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JEUDI 5 AOUT 1830.

(N° 1667.)

Sur le Rapport des précédens ministres.

Nous avons donné, dans le dernier numéro, la substance des ordonnances du 25 juillet; ces ordonnances étoient précédées d'un Rapport au Roi signé de tous les ministres. Ce Rapport, que nous comptions publier la semaine dernière, ne put paroître à raison des évènemens qui agitèrent la capitale pendant plusieurs jours. Cependant cette pièce appartient à l'histoire, et nous ne croyons pouvoir nous dispenser de la consigner ici. Le Journal des Débats, qui n'avoit pu, comme nous, donner le Rapport la semaine passée, vient de l'insérer comme un document historique qui doit rester, quelle que soit l'opinion que l'on puisse se former sur les mesures proposées. D'ailleurs on ne sauroit se dissimuler qu'il y a dans ce Rapport, sur l'article des excès et des abus de la presse, des faits et des réflexions qui ne sont pas indignes de l'attention des esprits sages et surtout des gouvernemens. Nous ne nous permettrons donc de rien retrancher de la pièce, et nous la livrons en entier à la curiosité des lecteurs :

SIRE,

Vos ministres seroient peu dignes de la confiance dont Votre Majesté les honore, s'ils tardoient plus long-temps à placer sous vos yeux un aperçu de notre situation intérieure, et à signaler à votre haute sagesse les dangers de la presse périodique.

A aucune époque, depuis quinze années, cette situation ne s'étoit présentée sous un aspect plus grave et plus affligeant. Malgré une prospérité matérielle dont nos annales n'avoient jamais offert d'exemple, des signes de désorganisation et des symptômes d'anarchie se manifestent sur presque tous les points du royaume.

Tome LXV. L'Ami de la Religion.

B

Les causes successives qui ont concouru à affoiblir les ressorts du gouvernement monarchique, tendent aujourd'hui à en altérer et à en changer la nature : déchue de sa force morale, l'autorité, soit dans la capitale, soit dans les provinces, ne lutte plus qu'avec désavantage contre les factions; des doctrines pernicieuses et subversives, hautement professées, se répandent et se propagent dans toutes les classes de la population; des inquiétudes trop généralement accréditées agitent les esprits et tourmentent la société. De toutes parts on demande au présent des gages de sécurité pour l'avenir.

Une malveillance active, ardente, infatigable, travaille à ruiner tous les fondemens de l'ordre, et à ravir à la France le bonheur dont elle jouit sous le sceptre de ses rois. Habile à exploiter tous les mécontentemens et à soulever toutes les haînes, elle fomente parmi les peuples un esprit de défiance et d'hostilité envers le pouvoir, et cherche semer partout des germes de troubles et de guerre civile.

Et déjà, Sire, des évènemens récens ont prouvé que les passions politiques, contenues jusqu'ici dans les sommités de la société, commencent à en pénétrer les profondeurs, et à émouvoir les masses populaires. Ils ont prouvé aussi que ces masses ne s'ébranleroient pas toujours sans danger pour ceuxlà même qui s'efforcent de les arracher au repos.

Une multitude de faits, recueillis dans le cours des opérations électorales, confirment ces données, et nous offriroient le présage trop certain de nouvelles commotions, s'il n'étoit au pouvoir de Votre Majesté d'en détourner le malheur.

Partout aussi, si l'on observe avec attention, existe un besoin d'ordre, de force et de permanence, et les agitations qui y semblent le plus contraires n'en sont en réalité que l'expression et le témoignage.

:

Il faut bien le reconnoître ces agitations, qui ne peuvent s'accroître sans de grands périls, sont presque exclusivement produites et excitées par la liberté de la presse. Une loi sur les élections, non moins féconde en désordres, a sans doute concouru à les entretenir; mais ce seroit nier l'évidence que de ne pas voir dans les journaux le principal foyer d'une coruption dont les progrès sont chaque jour plus sensibles, et la première source des calamités qui menacent le royaume.

L'expérience, Sire, parle plus hautement que les théories. Des hommes éclairés sans doute, et dont la bonne foi d'ailleurs

n'est pas suspecte, entraînés par l'exemple mal compris d'un peuple voisin, ont pu croire que les avantages de la presse périodique en balanceroient les inconvéniens, et que ses excès se neutraliseroient par des excès contraires. Il n'en a pas été ainsi, l'épreuve est décisive, et la question est maintenant jugée dans la conscience publique.

A toutes les époques, en effet, la presse périodique n'a été, et il est dans sa nature de n'être qu'un instrument de désordre et de sédition.

Que de preuves nombreuses et irrécusables à apporter à l'appui de cette vérité! C'est par l'action violente et non interrompue de la presse que s'expliquent les variatons trop subites, trop fréquentes de notre politique intérieure. Elle n'a pas permis qu'il s'établît en France un système régulier et stable de gouvernement, ni qu'on s'occupât avec quelque suite d'introduire dans toutes les branches de l'administration publique les améliorations dont elles sont susceptibles. Tous les ministères depuis 1814, quoique formés sous des influences diverses et soumis à des directions opposées, ont été en butte aux mêmes traits, aux mêmes attaques et au même déchaînement de passions. Les sacrifices de tout genre, les concessions de pouvoir, les alliances de parti, rien n'a pu les soustraire à cette commune destinée.

