Page images
PDF
EPUB

CHAMBRE DES PAIRS.

La chambre des pairs avoit tenu une courte séance le samedi 7 à trois heures, et il ne s'y étoit passé rien d'important. Mais le soir on lui communiqua ce qu'avoit fait la chambre des députés. Les pairs s'assemblèrent donc à neuf heures du soir au nombre de 114. La discussion s'ouvrit sur la déclaration des députés. M. de Chateaubriand s'éleva à la fois contre la mesure qui supprime les pairs de Charles X, contre l'idée de faire une république et contre le projet de créer une monarchie nouvelle. Il fit l'éloge du peuple de Paris dans la dernière révolution, parla en faveur du duc de Bordeaux, et vota contre la déclaration. Ce discours, mélange singulier de dévouement à la monarchie légitime et à la liberté, se ressent beaucoup des opinions où l'auteur s'étoit laissé entraîner dans ces derniers temps.

M. le comte d'Andlau, pair nommé en 1827, résigne sa pairie. Cet exemple est suivi par MM. de Bouillé, Hocquart et de Grosbois. Au moment où l'on alloit délibérer sur la vacance du trône, plusieurs pairs se sont retirés, entr'autres MM. de Glandéves, de Brézé, de Maillé, de Rougé; M. de Castelbajac a dit qu'il se retiroit aussi, que sa conscience et son serment lui ordonnoient de voter contre la proposition faite, et que personne n'avoit le droit de déclarer le trône vacant.

MM. de Barante et de Pontécoulant se sont élevés contre la suppression des pairs de Charles X. La chambre a déclaré, sur leur avis, qu'elle ne pouvoit délibérer sur ce point, et qu'elle s'en rapportoit à la haute prudence du lieutenant-général. Le scrutin a donné le résultat suivant: pour la déclaration, 89 voix; contre 10; billets blancs, 14; 1 bulletin nul. La décision a été portée immédiatement au prince par une grande députation.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Le 6, M. le doyen d'âge est à 10 heures au fauteuil : à 11 heures il n'y a qu'une soixantaine de membres.

Sur la proposition de M. Martin Laffitte, on ajourne l'élection des candidats à la questure, jusqu'à ce qu'on sache si la chambre ou le prince les nommera.

M. le doyen veut lire l'adresse des habitans de Saint-Quentin; mais on lui fait observer que c'est contraire aux usages de la chambre, et que les adresses des citoyens de Paris auroient d'ailleurs la priorité.

Un congé d'un mois est accordé à M. Guilhem, qui est malade. M. Labbey de Pompières lit une ordonnance de M. le lieutenant-général, qui nomme président de la chambre M. Casimir Perrier, celui des candidats qui a réuni le plus de suffrages, et qu'ainsi la chambre auroit nominé elle-même.

Comme M. Casimir Perrier est absent, M. le doyen cède le fauteuil à M. J. Laffitte, qui se trouve le premier vice-président, comme étant le second des cinq candidats à la présidence. Les quatre secrétaires définitifs prennent place en même temps.

M. Salverte remet une proposition, portant que la chambre accuse de haute-trahison les ministres signataires des ordonnances du 25 juillet. Cette proposition est renvoyée dans les bureaux sans la moindre opposition.

L'élection de M. de Vaulchier est annullée pour violation du secret des votes.

On apporte une lettre de M. Casimir Perrier, par laquelle il expose que le mauvais état de sa santé l'empêche de présider en ce moment, et où il prie M. J. Laffite de continuer à le remplacer.

M. de Corcelles demande que tous les membres qui siégent dans la chambre signent la proclamation faite par quelques députés, pour conférer la lieutenance-générale du royaume à M. le duc d'Orléans, afin qu'il n'y ait dans la chambre aucun ennemi secret ou caché.

M. Berryer représente que cette proposition devroit préalablement être renvoyée dans les bureaux.

M. Bérard soutient que la Charte ayant été violée, Charles X et son fils n'ont aucun droit de transmettre un pouvoir qu'ils ne possèdent plus ; que le peuple, représenté par ses députés, a maintenant le droit de se choisir un chef; qu'on trouvera toutes les garanties constitutionnelles dans M. le duc d'Orléans, et qu'il n'y a pas à s'occuper de question de l'ancienne légitimité, d'établissement de la république, de donner le trône à Napoléon II; en conséquence il soumet les propositions suivantes :

1o La chambre des députés prenant en considération, dans l'intérêt public, l'impérieuse nécessité qui résulte des évènemens des 26, 27, 28 et 29 juillet, et de la situation générale de la France, déclare que le trône est vacant, et qu'il est indispensablement besoin d'y pourvoir;

