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hôpitaux. Les morts furent depuis déposés dans un bateaur sur la rivière, d'où on les a descendus pour les enterrer hors la ville. C'est alors que l'insurrection prit un caractère particulier. Le drapeau tricolore fut arboré sur les tours de NotreDame. La garde nationale, supprimée par ordonnance, fut invitée à se réunir dans les diverses mairies; le général La Fayette en prit le commandement. Les élèves de l'école polytechnique forcèrent la consigne et dirigèrent sur plusieurs points les rassemblemens. On abat les signes du gouvernement royal, les armoiries, les noms des princes, etc. Au milieu de ce mouvement, nous voudrions pouvoir dire avec un journal qu'il n'y eut pas un seul acte de répréhensible commis, et que tout s'exécuta sans cris, sans violence et dans un ordre parfait. Trop de faits malheureusement démentent une si consolante assertion. Ainsi, pour nous borner à un seu exemple, on a brisé les presses mécaniques dans plusieurs grandes imprimeries. On sait que ces presses, qui diminuent beaucoup le nombre des bras, sont par là même odieuses aux ouvriers. On a brisé de même les machines dans plusieurs grandes manufactures et ateliers Ce qu'il y a de remarquable, c'est que ces dégats ont été exercés par les ouvriers mêmes que les imprimeurs et les fabricans avoient renvoyés pour favoriser le mouvement.

Le soir commencèrent les barricades; on dépava les rues. A chaque coin de rue on entassoit des pavés, des voitures couchées, des pièces de bois et toutes sortes de débris. Cela se pratiqua successivement dans tous les quartiers, et dans ceux même où il n'y avoit pas eu de combat. On coupa une partie des arbres du boulevard. Toute la nuit on sonna le tocsin à Notre-Dame, à Saint-Sulpice, et dans d'autres clochers dont le peuple s'étoit emparé. Depuis le matin les églises étoient fermées, et elles ne se sont rouvertes que le dimanche.

Dans la nuit de mercredi à jeudi les ministres et le maréchal Marmont couchèrent aux Tuileries. La fusillade cessa peu après minuit. Les troupes se retiroient au Louvre, aux Tuileries et aux environs de ces deux palais. La garde nationale occupa l'Hôtel-de-Ville. Le drapeau tricolore flottoit de tous les côtés, et le tocsin continuoit à sonner. Plusieurs prisons furent ouvertes, entr'autres la Conciergerie, les Madelonnettes, Saint-Lazare, etc. Le Louvre fut emporté à une heure et les Tuileries à quatre heures; on mutila le tableau

du sacre et le portrait du maréchal Marmont. Le Louvre, les Quatre-Nations, le quai furent criblés de balles. On enterra le vendredi les morts sur l'Esplanade du Louvre, une croix a été érigée au-dessus de la fosse. Dans l'après-midi, la caserne des Suisses, rue de Babylone, fut emportée; la plupart des Suisses qui étoient restés gagnèrent le boulevard, après s'être défendus quelque temps. Quelques-uns de ceux qu'on trouva dans la caserne n'échappèrent point, dit le Constitutionnel, à la fureur des vainqueurs. La garde royale se retira vers SaintCloud avec les Suisses, l'artillerie et les lanciers.

Le même jour, la multitude se porta à l'archevêché. Un journal prétend que la foule ne cherchoit d'abord que des vivres et des rafraîchissemens, mais que cette disposition pacifique a été tout-à-fait changée par la découverte inattendue de deux barils de poudre et de cent poignards; que dès ce moment la fureur de la multitude n'a plus connu de bornes... Nous devons dire que cette découverte inattendue est un mensonge absurde et atroce, avec lequel on a pu monter les têtes d'une foule crédule, mais qu'on ne pouvoit espérer de persuader à quiconque est susceptible de réflexion. Il en est de la découverte des deux barils de poudre et des cent poignards, comme de cet autre conte répandu aussi parmi le peuple, que les chanoines de Notre-Dame avoient jeté des pierres sur la garde nationale. Il est en effet bien probable que de vieux prêtres étoient fort empressés de se mêler à cette lutte! Chacun sait que, pendant ces jours d'orage, tous les ecclésiastiques se sont tenus renfermés dans leurs demeures. Ce qui est certain, c'est qu'on a tout pillé à l'archevêché, au secrétariat et chez tous les ecclésiastiques qui demeuroient chez M. l'archevêque. Plusieurs séminaires et établissemens ont été visités par des détachemens d'hommes armés. Quelques-uns se sont bornés à rechercher s'il y avoit quelque dépôt d'armes; car, comme au commencement de la révoluion, on vouloit voir partout des armes cachées. Chez les missionnaires de France, on a pillé les meubles et la bibliothèque, et on avoit même commencé à mettre le feu; il a fallu appeler des pompiers pour l'éteindre. Plusieurs missionnaires ont été maltraités. A Montrouge, on a pillé entièrement la maison appartenant aux Jésuites, et dévasté même le jardin; des habitans de la maison ont été maltraités et frappés. Nous apprenons que le même jour des attroupemens formés à Amiens s'étoient portés à Saint-Acheul,

