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CHAPITRE XII

Les Écoles du Bec jusqu'à la fin du moyen âge. L'Université de de Paris. Les quatre Facultés. Les quatre Nations. Écoles de grammaire et de philosophie dans les monastères. Bulle de Benoit XII. Ses prescriptions relatives aux religieux étudiant dans les Universités. Abbés du Bec gradués de l'Université. La Chronique du Bec. La Chronique de François Carré. Décadence. de l'École du Bec.

Pendant le x siècle, la jeunesse studieuse s'était, on l'a vu, centralisée à Paris autour de la montagne Sainte-Geneviève et du cloître de Notre-Dame; toute cette région s'était couverte d'écoles et peuplée de maîtres et d'étudiants. Ce n'était pas encore l'Université, mais c'en était déjà les éléments tout prêts à se constituer1.

Un diplôme de Philippe-Auguste, daté de Béthisy, au mois de juillet (?) de l'an 1200, exemptait les maîtres et les écoliers parisiens de la juridiction du prévôt pour les soumettre à l'officialité 2. Ce privilège est le seul que la royauté ait accordé à l'Université de Paris avant Philippe le Bel; elle trouva une meilleure protection de la part des souverains-pontifes; il est vrai que, dans ces temps, l'enseignement relevait non de l'État mais de l'Église.

Le P. Denifle assigne pour date à l'Université de Paris la fin du XI° siècle; il retrouve son berceau dans le cloitre de Notre-Dame, et son chef, ou grand-maitre, dans le chancelier de l'Église de Paris. (Chartul. Universit, parisiensis, Introd., p. x.) On sait que l'enseigneinent des arts se donnait principalement sur la montagne Sainte-Geneviève et celui de la theologie et du décret à Notre-Dame.

2

L. Delisle, Catal, des actes de Philippe-Auguste, p. 146, no 629.

<< Au commencement du XIe siècle, les bulles du pape Innocent III font mention de ses écoles et de ses maîtres en théologie, en décrets et en arts libéraux qui formaient déjà une puissante corporation, répondant au titre d'Université. qui lui est donné par le pontife en 1208, et qu'elle prend officiellement en 1221. Cette corporation universitaire se composait de plusieurs groupes distincts, suivant l'objet de leur enseignement; ce sont les facultés, comme on les appelle à partir de 1219: la faculté de théologie, sacratissima facultas; la faculté de décret, consultissima facultas; la faculté des arts, praeclara facultas, et, venue en dernier lieu, la faculté de médecine, saluberrima facultas. En 1231, la bulle de Grégoire IX a consacré leur organisation, et bientôt elles possèdent leurs sceaux, statuts, examens et grades, en sorte qu'en 1274, au plus tard, les quatre facultés sont en plein exercice de leurs droits et privilèges. 1»

La plus fréquentée était celle des arts, qui servait de préparation aux facultés supérieures de théologie, de décret et de médecine. Les jeunes étudiants arrivaient à Paris pour la plupart sans protection, sans aide, et surtout sans argent. Pour conjurer ce péril de l'abandon et de la misère, et se créer des soutiens et des ressources, les maîtres et les écoliers de la faculté des arts eurent recours, de bonne heure, à l'association, fondée sur les affinités de langue et d'origine, et se constituèrent en nations distinctes. Le P. Denifle croit que les nations se sont formées entre 1215 et 1222, en sorte qu'elles seraient contemporaines de l'organisation des facultés, mais non antérieures, comme l'avait dit Du Boulay. Ces nations étaient au nombre de quatre, ayant chacune leur épithète distinctive qui servait souvent à les désigner: celle de France, honoranda natio; celle de Picar

'L'abbé Bouquet, L'ancien collège d'Harcourt, 1891, p. 2. Cf. Thurot. De l'organisation de l'enseignement dans l'Université de Paris au moyen âge, Paris, 1850, p. 11 et 12.

2

L'abbé Bouquet, L'ancien collège, etc., p. 3.

