religieux de chœur. Voulant apporter quelque adoucissement à la règle, il autorisa à chanter l'office à livre ouvert ce qui permettait aux jeunes religieux d'employer à l'étude des lettres le temps. considérable qu'ils consacraient à apprendre l'office par

On ignore l'époque de la mort de François Carré. Elle arriva probablement avant 1565; on ne s'expliquerait guère autrement qu'il n'ait pas poussé au delà de 1563 les annales de son monastère.

* Chron. de François Carré, p. 249.

cœur «quo juniores ad ipsa litterarum rudimenta promoverentur commodius, permittitur itaque apertis libris in choro canere, quod ante magna temporis jactura memoriter fieret 1. >>

La fin du xvi siècle fut pour l'abbaye du Bec une époque désastreuse qui rappela l'horreur des guerres anglaises. En 1563, les Huguenots s'emparèrent du monastère que rien ne protégait et le mirent à sac. La décadence des écoles fut la conséquence naturelle de l'abandon de la discipline régulière; de 1591 à 1602, pas un seul novice n'avait fait profession. L'introduction de la réforme de la Congrégation de Saint-Maur devait bientôt rendre à la vieille abbaye son lustre d'autrefois et faire refleurir, pendant plus d'un siècle et demi. l'étude des saintes Lettres, de la théologie et des autres sciences ecclésiastiques.

[ocr errors][merged small]

CHAPITRE XIII

La liturgie du Bec pendant le moyen âge. Le missel plénier du XIe siècle Le Coutumier de l'Ordre du Bec. Cérémonies et rites particuliers. Proses. Le Livre des anniversaires, obits et proces

sions au XVIe siècle.

Dans un chapitre antérieur1, nous avons exposé les coutumes monastiques qui étaient en vigueur au Bec pendant le XIIe siècle, et probablement même déjà au siècle précédent. Nous voudrions faire ici un tableau de la liturgie proprement dite, et du cérémonial ecclésiastique qui est gardé dès cette même époque jusqu'à la fin du moyen àge. Deux manuscrits, un missel plénier transcrit entre les années 1265 et 12722, et le Consuetudinarium secundum normam Becci Herluini, copié au commencement du XIVe siècle, sinon dans les dernières années du xe3, nous renseigneront sûrement à ce

1

Tome I, chap. XIII de cette Histoire.

# Bibl. nat.. lat. 1105. Le dernier obit mentionné dans le calendrier est celui de Robert de Clairbec mort en 1265; celui de Jean de Guineville, mort en 1272, a été ajouté d'une main assez postérieure. Le calendrier (f 1-5) est incomplet du premier feuillet qui contenait janvier et février. Le plain-chant est en notation carrée sur quatre lignes rouges; le parchemin est d'une grande finesse; le texte sur deux colonnes, composé de 220 feuillets de 182 sur 120 millimètres; reliure veau brun; ancien Regius 4459, 10. J. Weale et l'abbé Misset. Analecta liturgica, Pars II, Thesaurus hymnologicus, Pars I, Prosae, Insulis et Brugis, 1888, ont donné la table du missel du Bec et reproduit six proses inédites (p. 526-532); nous les mentionnons plus loin.

* Bibl. nat, lat. 1208. Petit in-4, 200 sur 130 millimètres, de 171 feuillets de parchemin, d'abord à deux colonnes puis à pleines pages; il porte au fo 1, l'Ex libris S. Mariae de Bono Nuntio [Rothomagensis] congregationis sancti Mauri; puis l'ex-libris de Jean Bigot: Codex

« PreviousContinue »