et que les bâtimens avoient été saccagés. Cette coïncidence est assez remarquable. Pour revenir à Paris, d'autres ecclésiastiques ont été insultés ou maltraités dans les rues. Dès ce moment, les ecclésiastiques ont changé de costume, et on ne les voit plus aujourd'hui qu'en habit laïc. Au séminaire des Irlandais et à celui du Saint-Esprit, des misérables habillés en gardes nationaux allèrent le vendredi 30 demander de l'argent et emportèrent plus de mille écus; mais en sortant, il se trouva de véritables gardes nationaux, qui leur firent rendre le fruit de leur brigandage. L'argent fut porté à la mairie, et réclamé le lendemain par les propriétaires.

Cependant, une autorité nouvelle se formoit à l'Hôtel-deVille. MM. Jacques Lafitte, Casimir Perrier, comte de Lobau, de Schonen, Audry de Puyraveau et Mauguin, s'y installent en commission municipale; M. Odillon-Barrot étoit leur secrétaire. Dans le premier moment, on afficha de fausses nominations. Ainsi, un prétendu extrait du Moniteur fut placardé dans tout Paris, annonçant la formation d'une commission municipale un peu différente de celle qui a été établie. Cet article fut démenti le lendemain. Le 28 juillet, on afficha une proclamation signée La Fayette, Gérard et duc de Choiseul, qui prenoient le titre de gouvernement provisoire. Le duc a fait insérer depuis dans les journaux une note portant que cette proclamation s'étoit faite sans sa participation, qu'il n'a point fait partie du gouvernement provisoire, et qu'aucune proposition ne lui avoit été adressée à cet égard. Le même jour parut une protestation d'une soixantaine de députés contre les ordonnances. Les députés se réunirent dans la salle ordinaire de leurs séances, quoique le jour de la convocation ne fût que pour le 3 août. M. le comte Alexandre de Laborde fut nommé préfet provisoire de la Seine, M. Bavoux, préfet provisoire de Police, et M. Chardel, directeur provisoire des Postes. Le vendredi 30, cette commission publia des arrêtés et ordres du jour; elle invita les habitans à ouvrir leurs boutiques et à reprendre leurs travaux. Elle plaça les établissemens publics sous la sauve-garde des citoyens. L'entrée et la sortie des barrières furent permises. On forma de nouvelles mairies dans les différens arrondissemens. Les premiers jours, on crioit vive la Charte; depuis, on n'entendoit plus que les cris de vive la liberté, vive la patrie. On dit qu'il y eut le même jour au soir des tentatives d'accommodement,

Une députation de trois pairs se porta à Saint-Cloud. Il fut question d'un nouveau ministère, où devoient entrer MM. le duc de Mortemart, le général Gérard, M. Casimir Perrier. Le roi révoqueroit les ordonnances mais ce projet échoua. Le samedi de grand matin, le roi quitta Saint-Cloud avec sa famille et les troupes qui étoient allées le rejoindre. M. le Dauphin partit quelques heures après. Après le départ de la cour, les débris des régimens de la garde ont été recueillis et ramenés à Paris.