La nation de France comprenait les cinq provinces de Paris, Sens, Reims, Tours et Bourges.

die, fidelissima natio; celle de Normandie, veneranda natio; et celle d'Angleterre, constantissima natio, qui devint plus tard la nation d'Allemagne3.

Quand apparurent les ordres mendiants en France, les religieux de saint Dominique et de saint François voulurent entrer dans l'Université et ouvrir dans leurs couvents des écoles de théologie. Les anciens maîtres s'y opposèrent longtemps avec énergie; mais saint Louis et le pape Alexandre IV les contraignirent de céder.

La nation picarde se partageait en deux parties composées chacune de cinq diocèses: la première comprenait : Beauvais, Amiens, Noyon, Arras, Térouanne; la seconde Cambray, Laon, Tournay, Liège, Utrecht.

La nation de Normandie se recrutait dans les sept diocèses normands de Rouen, Bayeux, Avranches, Evreux, Séez, Coutances et Lisieux; elle prenait aussi sous sa tutelle les collèges d'origine normande, tels que ceux d'Harcourt, du Trésorier, de Lisieux, de Justice, de Séez, de maître Gervais et du Plessis.

* Pendant les premières années du xive siècle, la nation anglaise était divisée en deux provinces, la province Anglaise composée du seul royaume d'Angleterrre, et la province non Anglaise composée de onze royaumes. Plus tard, cette prépondérance des Anglais ne répondit plus à leur nombre et excita des jalousies et des querelles. En 1331, la nation abolit cette distinction par un statut que l'Université confirma en 1333. Vers la fin du xive siècle, la nation se subdivisa en trois provinces: Haute-Allemagne, Basse-Allemagne et Ecosse. Enfin elle fut remplacée par la nation d'Allemagne en 1437, lors de la rentrée de Charles VII à Paris. (Thurot, De l'organisation, etc., p. 20; J. du Breul, Antiquités de Paris, p. 606.)

On entendait par Université, non pas la réunion des maîtres dans un local, mais l'ensemble des maîtres en tant que corporation. Elle était administrée par un recteur assisté d'un syndic, ou procureur. Il y avait au-dessous d'eux les suppôts ou officiers, les messagers, les courriers, les sergents. L'Université comptait en outre deux dignitaires chargés de veiller à la garde de ses privilèges; l'un, le conservateur royal, était le prévôt des marchands; l'autre, le conservateur apostolique, devait être choisi entre les évêques de Meaux, de Beauvais et de Senlis.

5 Les Dominicains, établis à Paris depuis 1216, ambitionnaient de posséder une chaire de théologie à l'Université; jusque-là, ils n'avaient d'école que pour les membres de leur ordre. L'Université, qui veillait avec un soin jaloux sur ses privilèges ne paraissait pas disposée à ouvrir ses portes à des religieux qui, liés à leurs supérieurs par une soumission absolue, se laisseraient conduire par eux sans s'occuper des traditions et des autorités de l'école. Aussi refusa-t-elle de les admettre dans sa corporation. Mais l'année 1229 offrit aux Dominicains

Il se trouva que les plus célèbres maîtres de théologie furent précisément des religieux de ces ordres mendiants auxquels on avait voulu refuser l'accès de l'Université. C'est en 1245 qu'Albert le Grand inaugura son enseignement. «De toutes parts on accourait autour de sa chaire, dit M. Hauréau ; la jeunesse ne voulait pas d'autre maître que ce petit homme amaigri par les veilles studieuses, pour lequel le ciel et la terre n'avaient plus de secrets, dont la science était, disait-on, auprès des autres sciences, ce que la lumière du soleil est auprès des feux pâlissants d'une lampe sépulcrale, et dont l'éloquence ravissait toutes les âmes en leur communiquant le divin transport, l'ardente passion de connaître. » On remarquait encore parmi les professeurs de grand renom: Alexandre de Halès, le docteur irréfragable; Bonaventure, le docteur séraphique; Thomas d'Aquin, le docteur angélique; Gilles Colonna, bizarrement surnommé le docteur très fondé, doctor fundamentarius 1.

