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On n'a pas oublié que Robert Vallée, accusé de trahison, avait été emprisonné à Rouen, puis remis en liberté au bout de cinq mois. N'osant, après une pareille aventure, résider dans son abbaye, du moins d'une façon continue, il occupa d'abord, à titre de loyer, le manoir de la Fontaine, à Rouen, situé près de la rue aux Juifs, entre la cathédrale et l'Hôtel de-Ville, appartenant à un bourgeois nommé Guillaume le Comte. « Ce devait être un des plus beaux manoirs de la ville. I renfermait dans son enceinte une cour, un jardin, une chapelle, une fontaine, et enfin une tour de pierre qui semblait avoir fait partie antérieurement d'un édifice distinct.» Robert Vallée acheta cet hôtel au nom de la communauté, le 28 janvier 14292.

La Chronique du Bec nous dit que Robert Vallée s'efforça

Thomas Welton ou Walton écuyer (sans doute un parent de Jean), les manoirs de Granchain et de Carentonne avec divers revenus, le tout estimé 400 écus par an, ayant appartenu à Galas Dassay (Le Galois d'Achey, demeuré fidèle au parti français) moyennant l'hommage, les services accoutumés et une redevance d'une paire d'éperons d'argent doré, chaque année à Noël. (Rôles normands et français, no 385.)

Ch. de Beaurepaire, Notice sur l'ancien hotel de l'abbaye du Bec à Rouen, dans le Précis analytique des travaux de l'Académie de Rouen, 1854, p. 313. - « Il subsiste aujourd'hui, écrivait le savant archiviste, une portion assez notable de l'ancien manoir des religieux. On voit encore un escalier de pierre, fort étroit, contenu dans une tourelle tronquée à son sommet, qui pourrait bien être cette tour que mentionnent les vieux titres. Au pied de cette tourelle, au rez-de-chaussée, se trouve une salle comprenant deux travées de voùte, construites dans le style ogival, sans chapiteaux ni piliers. Les arceaux de la voùte, taillés en forme d'amende, me semblent annoncer la fin du XIV ou la première moitié du xv° siècle. Quant à la chapelle qui se trouvait du côté de la rue aux Juifs, il n'en reste plus de traces. » (Id., p. 321.)

* Id., p. 313. Le manoir de la Fontaine était grevé au moment de l'acquisition d'une rente de 40 livres. (Chron. du Bec, p. 89.) L'Invenfaire des fitres du Bec mentionne les actes suivants : « Fieffe faite par Jean le Bas à l'abbaye du Bec d'un hostel sis ez parroisses de SaintLô et Saint-Erblanc de Rouen, sous la redevance de huict vingt dix livres de rente, avec l'affranchissement de quatre vingts livres du nombre de la dite rente, 1428 (v. st.). Fieffe faite à l'abbaye du Bec par Perrenot Daguenet d'un cellier ou cave sis en la paroisse de SaintErblanc de Rouen, proche de l'hostel du Bec, sous la redevance de 100 sols de rente, avec l'affranchissement fait par la dite abbaye de ladite rente, 1480. Liasse des baux de la ferme de l'hostel de Rouen pour les années 1481, 1510, 1521, 1611, 1627 », p. 1262.

de remettre en vigueur les droits et de faire payer exactement les revenus de l'abbaye à l'aide des chartes et des titres que l'on avait portés à Rouen, afin de les mettre à l'abri des hasards de la guerre ; car les calamités de tout genre qui désolaient la Normandie avaient obligé l'abbé à retourner à Rouen, tant pour pourvoir à sa propre sécurité que pour y mettre en lieu sûr les livres et les meubles précieux de son église1. Usé par les chagrins et les angoisses dont il avait été abreuvé pendant plus de douze années, Robert Vallée mourut le 4 mai 1430, dans la retraite qu'il s'était choisie à l'hôtel de la Fontaine. Son corps, rapporté au Bec, fut inhumé dans le chœur, à gauche de la tombe de Guillaume d'Auvillars, son prédécesseur 2.

