Page images
PDF
EPUB

Le Chronique dit que Robert d'Evreux était déjà fort âgé lorsqu'il songea à résigner son abbaye en faveur de Guillaume Guérin, son chapelain. Ce fut un chanoine de Rouen, Robert de Bapaume, qui se chargea de négocier cette affaire en cour de Rome1. Le cardinal Jean Balue, qui était alors auprès du pape, offrit ses services au négociateur et parvint à se faire remettre l'acte de démission de Robert d'Evreux. Qu'en voulait faire l'astucieux prélat? Le supprimer peutêtre, et tâcher d'obtenir du pape la riche abbaye dont les revenus tentaient son avarice. Quoi qu'il en soit, il retarda ainsi de près d'une année la solution de cette affaire. Mais le cardinal Balue étant mort au mois d'octobre 1491 pendant sa légation à Ancône, l'abbé Robert d'Evreux envoya aussitôt à Rome une nouvelle cédule de démission en faveur de Guillaume Guérin, et cette fois Robert de Bapaume put rapporter la bulle qui la ratifiait3.

En résignant son abbaye, Robert d'Evreux s'était réservé une pension considérable, « retentâ magnà pensione,» avec le droit de présenter aux bénéfices dépendants du Bec. Il n'en jouit pas longtemps, car il mourut le 22 janvier 1492. On l'inhuma dans le choeur de l'église, sous une superbe dalle tumulaire entourée d'une lame de cuivre sur laquelle on lisait son épitaphe.

rappeler les anciennes roues, ou couronnes de lumières. Dom Carré dit qu'ils furent volés en 1538. (Id., p. 245.)

Robert de Bapaume, chanoine et chantre d'Avranches, chanoine de Rouen, doyen de l'église d'Avranches, mourut le 3 septembre 1509. (Gallia christ., XI, col. 507.)

D. Francois Carré ne semble nullement douter des vues intéressées du cardinal Balue sur l'abbaye.

3 Chron. du Bec, p. 117, 235 et 236.

Chron du Bec p. 117 et 238. Le texte de son épitaphe a été reproduit dans le Neustria pia (p. 475.)

«Contegit haec tumba clarum virtute Robertum
D'Evreux, a puero religione sacrum ;

Tam graviter qui se hic Beccensi gessit in aede
Ct quemque in laudes verterit ille suas.
Hinc fecere virum de Bellomonte priorem,
Esset ut exemplo fratribus ipse pater.

Is quo que Parisii meriti donatus honore est,

Ut pote qui doctus seit sacra jura patrum.
Ternum post decades ternas decimum quoque lustrum,
Abbatem fratrum tota caterva creat.

Huic aedi decus immensum, dum fata tulere,
Extitit; aeternum vivat in arce poli.

Le continuateur de la Chronique, Dom François Carré, commence en ces termes pompeux la notice qu'il consacre au successeur de Robert d'Evreux. « Guillaume, le trentetroisième de nos abbés, ayant été béni à Rouen, fut installé dans son abbaye avec une grande solennité. Uniquement occupé à reproduire en sa personne le tableau vivant de la loi divine, il rayonne comme un astre éclatant parmi les autres abbés1. » On voit que l'annaliste ne ménage pas l'admiration à son héros; c'est, qu'à ses yeux, Guillaume Guérin à des mérites très réels joignait le prestige d'avoir été le dernier at bé régulier de son monastère.

Guérin avait d'abord été prieur de Saint-Philbert, puis de Saint-Lambert de Nassandres et de Meulan. Il fit serment d'obéissance à l'église de Rouen le 23 octobre 14912. Par lettres datées de Montils-lès-Tours, le 30 décembre suivant, Charles VIII lui accorda un délai d'hommage pour le temporel de son abbaye, et autorisa en même temps Louis, duc d'Orléans et gouverneur de Normandie, à recevoir son serment ce qui eut lieu à Rouen, le 8 mars 1492 3.

L'un des premiers soins de Guillaume Guérin avait été de fonder, dès 1491, l'anniversaire de son prédécesseur, parce que, disait la lettre de fondation, Robert d'Evreux étant encore abbé l'avait souhaité faire, et qu'il méritait qu'on le fit pour lui, en raison de tous les bienfaits dont il avait comblé l'abbaye.