On conçoit que les écoles monastiques n'aient pu soutenir une pareille concurrence. D'ailleurs, l'Université était seule en possession de conférer les grades de bachelier et de docteur pour les obtenir, il fallait nécessairement suivre, durant un assez long temps, le cours de ses maitres attitrés. Ce nouveau régime du haut enseignement, centralisé à Paris. une occasion inespérée d'arriver à leur but. A la suite d'une querelle qui éclata entre la reine Blanche et les universitaires, qui ne purent obtenir satisfaction pour les mauvais traitements dont un de leurs membres avait été victime, ceux-ci suspendirent leurs cours à Paris, et se retirèrent, les uns à Reims, les autres à Angers. Les Dominicains profitant de cette absence des docteurs séculiers, demandèrent à l'évèque et au chancelier l'autorisation de fonder une chaire pour leur ordre; ils l'obtinrent; dans le courant de l'année 1230, ils en fondèrent une seconde. Les frères Roland de Crémone et Jean de Saint-Gilles furent les premiers qui enseignérent à l'Université. Celle-ci, irritée de cette violation flagrante de ses privilèges, protesta énergiquement et fulmina contre les audacieux professeurs plusieurs décrets d'interdiction. Cette mesure donna lieu pendant l'espace de quarante ans à une guerre de plume et d'invectives; toutefois, ce violent conflit n'eut d'autres résultats que la faculté laissée aux religieux de jouir en paix de leurs chaires d'enseignement. Voir Albert le Grand, par le Dr Joachim Sighart, p. 67.

Gilles Colonna appartenait à l'ordre des Augustins; il devint général de son ordre et archevêque de Bourges.

dès le premier tiers du XIe siècle, eut donc pour résultat d'absorber et de faire disparaître la plupart des grandes. écoles monastiques.

Si l'école cléricale ou extérieure n'avait plus sa raison d'être, il n'en allait pas de même de l'école claustrale ou intérieure. Dans un certain nombre d'abbayes, les oblats et les jeunes religieux continuèrent à recevoir des leçons de grammaire, de dialectique et même de théologie. Par une bulle du 17 juin 1238, Grégoire IX autorisa l'abbé et le couvent de Saint-Ouen de Rouen à instituer un cours de théologie, conformément à l'ancienne coutume; D. Pommeraye croit que ce cours était aussi bien pour les externes que pour les religieux. « Dès cette époque, dit M. Charles de Beaurepaire, les monastères étaient éclipsés; ils avaient cessé d'être les écoles supérieures de la chrétienté; ils ne comptent plus, sous le rapport de l'enseignement, dans l'histoire littéraire. Il fallait que les moines qui voulaient s'instruire renonçassent pour un temps à leurs couvents et qu'ils se rendissent à Paris, où les ordres religieux durent établir différentes maisons d'étudiants, habituellement désignés sous le nom de collèges. Ce mouvement fut régularisé par le Souverain Pontife Grégoire IX; il nomma des commissaires qui visitèrent les cathédrales et les monastères et déterminèrent d'après les revenus et les charges de ces établissements, combien chacun devait envoyer de clercs ou de religieux à l'Université de Paris, et quelle pension il convenait de leur assigner 2. >>

Au XIIe siècle, l'abbaye du Bec était très florissante, et quand l'archevêque Eudes Rigaud vint la visiter en 1250, il y avait quatre-vingt-douze moines; la règle était bien observée ; mais il ne dit pas un mot des écoles. Avaient-elles entièrement cessé d'exister? Nous ne le pensons pas. Il n'est guère admissible que le Bec n'ait pas conservé, même après l'établissement de l'Université, des écoles de grammaire, de dia

'D. Pommeraye, Hist. de l'abbaye royale de Saint-Ouen de Rouen, p. 160 et 161.

* Recherches sur l'instruction publique dans le diocèse de Rouen, I, 17.

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