Chron. du Bee, p. 93 et 146.

* On lisait sur sa pierre tombale l'inscription suivante :

Hoc jacet in loco venerabilis atque disertus
Abbas, vocabulo cui Vallis sicque Robertus.
Is decretorum doctor fuit, et via morum.
Auxiliante Deo, fratres concorditer illum
Eligunt, in eo ponentes mentis asylum.
Unde fuit natus, Becco stans hic inhumatus,
Anno milleno centum quater atque trigeno,

In Maii mense quarta mortis runt ense.

Quisque roget Christum quod celis colloeet istum,

Ac sibi solamen sauctorum sentiat. Amen.

Chron. du Bec, p. 94. La dalle tumulaire de Robert Vallée est aujourd'hui conservee dans l'église de Sainte-Croix de Bernay.

CHAPITRE VIII

Triste état de la Normandie. Thomas Frique, 28o abbé. Martin V casse son élection. Thomas Frique réside à Rouen; il assiste à l'abjuration de Jeanne d'Arc. Conflit de préséance entre l'abbé de Jumièges et celui du Bec. Conflit avec l'archevêque de Rouen au sujet de divers règlements monastiques. Chapitre général de 1445; statuts disciplinaires. Acquisition de plusieurs fiefs. Les statues d'apôtres de l'église du Bec. Jean de la Motte, 29o abbé. Eugène IV casse son élection. Caractère de Jean de la Motte. Entrée de Charles VII à Rouen. L'abbé du Bec se donne un vicaire général. Jean de la Motte meurt à Rouen.

La mort d'Henry V avait enlevé aux populations normandes les garanties d'ordre et de sécurité relative dont elles avaient bénéficié jusque là. Sous le régime d'une minorité, la domination parut plus insupportable, et le désir de la secouer devint prédominant, surtout dans les campagnes et les petites localités. Des troupes de partisans prenaient les armes contre l'Anglais et le harcelaient avec une audace et une ténacité que rien ne lassait1; comme il arrive toujours dans les époques troublées, on voyait apparaître des bandes de pillards, déserteurs de toutes les armées, qui ne profitaient du désarroi général que pour voler ou rançonner les gens sans défense. « En 1428, une troupe de 200 Irlandais et Gallois, débandés de l'armée anglaise, parcourait les vicomtés d'Auge et d'Orbec en pillant les campagnes, sous prétexte de retard

L'année 1434 fut signalée par une insurrection générale dans les campagnes normandes contre le joug de l'Angleterre. Voir : Cronicques de Normendie, edit. Hellot, p. 82.

dans le paiement de leur solde. Le gouvernement anglais fit marcher contre eux des troupes régulières, et ordonna aux nobles de la contrée de prendre les armes pour les combattre 1. » La situation, loin de s'améliorer, semblait s'aggraver de jour en jour. Dans l'année 1444, le lieutenant de la ville. de Lisieux adressa des lettres au bailli de Rouen, «< affin qu'il remonstrat à Monseigneur le gouvernant et messieurs du grant Conseil, les pilleries, raençons et maulx infinis que faisoient de toutes pars en ceste visconté les gens de guerre de cest parti, affin que provision y feust mise2. >>

Ce fut dans de telles conjonctures que les religieux du Bec durent songer à donner un successeur à Robert Vallée. Comme personne, dit la Chronique, n'osait plus demeurer dans le pays à moins d'être à l'abri d'une forteresse ou d'un château, il fut décidé que l'élection n'aurait pas lieu, selon l'usage, dans l'abbaye, mais dans la chapelle de l'hôtel de la Fontaine à Rouen. En conséquence, les prieurs et les religieux se rendirent à Rouen; ceux qui durent rester à l'abbaye pour le service donnèrent leur procuration, et le 9 juin 1430, ils élurent pour abbé, par acclamation, leur prieur claustral, Thomas du Bec, dit Frique '.

