Page images
PDF
EPUB

Laurent de Bonneville, des moines et de leurs serviteurs. Une autre fois, Jean Twyming revint au point du jour, escorté de Morgan Apphon, de son père, de l'official de l'église de Landaff et de ses satellites, encore au nombre de quatre-vingts. La troupe en armes brisa les portes et les fenêtres, envahit le prieuré, pilla les provisions qui s'élevaient à la somme de plus de 100 saluts d'or, et garda à vue le prieur et les religieux de l'ordre du Bec, sans permettre qu'on leur apportât la moindre nourriture. Aut milieu de la nuit suivante, ils baillonnèrent Laurent de Bonneville, et l'ayant fait monter à cheval, le conduisirent, malgré ses protestations, dans le château d'Usk', distant de quatre lieues; là, on lui mit les fers aux pieds, on le jeta en prison, et Morgan Apphon s'efforça de lui faire promettre, sous caution, de verser la somme de 500 livres. Après être demeuré cinq jours dans le château d'Usk, il fut conduit au château de Bergaveny2 par Thomas Herbert qui le garda sept jours en prison.

Durant ce temps, Jean Twyming, accompagné d'une troupe de satellites armés s'était rendu au prieuré de Goldcliff; il y avait tenu les plaids, comme s'il eut eu juridiction, et extorqué, contre tout droit, aux tenanciers du prieuré plus de 120 saluts d'or. Voyant qu'il ne pouvait ni par promesses ni par menaces amener Laurent de Bonneville à résigner son prieuré, le chevalier Morgan le fit sortir de prison. Muni d'une autorisation du roi, Laurent revint à son prieuré et se tint caché dans l'église pendant trois jours et trois nuits. Alors Thomas Herbert, qui avait pris part au premier saccage, revint avec quarante sicaires pour s'emparer de la personne du prieur; Laurent leur montra une lettre du roi, et ils n'osèrent passer outre. Quelques jours après, le chevalier Morgan fit venir le prieur Laurent et lui intima de vive voix l'ordre de s'éloigner de son prieuré, sinon il l'en ferait sortir de force, « se fùt-il refugié sur le maitre-autel ».

4

Usk, au comté de Montmouth.

2

Aujourd'hui Abergavenny, au comté de Montmouth.

Jean Twyming, qui ne pouvait manquer d'avoir des doutes sur la légitimité de ses droits, prit le parti de les transférer, autant que cela était en son pouvoir, à l'abbé et couvent de Notre-Dame de Tewkesbury.

L'abbé et les religieux s'empressèrent de demander au roi et obtinrent des lettres de provision, et se substituant à Jean Twyming, ils s'introduisirent par force armée dans le prieure, avec l'aide de Thomas Herbert, de Thomas Porcelam, de Davy Matthieu et de plusieurs autres laïques. Les huit moines blancs de l'ordre du Bec furent brutalemeut expulsés et remplacés par trois moines noirs de Tewkesbury qui s'emparèrent et jouirent des revenus du prieuré.

Laurent de Bonneville. qui soutenait ses droits avec une invincible énergie, eut recours au roi, qui par lettrespatentes ordonna à son chancelier de faire justice au prieur et à ses religieux. Mais quoique le chancelier, de concert avec Henri de Beaufort, cardinal évêque de Winchester, et Thomas, évêque de Norwich, grands justiciers du royaume, eussent rendu une ordonnance favorable à Laurent, Thomas Porcelam et quelques clercs, grâce à de ténébreuses menées, réussirent à faire saisir dans la ville de Landaff le malheureux Laurent et le jetèrent dant les prisons du roi. Là, pendant onze jours, on usa de toutes les ruses pour l'amener à résigner son prieuré de Goldcliff.

Ce fut sur ces entrefaites que Laurent supplia le pape de remédier, en vertu de son autorité apostolique, à la désastreuse situation de son prieuré; car, en raison du pouvoir étrange que possédait le chevalier son persécuteur, il lui était impossible de demeurer en sûreté dans la ville et le diocèse de Landaff, et même aux alentours1.

En réponse à cette supplique, Eugène IV lança, le 9 juin 1445, la bulle dont nous avons tiré l'exposé des faits qui précèdent. Le pape mandait à l'archevêque de Cantorbéry et aux évêques de Worcester et d'Hertford, au cas où les violences, l'incarcération du prieur, l'effraction des portes

Tous les détails de cette affaire sont tirés de la bulle d'Eugène IV, du 9 juin 1445.

et fenêtres du prieuré auraient été dûment constatées, d'excommunier publiquement et sans appel le chevalier Morgan Apphon, Thomas et leurs autres complices', jusqu'à ce qu'ils eussent donné satisfaction suffisante, et fussent venus, munis d'une lettre des prélats, recevoir l'absolution apostolique. Eugène IV chargeait les évêques de réintégrer Laurent de Bonneville dans son prieuré, et d'informer sur toute cette affaire et de la terminer sans appel2.

