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CHAPITRE IX

Les prieurés anglais depuis le XIIIe siècle jusqu'au milieu du xve. Leur situation après, la conquête de la Normandie. Les manoirs de Wrotham et de Lessingham. Saint-Néot; Cowick; Willesford; Okeburne; Goldcliff. Les biens des prieurés séquestrés pendant la guerre de France. Les prieurés sont soustraits à l'obédience du Bec. Procédure caractéristique relative au prieuré de Sainte-Madeleine de Goldcliff. Un prieur héroïque. Reliques apportées au Bec par les religieux expulsés.

Il serait intéressant de savoir quel fut le modus vivendi des prieurés anglais et de l'abbaye du Bec au moment de la réunion de la Normandie à la couronne de France; malheureusement les documents font défaut, et le point est demeuré obscur. Il y a lieu de croire que leurs rapports furent temporairement suspendus par l'espèce de persécution qu'eut à subir l'Église d'Angleterre lors de la rupture qui éclata entre Jean sans Terre et Innocent III. On sait que le roi ayant refusé de reconnaitre Étienne Langton pour archevêque de Cantorbéry, le pape jeta en 1208 l'interdit sur le royaume. d'Angleterre. Jean répondit à cette mesure par la confiscation des biens des évêchés, abbayes et prieurés qu'il donna à des laïques. Le roi fut alors excommunié, et ses

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'Matthaei Paris, Historia major, p. 458.

« Episcopatus insuper, abbatias, prioratus laicorum custodiae deputans, universos ecclesiasticos redditus confiscari praecepit. Sed in hoc caute prospiciebant praelati generaliter omnes totius regni, quod de monasteriis suis exire noluerunt, nisi per violentiam expellerentur. Quod cum a regis ministris fuisset compertum, noluerunt alicui

sujets dégagés du lien de fidélité. Le 13 mai 1213, Jean sans Terre, qui était revenu à des sentiments meilleurs, donna une charte par laquelle il s'engageait à rendre aux églises leurs libertés et leurs biens. Deux jours après, il remettait aux mains d'Innocent III sa couronne et son royaume 1.

Les rapports entre les princes et l'abbaye-mère ne pouvaient tarder à se rétablir. Le premier document que nous rencontrons est une lettre collective des prieurs et couvents de Saint-Néot, de Stoke et de Goldcliff en réponse à une lettre de Richard de Saint-Léger, abbé du Bec. Les prieurés anglais s'engagent à ne point aliéner de terres, ni à servir des pensions sur la simple demande des seigneurs, ni à affranchir aucune terre serve au détriment de leurs propres maisons; à l'avenir, ils soumettront ces opérations à l'arbitrage de l'abbé du Bec, sauf dans les cas pressants où un avantage où un inconvénient évident et réel se présenterait pour leurs maisons. Les termes de la réserve sont à retenir. Cette lettre est datée de l'année 1215, « à la Pâque qui suivit la levée de l'interdit en Angleterre 2 ».

ingerere violentiam. sicut nec a rege praeceptum habuerunt; sed bona eorum omnia in usum regis convertentes, victum eis et vestitum parce ex rebus propriis ministrabant. » Matthaei Paris, Hist. major, p. 158.

2

'Matthaei Paris, Ilist. mujor, p. 164.

* « Omnibus Christi fidelibus ad quos praesens scriptum pervenerit, de Sancto Neoto, de Stokis, de Goldcliva priores et eorumdem locorum conventus, salutem in Domino. Per instantiam venerabilis patris nostri Ricardi, abbatis Becci, aliquando innotuit quosdam praedecessores nostros, in dispendium domorum nostrarum, terras pro voluntate sua alienasse, pensiones ad instantiam virorum nobilium et aliorum contulisse; terras etiam serviles libertate donasse; hujusmodi igitur malis, ne in pejus proficiant, occurrere volentes, ad cautelam et indempnitatem domorum nostrarum in posterum, nos ecclesiae nostrae Beccensi per praesens scriptum communibus sigillis nostris signatum obligamus, ut praeter conscientiam Becci talia ulterius non attemptemus; ita tamen ut ex hac obligatione nostra necessitas non contrahatur, quin imminente commodo vel incommodo evidenti domibus nostris meliora prospicere libere possimus et licite, nec cuiquam alii liceat in dictis casibus quod ob solam indempnitatem nostram nobis de cetero non licere consentimus. Actum anno gratiae M°CC°XV°, ad Pascha proximum post relaxationem interdicti anglicani. » Bibl. nat., lat. 12884, fo 293; et lat. 13905, fo 23 vo.