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Le vicomte Louis Rioult de Neuville, De la résistance à l'occupation anglaise dans le pays de Lisieux, p. 44.

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3 La dépopulation des campagnes, à cette époque de la domination anglaise, est un fait indéniable. « En ce qui concerne les biens confisqués sur les partisans de la France, l'administration anglaise ne parve- · nait guère à retirer un modique revenu que de ceux situés dans l'enceinte de villes comme Lisieux, Bernay, Orbec et le Sap; dans les campagnes, les biens restaient à l'abandon... A fort peu d'exceptions près, les biens des français proscrits restaient dans nos campagnes sans que personne voulut se les approprier, ni même les prendre a ferme de l'administration anglaise. » Le vicomte Louis Rioult de Neuville, De la résistance, etc., p. 27 et 38. « En 1434, les paysans du pays de Caux se voyant entièrement ruinés par les Anglais, s'assemblerent au nombre de vingt mille et firent beaucoup plus de mal à leur patrie qu'à leurs ennemis... Ces troupes sans discipline commirent de si grands désordres que tout le monde déserta, et l'on ne vit plus dans tout le pays de Caux ni hommes, ni femmes, excepté dans les forteresses. » Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, édit. Loth, II, 181.

Chron. du Bec, p. 94 et 95.

Suivant la Chronique, Thomas aurait été béni peu de temps après son élection, dans la cathédrale de Rouen1. Si l'auteur dit vrai, on pourrait croire qu'il reçut deux fois la bénédiction abbatiale. En effet, son élection rencontra d'abord une vive opposition en cour de Rome; pour obtenir qu'elle fût confirmée, la communauté s'adressa aux docteurs de l'Université de Paris. Le 28 juin de la même année, l'Université réunie en corps sous la présidence du recteur, dans l'église de Saint-Mathurin, écrivit au pape et aux cardinaux. pour plaider auprès d'eux la cause des religieux. Elle se portait garant des mérites de l'élu, et affirmait que les formes canoniques avaient été observées dans l'élection; enfin elle suppliait le pape de la sanctionner 2.

Martin V commença par casser l'élection de Thomas du Bec, sous prétexte qu'elle avait eu lieu malgré la réserve faite par lui de la donner à un abbé capable de la gouverner; puis il le nomma de sa propre autorité, proprio motu, l'autorisant à se faire bénir « par tel évèque qu'il voudrait, et à faire entre ses mains le serment de fidélité au Saint-Siège. Cette bulle est datée de Rome, le 18 août 1430 3. Le 27 novembre suivant, les grands-vicaires du chapitre de Rouen, en l'absence du doyen, Guillaume Entrant, accordèrent à Thomas l'autorisation de se faire bénir dans la chapelle de l'hôtel du Bec par l'évêque qu'il voudrait'.

1

L'abbé Thomas Frique fut obligé de résider souvent à

Chronique du Bec, p. 95. Frique est le nom que lui donne la Chronique; on pourrait aussi bien, et mieux peut-être, l'appeler Friquet, en latin Friquetus comme dans son épitaphe.

2 Bibl. nat., lat. 13905, fo 98 vo.

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Bibl. nat., lat. 13905, f° 44 vo et 50.

▲ Bibl. nat., lat. 13905, fo 11 vo. Le siège archiepiscopal de Rouen demeura vacant, par la translation à Besançon de Jean de la RocheTaillée, depuis le mois d'octobre 1429 jusqu'en février 1431. Nous ignorons si l'abbé du Bec usa de l'autorisation de Martin V et du chapitre de Rouen en recevant de nouveau la bénédiction abbatiale. Dans les Registres capitulaires de Rouen on lit, à la date du 16 août 1428, une « monitio facta Guillelmo Intrantis decano, in persona procuratoris sui; » on voulait l'astreindre à venir résider à Rouen. (Archives de la Seine-Inf., G. 2125.)

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