Quelle compensation Laurent de Bonneville reçut-il pour les odieux sévices au prix desquels il avait soutenu la cause du droit et de la justice? Nous l'ignorons. Fut-il réintégré dans son prieuré comme le voulait Eugène IV? Nous ne le pensons pas. Le prieuré de Goldcliff avait été annexé en 1442 au monastère de Tewkesbury; les moines noirs qui l'occupaient en vertu d'une incorporation ratifiée par le roi et le souverain-pontife, n'auraient jamais accepté pour chef un moine blanc, un moine normand de l'ordre du Bec.

On a vu comment l'abbaye perdit les prieurés de Willesford, d'Okeburne, de Stoke et de Goldcliff; celui de Steventon dans le Berkshire, fut donné par Richard II à l'abbaye de Westminster. Lessingham, Blackenham et Cottesford furent donnés par Henri VI au collège d'Eton'.

Vers le milieu du xve siècle, on conservait au Bec quatre épines de la couronne de Notre-Seigneur, un fragment de la vraie croix, un os du chef de saint Blaise et plusieurs reliques de saints. « Toutes ces reliques, dit la Chronique, avaient été apportées d'Angleterre par les religieux de l'ordre qui en avaient été chassés3. » Un passage interpolé

« Appellatione remota, excommunicatos publice nuncietis et faciatis ab aliis nunciari, et ab omnibus arctius evitari, donec super his satisfecerint competenter, et cum vestrarum testimonio litterarum, ad sedem venerint apostolicam absolvendi. »

« Super aliis vero qui fuerint evocandi, et dicto Laurentio, sicuti justum fuerit, restituto, causam audiatis, et appellatione remota, debito fine decidatis, facientes quod decreveritis per censuram ecclesiasticam firmiter observari. » Bibl. nat., lat. 13905, fo 50.

Some account of the alien priories, 1, 28.

Some account of the alien priories, II. 145 et 152.
Chron. du Bec, p. 105.

de la même Chronique ferait croire que le fragment du chef de saint Blaise venait de Saint-André de Cowick; c'est une erreur. Les lignes suivantes du Recueil de D. Jouvelin en sont la preuve : « L'abbé Geoffroy, le 22 janvier 1465 (1466), obtint permission de l'official de Rouen, grand vicaire de l'archevêque, d'exposer et mettre en un nouveau reliquaire un os de la teste de saint Blaise apporté du prieuré de Sainte-Madeleine de Goldcliff, diocèse de Landaff, au pays de Galles, par un prêtre qui desservait ce prieuré, alors dans une grande désolation. Cette relique avait été apportée au Bec du temps du prédécesseur immédiat de Geoffroy1».

' Bibl. nat., lat. 13905, fo 35; Chron. du Bec, p. 105.

CHAPITRE X

La Normandie redevenue française. Geoffroy d'Epaignes. 30o abbé. Il restaure son église. Mobilier liturgique. Lettre de Louis XI pour emprunter à l'abbé 600 écus d'or. L'archidiacre de Poissy et le manoir de Rouvres. Transaction avec le seigneur du Neubourg. Geoffroy fait construire l'infirmerie, et réparer les aqueducs. Construction de la tour Saint-Nicolas. La coupe de l'impératrice Mathilde. Un prieur fastueux. Le prieuré de Saint-Ymer envahi militairement par un commendataire. Intrigues autour de Geoffroy pour lui faire résigner son abbaye. Mort de Geoffroy d'Epaignes.

Après la victoire de Formigny, la Basse-Normandie n'avait guère tardé à tomber au pouvoir de Charles VII; dès le mois d'août 1450, les deux dernières garnisons anglaises, celles de Cherbourg et de Falaise avaient été obligées de se rendre. Mais si la Normandie se retrouvait enfin française, elle n'en était pas moins ruinée et épuisée par tant d'exactions et de souffrances. Prélats, seigneurs, simples tenanciers, voyant cette fois la paix assurée, devaient se mettre sans retard à réparer églises, abbayes, châteaux et chaumières. Pareille tâche incomba au successeur de Jean de la Motte, et l'on verra qu'il la remplit avec un zèle et une géné; rosité qui permettent de le placer au rang des grands abbés du Bec, auprès des Roger I, des Richard de Saint-Léger, des Ymer, des Gilbert de Saint-Etienne et des Geoffroy Harenc.

'Le connétable Arthur de Richemont avait, dès le 14 juillet 1452, accordé à l'abbaye du Bec des lettres de sauvegarde pour tous ses biens, fermes, serviteurs, et en général pour tout ce qui lui appartenait. (Bibl. nat., lat. 13905, fo 89.)

« PreviousContinue »