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quelques-uns de ceux-là ne pussent être soumis à une sérieuse critique; mais ce qui était surtout déplorable dans cette déclaration c'était l'initiative que l'Assemblée avait prise à son sujet, prétendant en faire la base de la constitution qu'elle voulait élever sur les ruines de l'antique monarchie, sous prétexte d'en détruire les abus. En absorbant tous les pouvoirs, elle excluait tous les tempéraments, elle se privait de tous les contre-poids qui devaient empêcher une réforme de dégénérer en un bouleversement universel.

Quant aux autres articles de la déclaration, s'il y en avait où se trouvât mêlé le vrai au faux, le bien au mal, beaucoup paraissaient manifestement devoir être d'une application funeste à la société. Ceux-là portaient l'empreinte trop évidente de cette fausse philosophie du xvi siècle, mère des crimes et des folies qui en ont signalé la fin. Ainsi de ces deux principes admis par les articles 1 et 2: Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. La résistance à l'oppression est un droit de ces deux principes, disons-nous, découlaient nécessairement tous les maux que la France allait avoir à souffrir, et ceux aussi qu'un avenir plus éloigné lui tenait en réserve et dont la coupe n'est pas encore aujourd'hui épuisée. Qu'il n'y eût donc aucune utilité à faire cette déclaration « composée, dit M. Thiers, de formules auxquelles le peuple ne comprenait rien », cela est incontestable; mais que cet entassement « de maximes, de principes, de définitions,» nécessairement sans valeur dès qu'ils demeurent inexpliqués, « ne constituât pas un danger, » comme le dit le même auteur, c'est ce que nous ne pouvons accorder. C'en était un et des plus grands que d'ouvrir la porte aux séditions, d'ériger en principe l'insurrection, de livrer les classes supérieures de la societé à l'envie et à la haine des inférieures, de prétendre enseigner à l'homme qu'il tient tout de sa nature et doit tout rapporter à son bien-être, surtout d'exclure Dieu de la société humaine; et tel était si bien le point culminant de la conjuration que les seuls articles qui aient suscité des

débats sérieux furent ceux qui se rapportaient à la religion. La séance du 20 août vit en effet s'élever une discussion animée sur la question de savoir si la déclaration serait placée sous l'invocation du saint nom de Dieu. Mais avant que la discussion s'engageât sur cette question vitale pour l'avenir de la religion en France, l'Assemblée avait voté une mesure conçue en apparence pour la servir, mais devant en réalité devenir le levier qui la renverserait. Nous voulons parler de l'institution d'un comité dit ecclésiastique, qui était spécialement chargé de présenter les projets de loi sur les matières relatives à la religion et au clergé. Ce fut dans cette séance du 20 août que l'Assemblée en adopta le principe et en nomma les premiers membres. Le moment n'est pas encore venu de parler plus au long de ce comité, mais comme il fut un des plus rudes adversaires de la religion de nos pères, nous avons tenu à en signaler la naissance, avant de donner la suite d'une discussion qui va montrer combien grand était déjà le péril.

Quelques membres demandèrent d'abord avec insistance que le préambule de la déclaration commençât par ces mots: En présence de l'Étre suprême. D'autres repoussèrent cette proposition, le sourire sur les lèvres, par cette raison presque dérisoire, que, la présence de l'Être suprême étant universelle, il était inutile de l'énoncer. A la vérité Mirabeau n'était pas de cet avis, et dès la séance du 17 il avait emphatiquement proposé de mettre en tête de la constitution le Décalogue, « l'ouvrage, disait-il, du plus grand des législateurs ». Quelle que pût être l'arrière-pensée de cet esprit aussi outré que mobile, une telle exagération devait êter tout espoir de trouver par lui la mesure à garder. Le projet de constitution qu'il apportait en même temps à la tribune fut donc écarté aussi bien que son préambule, et ou revint à celui que nous avons dit. C'était certes un mot qui ne devait avoir rien de trop dur pour les oreilles déistes de l'Assemblée, puisque les membres de la Convention devaient un jour s'en accommoder; et cependant il

fallut lutter énergiquement pour obtenir qu'il fût inscrit en tête de la déclaration. « C'est une idée triviale, a-t-on dit, s'écria l'évêque de Nîmes, que l'homme tient son existence de Dieu. Plût à Dieu qu'elle le fût davantage et qu'elle ne fût jamais contestée. Mais quand on fait des lois, il est beau de les placer sous l'égide de la Divinité.

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Ces sentiments étaient fort justes, quoique empreints de la sentimentalité avec laquelle on exposait alors les dogmes de la religion; et pourtant ils n'eussent pas déterminé l'Assemblée à faire l'acte de foi qui lui était demandé, si l'abbé Grégoire ne lui avait fait voir qu'en le refusant elle se mettrait au ban de la civilisation, alors fort éloignée de croire que la loi devait être athée. « Que pensera-t-on en Europe, dit-il, quand on saura que nous avons discuté longtemps pour savoir si nous invoquerions, à la tête de nos lois, cet Être suprême de qui seul elles émanent, et qui seul peut nous donner les lumières nécessaires pour les bien déterminer (1)! » On a dit avec raison que Grégoire aurait bien dû garder en mémoire ce principe, pour en faire un jour le guide de sa conduite.

