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MARDI 17 AOUT 1830.

(N° 1672.)

Précis sur le pillage de l'Archevéché.

Quel que soit le parti qu'on embrasse et la cause que l'on défende, il est toujours indigne d'un honnête homme d'employer contre ceux dont on s'est fait l'ennemi l'arme de la cafomnie, et de s'en servir surtout lorsque les objets de la haine sont malheureux. Telle a été cependant la conduite de quelques journaux à l'époque du désastre de l'Archevêché. Non contens d'avoir précédemment, par leurs déclamations, provoqué la haine contre les prêtres, ils n'ont pas craint d'avancer des faits matériellement faux pour justifier la conduite de ceux qui ont dévasté cette maison. Ainsi ils ont assuré que des chanoines, des séminaristes et des domestiques avoient tiré. sur le peuple, et qu'on avoit trouvé dans l'Archevêché cent poignards avec deux barils de poudre. L'absurdité de la première assertion est patente pour quiconque connoît le chapitre de Notre-Dame, qui ne compte que deux chanoines un peu jeunes, et qui renferme un nonagénaire, plusieurs octogénaires et septuagénaires. Quant à la seconde assertion, elle est aussi dénuée de fondement que la première. Je connois parfaitement cette maison, en détail et depuis long-temps; j'affirme donc hardiment, sans crainte d'être démenti, que jamais il n'y est entré aucune espèce d'armes, ni de munitions, et je défie qui que ce soit de prouver qu'on y en ait trouvé, à moins qu'elles n'y aient été portées au moment de l'évènement.

Après avoir à juste titre réclamé contre des faussetés insignes, je crois devoir faire connoître la vérité sur les évènemens qui se sont passés à l'Archevêché les 28 et 29 juillet dernier. Depuis le commencement de mai, M. l'archevêque n'habitoit plus cette maison; mais il y venoit souvent, soit pour donner des audiences, soit pour aller de là dans les paroisses de la ville et de la campagne; car cette année surtout, que sa santé le lui avoit permis, il s'étoit en quelque sorte multiplié, pour répondre aux voeux de MM. les curés et aux besoins de son diocèse. Le secrétaire, le sous-secrétaire de l'Archevêché

Tome LXV. L'Ami de la Religion.

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et deux laïcs attachés au secrétariat étoient, avec les concierges, les seuls qui résidassent alors dans le palais archiepiscopal. Le mercredi 28, les deux ecclésiastiques furent, dès le matin, avertis qu'un rassemblement alloit se porter sur l'Archevêché. Forts de leur innocence, et ne pouvant se persuader qu'on en viendroit aux dernières extrémités, ignorant d'ailleurs qu'on se battoit en ville, ils ne s'effrayèrent pas beaucoup de ces avis. Cependant le sous-secrétaire sortit à dix heures et alla chercher un asile hors de la maison. Le secrétaire se livra à ses occupations ordinaires jusqu'à onze heures, que de nouveaux avis le déterminèrent aussi à partir. L'un et l'autre se retirèrent sans prendre aucune précaution pour sauver leurs effets, tant étoit grande encore leur sécurité. Il y avoit peu de temps qu'ils avoient fui, lorsqu'une troupe se présenta à la grande grille du palais, demandant à grands cris l'archevêque, afin, dirent-ils, de le pendre au drapeau tricolore qui venoit d'être arboré au haut d'une des tours de Notre-Dame. D'après l'assurance qu'on leur donna qu'il n'y étoit pas, ils demandèrent les calotins de sa suite pour les pendre à sa place. C'est à peu près tout ce qui eut lieu ce jour à l'Archevêché; mais ce n'étoit que le prélude des scènes de dévastation qui étoient préparées pour le lendemain.

