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propriétaires, et de ne pas dissiper, par cette distribution, le temporel de la communauté 1. La condamnation même de ces partages de biens entre les simples moines montre qu'ils étaient devenus fréquents.

Parfois, la cupidité ou la négligence de certains officiers claustraux, qui laissaient les religieux manquer du nécessaire, obligea les abbés à donner à chaque moine une pension particulière. Nous en trouvons un curieux exemple à Jumièges.

Lorsque l'abbé Jean de Fors vint, aux fètes de Pâques 1380, prendre possession de son abbaye, les religieux se plaignirent hautement de la négligence que les officiers de la chambrerie mettaient à payer ce qui était dû pour le vestiaire; et ils montraient les haillons dont ils étaient couverts. Ces abus émurent vivement l'abbé. Après avoir cherché le remède à ce mal, il n'en trouva d'autre, paraît-il, « que dans la cession qu'il se proposa de faire des rentes seigneuriales de sa chambre pour l'entretien de trente religieux de communauté, non compris les prieurs et officiers au nombre de neuf et leurs compagnons... Il fit entrer le notaire et lui dicta à haute voix, et mot à mot, l'acte par lequel il transmettoit aux trente religieux particuliers du monastère et à leurs successeurs en pareil nombre, 329 livres de rentes à prendre par l'un d'entre eux sur divers tènements et vavassories..., à condition qu'ils ne feroient à l'avenir aucune dépense pour leurs habits dont voici les noms : un froc, une coule ou scapulaire, une pelisse d'agneau, une cotte ou robe de brunette, une chemise d'étamine, un caleçon, un famulaire ou haut de chausse, une paire de bas et de chaussons d'étoffe blanche et une paire de souliers. Jean de Fors ne fut pas trompé dans le choix du remède qu'il avoit eru nécessaire pour obvier aux dissensions. Non seulement les religieux consentirent de se fournir de vêtements pour le prix, mais même de s'entretenir de couvertures, de draps de serge pour leurs lits et de linge pour le réfectoire. L'acte est du 16 juin 1380. 2 »

Ancienne et nouvelle discipline, etc., t. VI, p. 619.

• Hist. de l'abb. royale de Saint-Pierre de Jumièges, édit. Loth, II, 122–124.

Le 13 juillet 1398, l'abbé Geoffroy Harenc, accompagné de plusieurs seigneurs français et normands, entreprit un pèlerinage en Terre-Sainte. Voir Jérusalem, le Saint-Sépulcre, le tombeau de sainte Catherine au mont Sinaï, tel était le but de leur voyage. Pendant le retour, en traversant les déserts, l'abbé tomba dans un précipice d'où l'on ne put le retirer qu'au bout de trois jours, exténué et mourant de faim. Il fut si malade, que, ne pouvant voyager ni à pied ni à cheval, il fallut le transporter en litière jusqu'en Italie. Épuisé de souffrances, il mourut en arrivant à Padoue, le 15 juin 1399. Lorsque les moines du Bec apprirent la mort de leur abbé, ils envoyèrent plusieurs de leurs confrères célébrer à Padoue un service solennel et faire élever à Geoffroy un tombeau dans l'église où il avait été inhumé 1.

Chron. du Bec, p. 72. La Chronique de François Carré (p. 223) dit que Geoffroy Harenc fut inhumé dans la principale église, «< in majori ecclesia », de Padoue, ce qui peut s'entendre de la cathédrale ou de la fameuse basilique de Saint-Antoine. M. A. Bertolotti, archiviste d'Etat à Mantoue, a bien voulu rechercher s'il n'existait pas quelque trace du tombeau érigé à leur abbé par les moines du Bec; il n'en reste aucune. Voici ce que le savant archiviste nous écrivait en 1881 : « Ora sono in posizione di affirmarle che in nessuna chiesa de Padova essiste traccia di iscrizioni o de monumenti che reguardi il Gaufridus Harenc abbas Beccensis. »

CHAPITRE VII

Guillaume d'Auvillars, 26° abbé. Le pape refuse de ratifier son élection. Prieurés de l'ordre du Bec donnés en commende à des cardinaux. Réclamations des religieux. Bulles d'Alexandre V et de Jean XXIII. L'hôtel de la Barre du Bec à Paris. Acquisition de plusieurs fiefs. Achèvement de la forteresse de l'abbaye. Henri V en Normandie. Robert Vallée, 27° abbé. Les Anglais s'emparent de l'abbaye. Le roi d'Angleterre au Bec. Caractère de la conquête anglaise. Un parti de Français occupe l'abbaye. Les Anglais la reprennent. L'abbé du Bec emmené prisonnier à Rouen. L'église abbatiale est réconciliée. Acquisition de l'hôtel de la Fontaine à Rouen. Mort de Robert Vallée.

Un chapitre général avait été convoqué, le 17 juillet 1399, pour donner un successeur à Geoffroy Harenc. Il n'y eut de présents, avec Guillaume d'Auvillars, prieur claustral, que Jean de Bouquetot, prieur du Pré, Guillaume de Fécamp, prieur de Pontoise, et Jean de Liancourt, prieur de Saint-Philbert. La communauté prit part à l'élection qui ne se faisait plus par voie de compromis. Hugues le Renvoisier, doyen de l'église de Rouen, Robert de Livet, vicaire de l'archevêque, et Jean Tibout, chanoine d'Évreux avaient été invités à se trouver à l'élection, comme amis de la communauté, pour donner leur avis et conseil. Après les prières accoutumées,

'Il est appelé Hugues Lenvoisié par D. Pommeraye (Hist. de l'église cathédrale de Rouen, p. 310), et dans les Registres capitulaires de Rouen, et Hugez le Renvoisié par Pierre Cochon (Chronique normande, édit. C. de Beaurepaire, p. 336).

le prieur de Pontoise, ayant proposé le prieur claustral Guillaume d'Auvillars, fut suivi de toute l'assemblée '.