Les trésors artistiques que renfermait l'église rappelaient à Guillaume Guérin la munificence et la piété de ses prédécesseurs. S'inspirant de leurs exemples, il voulut à son tour contribuer à l'embellissement du temple divin. Il enrichit le maître-autel d'un rétable sculpté et doré où étaient figurées diverses scènes de la Passion; il donna une châsse d'argent

Chron. de François Carré, p. 236.

* Gallia christ., XI, col. 237. En 1484, Guillaume Guérin avait pris part à l'élection de Robert d'Evreux. comme prieur de St-Lambert. « Ecclesiam sancti Nicasii Mellentini, cujus olim prior extiterat, ventorum vi pene destructam, reparavit anno 1496. » Gallia christ.. XI, col. 237.

[blocks in formation]

pour renfermer les reliques de plusieurs saints, et fit placer aux angles de l'autel quatre colonnes de cuivre surmontées de figures d'anges du plus beau travail, pour suspendre les rideaux ou courtines dont on entourait alors les autels 1.

On dut encore à la libéralité de cet abbé une splendide monstrance en or du poids de trois mares, toute constellée de pierres fines, dans laquelle on portait le Saint-Sacrement à la procession qui se fait au jour de la Fête-Dieu. Enfin, il donna à la communauté six coupes d'argent pour le réfectoire, et une belle lampe aussi d'argent, pesant quinze mares, qu'il fit suspendre avec une chaîne de fer dans la chapelle de la Sainte Vierge 2.

A l'abbatiat de Guillaume Guérin correspond une période de calme qui montre bien que ce digne abbé se préoccupait avant tout de maintenir la discipline régulière dans son abbaye, et de la préserver des discordes et des compétitions qui, plus d'une fois déjà, avaient troublé la paix du cloître. I iui fallut, néanmoins, tenir sa crosse d'une main ferme; une puissance rivale grandissait déjà à côté de la sienne celle des prieurs. Il y avait alors au Bec un prieur claustral, qui prenait le titre fastueux d'archiprieur, un sous-prieur et un troisième prieur3. A un moment donné, ces officiers, riches et influents, élus par la communauté, pouvaient faire échec à leur abbé.

L'archiprieur Jean d'Aptot était mort le 19 janvier 1492',

Chronique de François Carré, p. 238. Cet usage se conserva jusqu'au XVIe siècle dans un certain nombre d'églises abbatiales, notamment à Saint-Ouen de Rouen et à Saint-Taurin d'Evreux.

[blocks in formation]

3 En 1499, il y avait à Jumièges un grand-prieur, un sous-prieur, un tiers-prieur et un quart-prieur. (histoire de l'abb. de Jumièges, edit. Loth. II. 244.)

Jean d'Aptot fut enterré dans le chapitre; on lisait sur sa tombe l'épitaphe suivante :

Sarcophagus tenet iste Johannem dAptot humatum.
Moribus hic fretus religione fuit;

Temporis articulo, qui fulgens ut sol in astris,

Fit prior: hinc cunetis fratribus in speculum.
Mille quater C decade nono 1o semel in anno,
Decima jani nona reddidit hic animam.
Vos hujus fratris defuncti corpore trito
Pulvere spiritui poscite luce frui.

Bibl. nat., lat. 13905, f 108 vo. Son obit se célébrait le 20 janvier

et avait eu pour successeur Jean de Mourchent ou de Morsan, que l'on voit, en 1495, affermer à son profit, pour la somme de 38 livres, le déport de la paroisse du Bec. D'après la Chronique, il n'aurait pas tardé à mourir d'un ulcère à la jambe, et il fut enterré dans le chapitre. Jacques Le Febvre, son successeur, était prieur de Pontoise quand la communauté l'appela aux fonctions de grand prieur. Le 28 novembre 1501, l'abbé l'envoya à Beaumont-le-Roger pour recevoir à profession deux religieux. Une fièvre quarte l'emporta, et ce fut Pierre de Bailleul qui fut élu à sa place 3.