Dès le matin du 29, on fut informé que le pillage auroit lieu dans la journée; malheureusement on n'en fut pas averti assez à temps pour en prévenir les effets déplorables, en sauvant au moins quelques objets. A neuf heures du matin, des hommes, au nombre de 80 environ, se présentent à la grande grille et commandent impérieusement qu'on la leur ouvre. Le concierge ayant voulu leur faire des représentations, est exposé à perdre la vie. Force lui fut alors d'obéir. Dès que la première grille est ouverte, ces hommes, suivis d'une multitude qui se montoit bien à 12 ou 1500 personnes, parmi lesquelles se trouvoient plusieurs femmes, se précipitent dans la première cour. C'est alors, à ce qu'il paroît, que des fenêtres de la maison on tira des coups de fusil. Des jeunes gens avoient devancé les autres et s'y étoient introduits par le jardin; ils donnèrent de cette manière le signal au reste de la troupe. Plus tard, le vestiaire de l'église ayant été envahi et les armoires enfoncées, quelques-uns des assaillans s'affublèrent de soutanes et de bonnets carrés, et dans ce costume, ils firent aussi feu des fenêtres. Voilà ce qui explique la fausse accusa

tion d'avoir tiré sur le peuple, dirigée contre les chanoines, les séminaristes et les domestiques de M. l'archevêque. On a déjà répondu à cette calomnie en ce qui regarde les chanoines. On ajoute ici qu'il n'y avoit pas un seul séminariste, ni un seul domestique dans la maison; mais seulement les deux concierges, qui tous deux étoient à leur poste.

Le secrétariat, placé au rez-de-chaussée entre les deux cours, fut le premier lieu dévasté. La porte d'entrée est forcée. et bientôt ce local n'offre plus qu'un monceau de registres, papiers, livres et cartons déchirés. La presse à sceller, les tables, les fenêtres et le poêle sont brisés. Tous les titres du diocèse sont anéantis, d'anciennes archives qui avoient échappé au désastre de la révolution le sont également. L'argent destiné au paiement des pensions des ecclésiastiques infirmes et aux dépenses des établissemens diocésains disparoît, à l'exception d'un sac de 2,000 fr. porté à l'Hôtel-Dieu. Plusieurs reliques de saints sont profanées, et deux beaux reliquaires tout neufs sont mis en morceaux.

La multitude se porte ensuite dans la seconde cour, et se rend dans le corps de logis principal, occupé par M. l'archevêque. Une partie s'empresse d'aller à la cave, où étoit le vin pour les messes de Notre-Dame, et à celle de la maison; on en rapporte tout le vin, dont on boit largement. Une autre partie monte au premier étage et en trouve toutes les portes ouvertes, suivant l'ordre qu'en avoit donné M. l'archevêque. Là commence une scène de dévastation épouvantable. Le palais archiepiscopal, restauré par ordre de Bonaparte, qui l'avoit d'abord destiné à la résidence du cardinal Fesch, et plus tard à celle du Pape Pie VII, lorsqu'il voulut le faire venir à Paris, étoit en bon état et bien décoré. Boiseries anciennes, riches et dorées, meubles, tentures, ameublemens, marbres de cheminées, lustres, glaces, livres, tableaux, tout est déchiré, brisé et brûlé ou jeté à la rivière. Toutes les serrures sont forcées, les moindres objets disparoissent, et ces beaux appartemens n'offrent plus bientôt que le triste spectacle de la destruction la plus complète.

Après avoir ainsi dévasté le premier étage, la multitude se porte au second. C'est là que demeuroient le plus grand nombre des ecclésiastiques attachés à l'archevêché, un employé du secrétariat et ceux des gens de service qui logeoient dans la maison. La scène du premier étage s'y renouvelle toute en

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tière. Pas de coin si petit, pas de réduit si obscur qui ne soit fouillé avec soin, et d'où l'on ne retire les moindres objets qui s'y trouvent. C'est à coups de fusil qu'on ouvre les portes et à coups de hache qu'on enfonce les armoires. Le secrétaire de l'Archevêché et le sous-secrétaire avoient chacun une bibliothèque, les livres en sont jetés par les fenêtres sur le pavé, et du pavé dans la rivière. Les croisées et les persiennes sont aussi arrachées et également jetées à l'eau. Enfin linge, vêtemens, meubles, papiers de famille, titres, rien n'est épargné, tout disparoît, et en peu d'heures tous les habitans du second étage se trouvent dans le plus entier dénuement.