Cette réserve caractéristique fait bien voir que la séparation politique existant entre la France et l'Angleterre semblait aux prieurés anglais une raison suffisante de se considérer, dans une certaine mesure, indépendants d'une abbaye qui relevait directement de la couronne de France. Dès 1220, l'abbé Richard de Saint-Léger se voit obigé de renouveler aux prieurs la défense expresse de disposer des biens dont ils avaient reçu l'administration, de les diviser, fieffer ou aliéner1. L'année suivante, par une bulle donnée à Allatri, le 31 mai 1221, et adressée à l'abbé du Bec, Honorius III ratifie les défenses faites aux prieurs d'Angleterre, et il cohfirme en même temps les coutumes, droits et privilèges de l'abbaye-mère sur tous les prieurés de Normandie, de France, d'Angleterre et du pays de Galles 2.

Le 10 mai 1223, le même pape confirma les possessions de l'abbaye, notamment celles qu'elle avait en Angleterre : Wrotham, Lessingham, Blackenham, Riselip, Dunton, Tooting, Goldcliff, Chilingebery, Cowick, Deverel, Prestituna, etc. 3.

Plusieurs prieurés qui, à l'origine, étaient administrés par un prieur distinct, n'avaient plus cette prérogative à la fin du XIe siècle. Voici, d'après une bulle de Nicolas III, les noms des prieurés réguliers en 1278 Saint-Jean de Stoke; Saint-Néot; Willesford; Saint-André de Cowick; SainteMadeleine de Goldcliff; la baillie ou prieuré de Steventone, et enfin Okeburne'. Le nombre des prieurés réguliers était encore le même en 1303 ".

Nous ne faisons pas la monographie de ces prieurés; nous nous contenterons de grouper les données un peu éparses, souvent incomplètes, mais parfois fort intéressantes pour

Bibl. nat., lat. 12884, fo 299 vo.

Bibl. nat., lat. 12884, fo 299 vo.

Bibl. nat., lat. 12884, fo 305. Voir à l'Appendice no 3.

Cette bulle est datée : « Datum Viterbii, per manum magistri Petri de Mediolano S. R. E. vice-cancellarii, IV non. aug., indict. VI, anno Incarnationis dominicae MCCLXXVIII, pontif. vero Domini Nicolai papae III anno primo. » Bibl. nat., lat. 13905, fo 5.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 14 vo.

l'histoire générale, que nous avons pu recueillir sur les prieurés et manoirs anglais depuis le x siècle jusqu'au milieu du xvei.

Nous avons dit que certains prieurés étaient devenus de simples manoirs ou fermes. Au mois d'avril 1231, Pierre Le Roy, chambrier du Bec, donne un rescrit scellé de son sceau par lequel il reconnaît que les manoirs de Wrotham et de Lessingham lui ont été affermés sa vie durant, et qu'à sa mort ses héritiers n'auront rien à prétendre ni à réclamer sur ces domaines 2.

Un procès avait surgi entre les religieux du Bec et ceux de Conches au sujet d'une rente de 10 sols sterling à percevoir sur les dimes de Wrotham. L'archevêque de Rouen, Pierre de Colmieu, choisi comme arbitre, jugea en faveur de l'abbaye du Bec; c'est pourquoi, le 18 novembre 1239, Clément, abbé de Saint-Pierre de Châtillon-lès-Conches, donna une charte par laquelle il faisait cession des 10 sols de rente et renonçait à toute revendication ultérieure 3.

On a vu qu'en 1130 un accord était intervenu entre les religieux du Bec et ceux de Coulombs au sujet du manoir du Grand-Wrotham, dont ils possédaient chacun la moitié. Un nouvel arrangement eut lieu en 1245, en vertu d'une sentence arbitrale prononcée par Salomon, doyen, Henri chantre, et Payen, archidiacre de Chartres. Il fut décidé qu'en raison de l'état de troubles où se trouvait l'Angleterre, «< instar maris », à cause de la guerre entre Henri III, roi d'Angleterre, et David, prince de Galles, les moines du Bec et de Coulombs attendraient pacifiquement, « in pace sustinerent et patienter exspectarent », du 24 juin 1245 au 24 juin de l'année suivante; si, passé ce délai, les moines du Bec ne pouvaient, ni par eux-mêmes ni par d'autres, rentrer en

On peut néanmoins se reporter, pour l'histoire des prieurés anglais au x siècle, à ce que nous en avons dit au tome Ier de cette Ilistoire.

Bibl. nat., lat. 12884, f° 316 v°.

3 Bibl. nat., lat. 12881, f° 334. Le manoir du Grand Wrotham avait été donné au Bec par Raoul de Tosny, seigneur de Conches.

Bibl. nat., lat. 12884, f° 175.

possession de leur manoir de Wrotham, ceux de Coulombs leur paieraient 3 marcs d'argent de rente annuelle, ou bien leur rendraient les domaines de Serville et d'Abondant, au diocèse de Chartres; mais s'il arrivait que les religieux du Bec rentrassent de quelque manière en possession du manoir de Wrotham, ceux de Coulombs ne leur devraient aucun dédommagement, et recevraient au Bec à l'avenir les 3 marcs d'argent dus à la Pentecôte 1.

En 1238, eut lieu la dédicace de l'église de Saint-Néot, au diocèse de Lincoln 2.

Dans une charte donnée à Londres, le 1er février 1255, Richard de Clare, comte de Glocester et d'Hertford, concéda et confirma aux religieux de Saint-Néot tout ce qu'ils tenaient de sa mouvance dans le manoir et la paroisse de Saint-Néot, en terres, prés, pâturages, étangs, moulins, pêcheries, revenus, hommes et privilèges, le tout exempt d'exactions, escuages, recherche de franc-plège, aide foraine, service del plaids, service séculier et œuvre servile; le comte recevait seulement pour lui et ses hoirs la garde, en qualité de patron, du prieuré de Saint-Néot, lorsque le prieur viendrait à mourir où lorsqu'il passerait la mer 3.

1

Bibl. nat., lat. 12844, f° 344. Cette transaction ne fait, en somme, que renouveler l'accord passé en 1130.

Chron. du Bec, p. 124.

3 Ricardus de Clara, comes Glovernensis et Herefordiensis, concessit et monachis Beccensibus confirmavit. et in perpetuum quietum clamavit, pro se et heredibus suis, sancto Neoto et monachis ibidem servientibus et in perpetuum servituris, in liberam, puram et perpetuam elemosynam, quidquid habebant de feodo suo in manerio et parochia Sancti Neoti, in terris, pratis, pascuis, stagnis, molendinis, piscariis, redditibus, hominibus, libertatibus, liberis consuetudinibus et. omnibus aliis pertinentiis ad dictum manerium pertinentibus, habendum et tenendum sibi et successoribus suis solutum et quietum ab omnibus exactionibus, scutagiis, visu franci-plegii, auxiliis forinsecis, curiarum sectis et magnorum turnorum servitiis secularibus, et omni opere servili, uti liberam et puram elemosynam, sine aliquo retenemento: salva tantum sibi et heredibus suis, tanquam patronis, custodia prioratus sancti Neoti, quando prior, qui pro tempore fuerit, mortuus vel amotus fuerit, vel quando mare transierit. In cujus rei testimonium praesens scriptum sigilli sui auctoritate roboravit. His testibus: Waltero de Scoteny, Galfrido de Favecourt, Rogerio de Seacario, Rogerio de Wanton militibus, etc. Datum apud Londoniam, I die februarii MCCLIV. » Bibl. nat., lat. 12884, fo 359.

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