Tous ces changements répétés de prieurs ne paraissent avoir suscité aucun trouble dans la communauté; du moins les documents que nous avons pu consulter n'en ont pas conservé la trace; les procès eux-mêmes, si fréquents à d'autres époques, font relâche. Nous citerons, pour mémoire, la transaction que Guillaume Guérin passa avec CharlesFrançois Le Veneur, baron de Tillières, au sujet du droit de dime et de patronage de Saint-Hilaire de Tillières. En 1489,

avec une grande solennité. « Decimo tertio Kal. februarii, vigesima die mensis januarii, celebratur obitus bone quondam memorie Dompni Johannis Aptotensis, prioris claustralis hujus cenobii. In vigilia, dicuntur Placebo, Dirige et Exultabunt, sollempniter duplici tabula, cum collectis Inclina in singulari, Miserere et Fidelium. Que etiam postridie in solemni ejusdem missa dicuntur. Dicitur autem alta missa solemniter a Dompno priore in altare majore chori, statim post officium Dive Virginis, ter pulsantibus majoribus signis..... In hoc anniversario utuntur ornamentis aureis in quibus figurata est passio Dominique ipse deffunctus dedit. » Ordo anniversariorum,Bibl.d'Evreux, ms. lat. 58. La première messe hebdomadaire du samedi se célébrait à l'intention de Jean d'Aptot. (Id.)

[blocks in formation]

* Chron. de François Carré, p. 239, et lat. 13905, f° 108 vo.- «Guillaume Guérin afferma, le 8 may 1504, tous les revenus du prieuré de Beaumont, se réservant fort peu de chose outre l'enclos, pour la somme de 400 liv. par an, et 30 liv. que le preneur devoit aussi donner à chacun des six religieux qui résidoient à Beaumont, pour leur entretien et nourriture. Ce prieuré étoit donc encore en la libre disposition de l'abbé du Bec qui jouissoit des revenus. » Bibl. nat., lat. 43905. fo 78.

4

Déjà en 1478 et en 1485, Charles Le Veneur s'était désisté du procès qu'il avait intenté à l'abbaye du Bec pour l'empêcher de dimer dans la paroisse de Saint-Hilaire de Tillières. Bibl. nat., lat. 43905, fo 101.)

à la mort du curé de cette paroisse, le baron de Tillières présenta à ce bénéfice Jean Le Veneur, le futur cardinal; l'abbé du Bec présenta un autre clerc qui fut maintenu; d'ailleurs son droit n'était pas contestable. Mais les Le Veneur étaient puissants, et Guillaume Guérin ne se souciait probablement pas de les avoir pour adversaires. En 1495, un accord intervint entre eux par lequel l'abbé cédait au baron tous les droits que l'abbaye possédait sur les rentes, terres, four à ban, moulin et autres dans les limites de la paroisse de Tillières, à la réserve de la Moinerie et du manoir de Beauvoir; de plus, il abandonnait son droit de présentation à la chapelle castrale de Saint Nicolas, ainsi que la dixième semaine du travers ou péage de Tillières. En échange de ces avantages assez sérieux, Charles Le Veneur s'engageait à une faisance de 70 sols de rente, et cédait à l'abbaye tout et tel droit qu'il pouvait prétendre sur le patronage de l'église de Saint-Hilaire, aussi bien que sur les dimes des terres et courtillages de la dite paroisse. Cet accord fût passé au tabellionnage de Pont-Autou, le 8 mars 1495, en présence de Jean de Morsan, prieur claustral, et de plusieurs autres religieux 2.

Guillaume Guérin fit un grand nombre de fondations pieuses. En 1499, il fonda son anniversaire 3 en même temps

En 1472, Philippe Le Veneur, baron de Tillières, avait renoncé au patronage de cette chapelle qui était desservie par un prêtre séculier. (Bibl. nat., lat. 13905, f 101.)

2 Bibl. nat., lat. 13905, fo 401; Invent. des titres du Bec, p. 1301.

3

« Die quarta aprilis, olim deffunctus est dompnus Guillielmus Garinus, abbas desideratissimus hujus cenobii, cujus obitus perinde celebratur atque ille Johannis Aptotensis, praeter id quod non utitur aureis ornamentis. Percipit enim conventus per elemosinarium xx lib. » Distributiones

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »