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Par une sollicitude digne d'être remarquée, Eudes Rigaud visitait de préférence les prieurés de moindre importance. dans lesquels la discipline régulière était nécessairement moins bien observée que dans les grands monastères. Il vint jusqu'à quatorze fois dans le petit prieuré de Saint-Martin de la Garenne, au diocèse de Rouen. Le nombre des religieux était ordinairement de quatre ou cinq. Ils ne tiennent pas le chapitre; le sacristain et le sonneur sont « ebriosi et levis capitis»; le jeune et l'abstinence sont mal observés; certains religieux, quoique présents au chœur, ne psalmodient pas; le prieur lui-même est loin d'être irréprochable. Cependant, on fait l'aumône trois fois la semaine à tout venant. De 1261 à 1263, en raison des mauvaises récoltes de la vigne et de l'appauvrissement qui en est résulté, on réduit à trois le nombre des religieux. Le revenu du prieuré était de 150 livres; la dette, en 1249, était de 25 livres, de 80 en 1251, de 120 en 1255; elle se maintient à peu près à ce chiffre pendant quelques années. En 1266, après plusieurs années de. mauvais temps qui ont détruit les vignes, elle s'élève au chiffre énorme de 350 livres. L'année suivante, l'abbé du Bec, auquel on doit pourtant 340 livres, en prête encore 20 au prieur pour l'aider à replanter ses vignes. La dernière visite de l'archevêque est du 15 mai 1268; l'état du malheureux prieuré. s'est encore aggravé; on n'a laissé que trois religieux au lieu de cinq Jean du Bec, prieur, Geoffroy d'Hérouville et André de Rouen. Le prieuré devait 130 livres en plus de la vieille dette de 320 livres dont on était redevable à l'abbé du Bee 2.

L'abbaye possédait à Tillières un manoir seigneurial; Eudes Rigaud en exigea plusieurs fois la procuration qu'il lui devait, comme ayant été autrefois prieuré régulier. « Le 1er mai 1250, à Verneuil, aux frais du manoir de Tillières appartenant à l'abbaye du Bec. Il n'y a plus de religieux 3. »

Saint Martin-la-Garenne, canton de Limay (Seine-et-Oise).

Regestr. visit., p. 45, 104, 131, 166, 189, 227, 271, 345, 390, 478, 504, 533, 572, 601.

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Le 21 juin 1255, l'archevêque couche à Breteuil, et le fermier lui paie une procuration de 8 livres 17 sols 11 deniers1. Le 5 mai 1269, Eudes Rigaud vient en personne à Tillières; il trouve les bâtiments découverts, et tout le manoir dans un état déplorable. Il va coucher à Breteuil, « dans le château du roi », mais c'est encore le gardien du manoir de Tillières qui fait les frais de l'hébergement s'élevant à 10 livres, 16 sols, 11 deniers 2.

Bures était un petit prieuré dépendant de celui du Pré, au diocèse de Rouen. L'archevêque vint treize fois le visiter. Il n'y avait que deux religieux prêtres, plus occupés à surveiller les travaux agricoles de leur vaste domaine qu'à pratiquer fidèlement les observances de leur règle; des femmes venaient parfois manger au prieuré. Les revenus de Bures étaient considérables; Eudes Rigaud dit que le prieur du Pré en retirait bien 600 livres ; les deux religieux ne gardaient strictement que ce qui leur était nécessaire pour la nourriture et le vêtement. Trois fois la semaine, on faisait l'aumône à tous les pauvres qui se présentaient.

Regest. visit., p. 219.

* Regestr. visit., p. 625. Deux fois, en 1264 et en 1269, l'archevêque fut hébergé dans un autre manoir dépendant du Bec, celui de Longueil, près de Dieppe. (Regestr. visit., p. 492 et 637.)

3 Regestr. visit., p. 267. Le prieur de Bures n'était en réalité qu'un gardien ou officier administrant le manoir au gré du prieur du Pré. (Id., p. 451.)

• Regestr. visit., p. 48, 100, 208, 267, 301, 380, 419, 451, 491, 522, 566, 598, 634.

CHAPITRE VI

Robert de Rotes, 22o abbé. Commencement de la guerre de Cent ans. L'abbaye du Bec est fortifiée. Désordres dans certains prieurés. Guillaume de Beuzeville, 23° abbé. Les offices claustraux au Bec. Réconciliation de la chapelle du B. Herluin. Estout d'Estouteville, 24 abbé. Son administration désastreuse. Geoffroy Harenc, 25° abbé. Restauration du monastère. Bulles accordant aux abbés l'usage des pontificaux. Les moines propriétaires. Voyage de l'abbé Harenc en Terre-Sainte. Il meurt à Padoue.

Pour élire le successeur de Jean des Granges, on renonça à la voie du compromis pour celle du scrutin; on vota par suffrages secrets. C'est ainsi que fut élu Robert de Rotes, alias Couraye, docteur en décret, qui réunit la presque totalité des voix 1. L'élection eut lieu au mois d'avril 1350. Cet abbé fut le premier témoin des maux sans nombre causés par la guerre anglaise, et qui désolèrent l'abbaye pendant près d'un siècle.