2o Selon le vœeu, et dans l'intérêt du peuple français, la Charte sera modifiée ainsi qu'il suit :

l'exé

L'art. 6, relatif à la religion de l'Etat, seroit supprimé. L'art. 14 portera que le roi rend des ordonnances pour cution des lois (et non pour la sûreté de l'état). Les lois pourront être proposées par les chambres; on siégera à la chambre des pairs à 25 ans, et les séances de cette chambre seront publiques, sauf la demande de cinq membres. On pourra être électeur et même député à 25 ans. Les présidens de colléges électoraux seront nommés par les électeurs, et le président de la chambre des députés par elle-même. Les art.19, 20, 21, 31, 36, 46, 47 et 56 de la Charte sont supprimés. La Charte et les lois sont mises sous la protection

[ocr errors]

des gardes nationales. Toutes les nominations de pairs faites par Charles X sont annullées.

La chambre déclare en outre qu'il est nécessaire de pourvoir, par des lois séparées, à l'extension du jury aux délits de la presse, à la responsabilité des ministres et de tous les agens du pouvoir, à la réélection des députés fonctionnaires, au vote annuel du contingent de l'armée, à l'organisation des gardes nationales, lesquelles choisiront leurs officiers; à un code militaire, assurant aux officiers leurs grades; à l'administration départementale et communale; à l'abolition du double vote et à la fixation des conditions électorales; à la liberté de l'enseignement.

Moyennant l'acceptation de ces dispositions, M. le duc d'Orléans est appelé au trône, et prendra le titre de Roi des Français. A la suite d'une vive discussion, la proposition de M. Bérard est renvoyée à une commission spéciale. L'extrême gauche s'y opposoit, en appuyant le vœu de M. Demarcay, que la Charte soit annullée, et qu'une constitution soit rédigée.

Cette commission est composée de MM. Bérard, de Sade, Humann, Delessert, Aug. Perrier, Sébastiani, Bertin-Devaux, Rouillé de Fontaine, Destutt de Tracy.

La commission de l'adresse se compose de MM. Villemain, Pavée de Vandoeuvre, Humblot-Comté, Kératry, Dupin aîné, Matthieu Dumas, Benjamin Constant, J. Lefebvre, Etienne, A huit heures du soir, les députés reviennent à leur poste. Une foule immense assiégeoit dès six heures les alentours de la salle, et poussoit toutes sortes de cris. On entend surtout les cris: Vive la république! point de duc d'Orléans! plus de roi! à bas les pairs! M. Girod (de l'Ain), préfet de police, et Lafayette, sortent pour haranguer cette foule; mais ils ne peuvent faire cesser le désordre. M. Aug. Perrier pense qu'il faut ajourner les délibérations, parce qu'on veut les violenter. Enfin, M. Bənj. Constant va luimême pour essayer d'apaiser le tumulte, et obtient du calme.

La séance est reprise à neuf heures. M. Laffitte, vice-président, donne lecture de l'acte d'abdication de Charles X et du dauphin, qui lui est envoyé par M. le lieutenant-général.

Une foule de voix : Nous n'en voulons pas ; c'est un acte sans valeur... Malgré de vives réclamations dans ce sens, de M. Mauguin, le dépôt en est ordonné aux archives par la majorité des deux

centres.

M. Bavoux demande que la chambre vote des remercîmens à la ville de Paris, pour sa conduite dans les glorieuses journées des 27, 28 et 29 juillet, et que l'on érige en son honneur un monument portant pour inscription: A la Ville de Paris, la Patrie reconnoissante. Adopté.

A dix heures, M. Dupin ainé fait le rapport de la commission qui a examiné la proposition de M. Bérard.

La commission, dit-il, a reconnu, à l'unanimité la nécessité de proclamer la vacance du trône. Elle demande que l'on déclare que la religion catholique est celle de la majorité des Français (et non de l'Etat). L'art. 8, sur la liberté de la presse, sera dégagé de ces mots : sauf les mesures propres à empêcher les abus. Ce sera devant les chambres que le roi prêtera serment d'observer la nouvelle Charte et les lois. La commission ne pense pas qu'on puisse annuller de suite les pairies conférées par Charles X; mais elle propose de stipuler que cette question sera examinée dans la prochaine session.