Cette élection, dit la Chronique du Bec, se fit par acclamation, « divinâ inspiratione ». Guillaume d'Auvillars fut béni le 3 août suivant par l'archevêque de Rouen, et installé dans sa chaire abbatiale le 24 du même mois 2.

Jusque là, les abbés du Bec avaient demandé aux seuls archevêques de Rouen la confirmation de leur élection. Mais comme les papes Clément VI, Grégoire XI et Clément VII avaient donné en commende des bénéfices réguliers à des cardinaux et à des prélats français, Guillaume d'Auvillars agit prudemment en demandant au pape d'Avignon de confirmer son élection à l'abbaye du Bec; il pouvait craindre des compétiteurs.

Benoit XIII, le fameux Pierre de Lune, avait été élu, le 28 septembre 1394, par les cardinaux fidèles à Clément VII; et bien que l'obédience lui eût été soustraite par l'assemblée générale du clergé français, le 22 mai 1398, cette mesure n'avait point été approuvée par la France entière. Benoit conservait un bon nombre de partisans ayant à leur tête le duc d'Orléans. Ce fut à ce pape que Guillaume d'Auvillars eut affaire 3.

La ratification de son élection n'eut pas lieu, sans de grandes difficultés; il fallut que tous ses amis s'en mêlàssent et écrivissent lettres sur lettres. La communauté du Bec s'adressa d'abord à Amédée de Saluces, cardinal du titre de Sainte-Marie Nouvelle, et doyen de Bayeux. On lui représen tait que Guillaume d'Auvillars, précédemment prieur claustral, avait fait preuve de zèle, de prudence et de piété ; qu'il avait autrefois honorablement occupé les offices d'hôtelier,

Bibl. nat., lat. 13905, f 11 v°.

Chron. du Bec, p. 73.

* On lit dans le compte rendu en 1400-1401 par Nicolas de Bourc, trésorier de l'archevêque de Rouen: « A Jean Caïn, de Saint-Maclou, lequel porta des lettres de par Monseigneur aux six évêques de la province, et à l'abbé du Bec Heluin et de Corneville, pour cause de l'assemblée qui devoit estre des prélats et seigneurs de ce païs à Més en Lorraine sur l'union de l'Eglise... 4 livres 10 sols. » Arch. de la Seine-Inférieure,

de justicier et de sous-cellérier, et de prieur conventuel de Saint-Philbert, et que son élection serait de tout point avantageuse à son monastère1. Les religieux écrivirent dans le même sens à l'évêque de Lérida. L'évêque de Lisieux écrivit au pape pour lui recommander le nouvel élu ; l'archevêque de Rouen le recommanda au cardinal de Saluces; l'évêque de Bayeux s'adressa également à ce cardinal, puis aux cardinaux Acciaioli, archevêque de Florence, Pierre Blain, Ange-Anne, évêque de Préneste, et Pierre de Thury, évêque de Maillezais. De son côté, Guillaume d'Auvillars adressa une lettre au cardinal de Vergy, archevêque de Besançon; il le priait de l'excuser auprès du pape de ne pas se rendre en personne à Avignon; faire un aussi long voyage aurait été imposer une trop lourde charge à son abbaye, déjà épuisée par des dépenses de toute sorte 3. Il écrivit encore au cardinal de Saluces et à l'évêque de Lérida‘.

Enfin, le comte de Tancarville adressa, le 7 novembre 1403, la lettre suivante à Benoît XIII; elle renferme de trop curieux détails pour que nous ne la reproduisions pas ici.

<< Très saint père et mon très benoist seigneur, je me recommande à votre Sainteté tant et si humblement come je puis. Très saint père et mon très benoist seigneur, plaise a vous scavoir que quatre ans et plus le monstier de Nostre Dame de

« Qui quanquam in minoribus bene rexerit, ut rei experientia manifestat, nunc in majoribus constitutus tam in protectione et deffensione jurium quam in aedificationem et reparationem aedificiorum dicti monasterii per guerrarum et mortalitatum voragines antea destructorum, contentus victu satis arcto, per amplius videtur insudare, et de bono in melius perseverando statum religionis ac regulares disciplinas observare. » Bibl. nat., lat. 13905, f 13.

Bibl. nat., lat. 13905, f 12 v et 13.

« Nimis sumptuosum et quali dicto monasterio importabile foret, me de praesenti ad sanctam sedem apostolicam pro confirmatione dictae electionis inquirenda personaliter accedere, attentis oneribus eidem monasterio nunc imminentibus, de quibus magister Robertus Bende, lator praesentium, quem propter hoc ad dictam sanctam sedem transmitto, V. R. Paternitatem, si placet, plenius informabit. » Bibl. nat., lat. 13905, fo 13.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 13.

Le comte de Tancarville avait également écrit au cardinal de Saluces. (Id., fo 13.)

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