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Le samedi, les députés qui se trouvoient à Paris se sont réunis et ont invité M. le duc d'Orléans à exercer les fonctions de lieutenant-général du royaume; ce que le prince n'accepta qu'après quelque hésitation. Ils publièrent une proclamation aux Français pour annoncer cette mesure. Cet acte est signé de 64 députés, de ceux qu'on appeloit précédemment de l'opposition. Ils déclarent en même temps qu'ils s'assureront par des lois toutes les garanties nécessaires pour rendre la liberté forte et durable; le rétablissement de la garde nationale, avec l'intervention des gardes nationaux dans le choix des officiers; l'intervention des citoyens dans la formation des administrations départementale et municipale; le jury pour la liberté de la presse; la responsabilité légalement organisée des ministres et des agens de l'administration; l'état des militaires légalement assuré; la réélection des députés promus à des fonctions publiques. La séance se tint sous la présidence de M. Laffitte. La Tribune en rendant compte de cette séance la regarde comme illégale; elle ne croit pas que 40 ou 50 députés eussent le droit d'imposer un gouvernement ou une nou¬ velle dynastie: elle traite leurs délibérations de causeries. Le même journal ne veut ni de royauté ni de culte de l'état. Après la séance, les députés se rendirent tous au Palais-Royal: on lut à M. le duc d'Orléans la proclamation, à laquelle il adhéra. Il déclara que les principes de cette proclamation étoient les siens; qu'elle lui rappeloit les souvenirs de sa jeunesse, et que ses dernières années en seroient la continuation; qu'il travailleroit au bonheur de la France avec les députés. Toutefois, dit-il en finissant, les députés de la nation me comprennent aisément, lorsque je leur déclare que je gémis profondément sur les déplorables circonstances qui me forcent à accepter la haute mission qu'ils me confient, et dont j'espère me rendre digne.

Le duc est alors monté à cheval pour se rendre à l'Hôtelde-Ville; il étoit en habit d'officier général et portoit la cocarde tricolore. Les députés l'ont accompagné. Arrivé à l'Hôtel-de-Ville, on a lu de nouveau la proclamation. Le prince et le général Lafayette se sont présentés sur le balcon, agitant le drapeau tricolore. Le même jour, la commission municipale a nommé des commissaires provisoires pour les différens ministères à la justice, M. Dupont de l'Eure; aux finances, M. Louis; à la guerre, le général Gérard; à la marine, l'amiral Rigny; aux affaires étrangères, M. Bignon; à l'instruction publique, M. Guizot; à l'intérieur, le duc de Broglie. Le même jour on arrêta la création d'une garde nationale mobile de vingt régimens, qui pourra être employée hors de Paris. Cette garde sera soldée; les soldats recevront trente sous par jour; elle sera commandée par le général Gérard. Différentes proclamations ont été adressées aux habitans de Paris. On a nommé de nouveaux maires et de nouveaux adjoints.

Le dimanche, les églises ont été rouvertes. On ignoroit encore le samedi soir si les offices ordinaires pourroient avoir lieu; mais un avis arrivé de la préfecture a annoncé que l'on pouvoit vaquer au service divin comme à l'ordinairé. Il y a donc eu des messes basses dans les églises, et même dans la plupart on a chanté la grand'messe et les vêpres. Nous n'aavons pas ouï dire qu'il en soit résulté des inconvéniens, et on a même remarqué, dans plusieurs églises, une plus grande affluence et un redoublement de piété. L'effervescence s'étoit calmée, les barricades disparoissoient, les communications se rétablissoient; et, s'il y avoit encore des groupes, c'étoit uniquement pour entendre quelques proclamations ou lire quelques affiches des nouvelles autorités. Le même jour, la commission municipale écrivit à M. le duc d'Orléans pour lui annoncer qu'elle résignoit entre ses mains le pouvoir dont elle s'étoit investie. Le prince a nommé des commissaires provisoires pour les divers ministères. Ces commissaires ne sont pas tout-à-fait les mêmes que ceux nommés plus haut; ce sont MM. Guizot pour l'intérieur; M. Louis pour les finances; M. Dupont de l'Eure pour la justice; le général Gérard pour la guerre, et M. le comte Reynhart pour les affaires étrangères. M. Girod de l'Ain est préfet de police à la place de M. Bavoux, qui n'a pas joui long-temps de ce titre. Un avis de M. Louis invite les autorités à protéger la

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