M. de Rambuteau demande que l'on commence immédiatement la discussion sur cet objet. MM. B. Constant et Salverte s'y opposent. M. Mauguin verroit avec peine que l'on appelât la religion catholique et romaine celle de la majorité des Français; car, selon lui, cette majorité professe le gallicanisme, qui seroit différente. de la religion romaine.

Après une nouvelle discussion, et sur les conclusions de M. Guizot, on décide que le rapport de la commission sera imprimé dans la nuit, et sera distribué pour le lendemain matin.

Le 7, la séance s'ouvre dès huit heures, d'après une convocation faite pendant la nuit; mais comme les journalistes ne sont pas arrivés, on croit devoir retarder le commencement des délibérations.

De nombreux détachemens de garde nationale circulent autour de la chambre pour empêcher de nouveaux attroupemens et désordres.

On reçoit des adresses d'habitans de Paris et de la Meuse. M. Marschall demande qu'elles soient renvoyées à la commission des pétitions, afin que l'on fasse connoître à la chambre les beaux sentimens qu'elles renferment.

L'ordre du jour est la discussion de la proposition de M. Berard sur la modification de la Charte, la déchéance de la famille royale et l'appel au trône de M. le duc d'Orléans.

M. de Conny prononce le discours que nous avons donné au commencement du numéro.

M. B. Constant cherche à établir que l'insurrection est un devoir pour un peuple dont les droits sont violés, et qu'il n'y a d'autre légitimité que celle des voeux d'une nation; qu'il nous faut un autre prince, et que M. le duc d'Orléans offre de dignes antécédens et d'excellentes garanties.

M. Hyde de Neuville est affligé de tout ce qui est arrivé; il croit avoir fait tout ce qu'il a pu pour l'empêcher. Il pense que la mesure que l'on va prendre est si grave qu'on ne devroit point ainsi l'improviser; et comme il ne peut s'y opposer, il se borne à faire des vœux pour le bonheur de la patrie.

M. Al. Delaborde ne veut pas entendre parler de M. le duc de Bordeaux. Ce n'est qu'un enfant; et d'ailleurs la légitimité que l'on invoque se trouve avoir péri dans le sang des Français. Au surplus, selon l'orateur, M. le duc d'Orléans descend de plus près en ligne directe du seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire, de Henri IV.

M. de Lézardière croit que sa conscience est engagée par le serment de fidélité au roi qu'il a prêté dans le collége électoral qui l'a nommé. Il condamne les conseillers des ordonnances du 25 juillet; mais il ne se croit pas obligé d'aller plus loin. La France est menacée d'interminables malheurs, si le droit de détrôner le roi et de changer la forme du gouvernement devient notre droit public. L'orateur vote donc contre la proposition, quels que soient les dangers qui menacent peut-être les députés de cette opinion. M. Salverte ne pense pas qu'on doive s'arrêter à la légitimité de M. le duc de Bordeaux. Il rappelle qu'en Angleterre, dans une occasion semblable, on s'est hâté de choisir une autre famille héréditaire.

MM. Anisson-Duperron, de Corcelles et Petou, appuient la proposition. Ce dernier donne pour principale raison que les députés sont arrivés à travers des flots de sang, et qu'ils y ont trouvé la légitimité noyée.

M. Berryer demande subsidiairament la division de la question. Il admet que l'on puisse modifier quelques dispositions de la Charte; mais on ne peut voter sur l'élection d'un roi de France et sur l'annullation des pairies que Charles X a conférées dans son droit.

M. Villemain combat la division, en soutenant que les modifications doivent avoir lieu en même temps que l'installation d'un nouveau prince.

MM. Pas de Beaulieu, Arthur de la Bourdonnaye, Berryer, de Sirieys, A. de Noailles, de Lardemelle, Blin de Bourdon, de Saunac, de Berbis, de Mackau, d'Augier, et les autres membres de la droite, déclarent que leur conscience et leur mandat s'opposent à ce qu'ils prennent part à une semblable délibération, Un député du centre gauche fait la même déclaration.

La clôture de la discussion générale est prononcée. On passe aux différens articles de la proposition.

M. Podenas demande que l'on mette que le trône est vacant par suite de la violation par Charles X de la Charte et des lois. Il se livre ensuite aux plus grands outrages contre ce prince.

On lui crie de la gauche : C'est assez, vous allez tout perdre. M. de Martignac monte à la tribune tout ému. Il est indigné d'avoir pu entendre accuser de férocité Charles X, qu'il a connu dans l'intimité, et qui brûloit au contraire d'amour pour son peuple. Les ordonnances du 25 juillet ne sont pas son ouvrage; il ne faut

« PreviousContinue »