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Pour le moment la foi fut en lui plus forte que les préjugés et l'ambition, et son avis prévalut. L'Assemblée commença sa déclaration par ces mots : « En présence de l'Étre suprême. Mais quand on en vint aux articles 16, 17 et 18, qui proclamaient le droit de la religion au respect et au culte des citoyens, on cessa de s'entendre (2). Malgré l'obscurité certainement calculée que le compte rendu des débats au Moniteur s'appliqua à répandre sur les discours des membres du clergé dans les séances des 23 et 25 août, il est permis de juger que ses députés cherchaient à faire déclarer la religion

(1) Moniteur, séance du 20 août.

(2) Ces trois articles étaient ainsi conçus : « Art. 16. La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c'est à la religion et à la morale de la suppléer.... Art. 17. Le maintien de la religion exige un culte public. Le respect pour le culte est donc indispensable. Art. 18. Tout citoyen qui ne trouble pas le culte ne doit pas être inquiété.

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catholique base de la société française et religion de l'État, ayant seule un culte public; tandis que la majorité de l'Assemblée ne voulait proclamer que la liberté absolue de tous les cultes. C'était ce que Mirabeau opposait au vœu qu'avait manifesté M. de Bonnal, évêque de Clermont, avec son zèle et sa modération habituels. Ce vœu est évidemment tronqué dans le compte rendu qui ne prête à l'évêque que ces paroles: « La religion est la base des empires; c'est la raison éternelle des choses. L'on élèverait plutôt une ville dans les airs, comme l'a dit Plutarque, que de fonder une république qui n'aurait pas pour principe le culte des dieux. Je demande donc que les principes de la constitution française reposent sur la religion comme sur une base éternelle. »

« Non, répliquait Mirabeau, ce que je veux c'est la liberté la plus illimitée des cultes. Elle est, à mes yeux, un droit si sacré que le mot tolérance, qui essaye de l'exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité qui a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser, par cela même qu'elle tolère et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer. » D'où il concluait qu'on ne devait insérer dans la déclaration qu'une seule chose, l'obligation de respecter le culte de chacun. Plusieurs membres essayèrent de replacer la vérité dans tout son jour; Camus même, ce député qui devait tant contribuer au renversement de la religion catholique, s'employa cette fois à soutenir ses droits sur la nation française. Ce fut en vain; l'agitation que les doctrines professées par Mirabeau, aux applaudissements de la majorité, répandirent dans l'Assemblée, ne fit qu'aller en augmentant, et le trouble devint tel que la discussion dut être renvoyée au lendemain.

Le lendemain au début de la séance, Péthion fit sa première apparition à la tribune pour demander qu'on ne s'occupât pas des articles en discussion et qu'ils fussent renvoyés à la constitution. Tel ne fut pas l'avis du député Maillet,qui soutint que la religion étant de toutes les lois la plus solennelle,

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la plus auguste et la plus sacrée, il fallait en parler dans la déclaration. « C'est, disait-il, un des principes qui fiennent aux droits des hommes, et en conséquence, écho de ces hommes sans principes déterminés et par là même exposés à tourner à tout vent de doctrine, il proposait l'article suivant, qui eut le sort de ne contenter personne : « la religion étant le plus solide de tous les liens politiques, nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses.

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Plus franc ou plus déterminé, le député Bouche demanda la suppression pure et simple des articles 16 et 17. Mais l'abbé d'Eymar, député du clergé d'Alsace, se hâta de détourner le coup porté à la religion par cette sauvage suppression. « Non, s'écria-t-il, l'article 16 renferme un droit sublime en ce qu'il proclame un tribunal supérieur, le seul qui puisse agir sur les pensées secrètes, le tribunal de la conscience et de la religion. Il est importan de sanctionner, je ne dis pas seulement l'existence de cette vérité, mais encore la nécessité de mettre sans cesse sous les yeux des hommes un principe avec lequel ils doivent naître et mourir. Il est la sauvegarde, il est le premier intérêt de tous, et il serait funeste que tout ce qui existe n'en fût pas pénétré.

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En conséquence M. d'Eymar proposait de dire : « La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c'est à la religion seule à la suppléer. Il est done essentiel et indispensable pour le bon ordre de la société que la religion soit maintenue, conservée et respectée. »

Cette proposition fut chaudement appuyée par tout ce que la religion comptait de défenseurs dans les rangs du clergé et de la noblesse; le vicomte de Mirabeau, frère du grand agitateur, et le comte de Clermont-Lodève se firent particulièrement remarquer. Mais alors apparut pour la première fois à la tribune le trop fameux Talleyrand, évêque d'Autun, et ce fut pour soutenir un avis qui frappait d'impuissance le zèle des deux ordres auxquels il appartenait doublement. Cet homme, ce transfuge, dont il semble que la destinée a

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