Les rois d'Angleterre n'avaient jamais perdu de vue le duché de Normandie, qu'ils ne désespéraient pas de reconquérir. Un certain nombre de seigneurs mécontents favorisaient secrètement les vues d'Edouard III, et entretenaient avec lui des relations suivies. Philippe VI découvrit une conspiration ourdie par plusieurs seigneurs normands et bretons à la tête desquels étaient Godefroy d'Harcourt,

1

Chron. du Bec, p. 60. 11 gouverna l'abbaye « ferme undecim annis et quinque mensibus »; ce qui reporte son élection au mois d'avril 1350.

Richard de Percy, Jean de la Roche-Tesson et Guillaume Bacon. Le 31 mars 1344, ces trois derniers furent condamnés au supplice. Godefroy d'Harcourt, qui avait pu s'enfuir en Angleterre, fut condamné par contumace, et ses biens furent confisqués. Le transfuge conseillait à Edouard de descendre dans le Cotentin, s'offrant à lui servir de guide. « Sire, lui fait dire Froissart, le pays de Normandie est ung des plus grans du monde, et vous promets, sur le bandon de ma teste, que si vous y arrivez, là vous prendrez terre à vostre voulenté..., et trouverez en Normandie grosses villes et riches bastides qui point ne sont fermées, où vos genz auront si grand prouffit que ils en vauldront mieux vingt ans après 2. >>

Edouard III se proposait de mettre voile pour la Guyenne; mais des vents contraires l'ayant assailli dans la Manche, il adopta l'avis du seigneur d'Harcourt, et le 12 juillet 1346, le roi d'Angleterre abordait à la Hougue de Saint-Wast. Cherbourg, Barfleur, Carentan, Saint-Lô, Bayeux tombèrent promptement en son pouvoir. « Et fu messire Godefroy de Harcourt conducteur de tout son ost, pour tant qu'il savoit les entrées et les issues en Normandie. » Caen fut enlevé après quelques jours de résistance; les bourgeois qui voulaient se défendre avaient demandé au roi de France de leur envoyer des secours. Philippe, surpris, ne put que leur en procurer d'insuffisants sous les ordres du connétable Raoul, comte d'Eu, et du comte de Tancarville. Edouard III, que rien n'arrêtait, remonta la rive gauche de la Seine par Louviers et Vernon, jusqu'à Poissy; il s'approcha même de Paris, puis il se dirigea brusquement vers le Nord pour occuper le Ponthieu. Philippe, qui avait eu le temps d'accourir du fond de la Gascogne, joignit les troupes anglaises; ce fut pour subir L. Delisle, Hist. du château et des sires de St-Sauveur-le-Vicomte,

p. 55.

Le Premier volume de messire Jehan Froissart, édit. de 1530, fo 65 vo. Un peu plus loin, le chroniqueur ajoute : « Si trouvèrent le pays gras et plantureux de toutes choses; les granges plaines de bleds et d'avoynes; les maisons plaines de toutes richesses, riches bourgeois, chars, charrettes, chevaulx, pourceaulx et moutons et les plus beaulx biens du monde, et beufz que on nourrissoit en ce pays. » Id., fo 66.

la sanglante défaite de Crécy, le 26 août 1346. Edouard III assiégea et prit Calais.

Mais vainqueurs et vaincus étaient épuisés. Les deux souverains consentirent à signer, le 28 septembre 1347, une trève de dix mois sous la médiation des légats pontificaux; cette trève fut prolongée et renouvelée à plusieurs reprises, mais sans que le pape pût obtenir qu'elle fût convertie en paix définitive.

Philippe VI mourut le 22 août 1350. Son fils Jean, duc de Normandie, lui succéda. La guerre qui avait éclaté entre le roi de France et Charles le Mauvais, roi de Navarre, offrit aux Anglais une excellente occasion de rentrer en lice. Cependant, la cour d'Avignon n'avait cessé de négocier la conclusion d'un traité définitif entre la France et l'Angleterre; mais ces négociations, qui furent très actives en 1354 et 1355, ne purent aboutir. La lutte allait recommencer. Pour subvenir aux frais énormes qu'elle entraînerait, il fallut recourir à des expédients financiers. Jean passa plusieurs traités de subsides avec la Normandie, l'Auvergne, le Maine et l'Anjou. Enfin, il convoqua les États généraux à Paris pour le 30 no

vembre 1355.

Le prince de Galles, à la tête d'une douzaine de mille hommes, parcourait et ravageait le Limousin, l'Auvergne, le Berry et le Poitou. Jean, qui avait convoqué la noblesse à Chartres pour le mois d'août, dans le but d'arrêter la marche du prince, le joignit dans les environs de Poitiers et lui livra bataille, le 19 septembre 1356. Comme à Crécy, l'armée française fut complètement défaite, et de plus, le roi fut fait prisonnier avec son jeune fils Philippe qui, n'ayant pas voulu l'abandonner, dut à cette circonstance d'être appelé Philippe le Hardi.

Quoique le théâtre de la guerre fût placé loin de la Normandie, cette province n'en avait eu pas moins à souffrir. Au nombre des principaux vassaux du duché se trouvait un prince du sang royal, Charles le Mauvais, roi de Navarre et comte d'Evreux, qui possédait le Cotentin tout entier, le comté de Beaumont-le-Roger, la vicomté de Pont-Audemer, les châtellenies de Conches et de Breteuil. Le 8 janvier 1354,

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