Malgré tant de ravages, la dévastation n'étoit pas encore complète; il restoit l'appartement de M. l'abbé Desjardins et celui du valet de chambre de M. l'archevêque; ils éprouvèrent bientôt le même sort que les autres, et ce vénérable ecclésiastique, si recommandable par ses vertus, si remarquable par ses belles qualités, est, ainsi que les autres habitans de la maison, dépouillé de tout ce qu'il possédoit. Enfin il n'est pas jusqu'aux concierges qui ne voient aussi briser tout dans leurs modestes demeures.

Une communication existe entre l'Archevêché et la salle du trésor, mais c'est par l'église néanmoins qu'on va à cette salle, qui renfermoit les objets les plus précieux de la Métropole. Cette communication a été cause de la ruine du trésor. Tout ce qui s'y trouvoit a été brisé, déchiré, et l'on a à regretter la perte des plus beaux ornemens. Le prêtre trésorier lui-même, quoique étranger à l'Archevêché, n'a pas été respecté, et son logement envahi n'a pas été mieux traité que les autres.

Si, à tous ces détails, l'on joint sept meurtres commis pendant la dévastation, soit dans l'Archevêché même, soit auprès du jardin, on comprendra aisément que la désolation a été au comble dans une maison qui, dans la révolution, n'avoit pas été le théâtre de pareilles horreurs.

Tel est le récit succinct du désastre de l'Archevêché de Paris. On voit quels en sont les résultats :

1o La dévastation totale d'un grand édifice, dont il ne reste plus que les murailles et la toiture;

2o La destruction d'un mobilier considérable appartenant au département de la Seine;

3o L'anéantissement de tous les titres et papiers relatifs à l'administration du diocèse de Paris;

4o La perte des valeurs importantes nécessaires au soutien des établissemens diocésains et au soulagement des pauvres prêtres;

5o La destruction d'un grand nombre d'objets d'art, de beaux tableaux, de portraits précieux et de sept bibliothèques,

savoir :

Celle de l'Archevêché, composée d'environ 20,000 volumes, et renfermant d'importantes collections littéraires, surtout celle des Bollandistes, qui venoit d'être complettée;

La bibliothèque de M. l'archevêque, renfermant des livres de prix ;

Une autre bibliothèque au rez-de-chaussée, occupant deux pièces;

Celle de M. l'abbé Desjardins, nombreuse et bien choisie; Celle de M. Tresvaux, secrétaire de l'Archevêché, composée de près de 1,500 volumes, et dans laquelle se trouvoient plusieurs livres rares et curieux, ainsi que des manuscrits;

Celle de M. Molinier, sous-secrétaire, qui venoit d'être formée, et qui valoit près de 3,000 fr.;

Celle de M. Surat, secrétaire particulier, peu nombreuse, mais bien choisie;

La profanation de beaucoup de saintes reliques conservées dans divers endroits de la maison, et d'objets servant au culte divin;

Enfin la ruine totale de plus de vingt personnes qui habitoient cette maison, et dont la plupart sont maintenant sans effets et sans ressources (1).

(1) Le Moniteur, qui n'avoit pas parlé des désastres de l'Archevêché, s'efforce aujourd'hui de l'atténuer, en avançant, dans son numéro de dimanche, qu'un grande partie des effets qui avoient été jetés dans la Seine ont été repêchés par les mariniers, et fidèlement déposés entre les mains du commissaire de police du quartier St-Jacques. Nous voudrions pouvoir confirmer ce fait; mais si n'est pas là un mensonge officieux, c'est une complète illusion. La plus grande partie des effets de l'Archevêché qui ont été jetés dans la rivière étoient par là même hors d'état de servir. Des li~ vres, des papiers, des tableaux, des fauteuils, sont autant d'objets que le séjour dans l'eau n'avoit pu que détériorier. Si on les a retrouvés, ce seroit donc sans utilité pour les propriétaires, qui d'ailleurs n'ont rien appris jusqu'ici de cette pêche merveilleuse et de ce dépôt chez le commissaire.

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