Ce rapprochement seul, si fertile en réflexions, suffiroit pour assigner à la presse son véritable, son invariable caractère. Elle s'applique, par des efforts soutenus, persévérans, répétés chaque jour, à relâcher tous les liens d'obéissance et de subordination, à user les ressorts de l'autorité publique, à la rabaisser, à l'avilir dans l'opinion des peuples et à lui créer partout des embarras et des résistances.

facile sou

Son art consiste, non pas à substituer à une trop mission d'esprit une sage liberté d'examen, mais à réduire en problème les vérités les plus positives; non pas à provoquer sur les questions politiques une controverse franche et utile, mais à les présenter sous un faux jour et à les résoudre sophismes.

par des

La presse a jeté ainsi le désordre dans les intelligences les plus droites, ébranlé les convictions les plus fermes et produit, au milieu de la société, une confusion de principes qui se prête aux tentatives les plus funestes. C'est par l'anarchie dans les doctrines qu'elle prélude à l'anarchie dans l'Etat.

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Il est digne de remarque, Sire, que la presse périodique n'a pas même rempli sa plus essentielle condition, celle de la publicité. Ce qui est étrange, mais ce qui est vrai à dire, c'est qu'il n'y a pas de publicité en France, en prenant ce mot dans sa juste et rigoureuse acception. Dans l'état des choses les faits, quand ils ne sont pas entièrement supposés, ne parviennent à la connoissance de plusieurs millions de lecteurs que tronqués, défigurés, mutilés de la manière la plus odieuse. Un épais nuage, élevé par les journaux, dérobé la vérité et intercepte en quelque sorte la lumière entre le Gouvernement et les peuples. Les Rois vos prédécesseurs, Sire, ont toujours aimé à se communiquer à leurs sujets : c'est une satisfaction dont la presse n'a pas voulu que Votre Majesté pût jouir.

Une licence qui a franchi toutes les bornes n'a respecté, en effet, même dans les occasions les plus solennelles, ni les vo-lontés expresses du Roi, ni les paroles descendues du haut du trône. Les unes ont été méconnues et dénaturées, les autres ont été l'objet de perfides commentaires ou d'amères dérisions C'est ainsi que le dernier acte de la puissance royale, la proclamation, a été discrédité dans le public, avant même d'être connu des électeurs.

Ce n'est pas tout. La presse ne tend pas moins qu'à subjuguer la souveraineté et à envahir les pouvoirs de l'Etat. Örgane prétendu de l'opinion publique, elle aspire à diriger les débats des deux chambres, et il est incontestable qu'elle y apporte le poids d'une influence non moins fâcheuse que décisive. Cette domination a pris surtout depuis deux ou trois ans dans la chambre des députés, un caractère manifeste d'oppression et de tyrannie. On a vu, dans cet intervalle de temps, les journaux poursuivre de leurs insultes et de leurs outrages les membres dont le vote leur paroissoit incertain ou suspect. Trop souvent, Sire, la liberté des délibérations dans cette chambre a succombé sous les redoublés de la presse.

coups

On ne peut qualifier en termes moins sévères la conduite des journaux de l'opposition, dans des circonstances plus récentes. Après avoir eux-mêmes provoqué une adresse attentatoire aux prérogatives du trône, ils n'ont pas craint d'ériger en principe la réélection des 221 députés dont elle est l'ouvrage. Et cependant Votre Majesté avoit repoussé cette adresse comme offensante; elle avoit porté un blâme public sur le refus de concours qui y étoit exprimé ; elle avoit annoncé sa ré

solution immuable de défendre les droits de sa couronne, sì ouvertement compromis. Les feuilles périodiques n'en ont tenu compte ; elles ont pris, au contraire, à tâche de renouveler, de perpétuer et d'aggraver l'offense. Votre Majesté décidera si cette attaque téméraire doit rester plus long-temps impunie.

Mais, de tous les excès de la presse, le plus grave, peut-être, nous reste à signaler. Dès les premiers temps de cette expédition dont la gloire jette un éclat si pur et si durable sur la noble couronne de France, la presse en a critiqué avec une violence inouïe les causes, les moyens, les préparatifs, les chances de succès. Insensible à l'honneur national, il n'a pas dépendu d'elle que notre pavillon ne restât flétri des insultes d'un barbare. Indifférente aux grands intérêts de l'humanité, il n'a pas dépendu d'elle que l'Europe ne restât asservie à un esclavage cruel et à des tributs honteux.

Ce n'étoit point assez par une trahison que nos lois n'au-roient pu atteindre, la presse s'est attachée à publier tous les secrets de l'armement, à porter à la connoissance de l'étranger l'état de nos forces, le dénombrement de nos troupes, ce-lui de nos vaisseaux, l'indication des points de station, les moyens à employer pour dompter l'inconstance des vents, et pour aborder la côte. Tout, jusqu'au lieu du débarquement, a été divulgué comme pour ménager à l'ennemi une défense plus assurée. Et, chose sans exemple chez un peuple civilisé, la presse, par de fausses alarmes sur les périls à courir, n'a pas craint de jeter le découragement dans l'armée, et, signalant à sa haine le chef même de l'entreprise, elle a, pour ainsi dire, excité les soldats à lever contre lui l'étendard de la révolte on à déserter leurs drapeaux! Voilà ce qu'ont osé faire les organes d'un parti qui se prétend national!

Ce qu'il ose faire chaque jour, dans l'intérieur du royaume, ne va pas moins qu'à disperser les élémens de la paix publique, à dissoudre les liens de la société, et, qu'on ne s'y méprenne point, à faire trembler le sol sous nos pas. Ne craignons pas de révéler ici toute l'étendue de nos maux pour pouvoir mieux apprécier toute l'étendue de nos ressources. Une diffamation systématique, organisée en grand, et dirigée avec une persévérance sans égale, va atteindre, ou de près ou de loin, jusqu'au plus humble des agens du pouvoir. Nul de vos sujets, Sire, n'est à l'abri d'un outrage, s'il reçoit de son

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