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fait l'idée la plus exacte des phénomènes et sait le mieux l'enchaînement des effets aux causes. Nous voudrions baser l'enseignement sur cette donnée. Mais l'État a une autre idée. Il pense qu'être savant c'est être en mesure de scander les vers de Plaute, et de citer, sur le feu et sur l'air, les opinions de Thalès et de Pythagore.

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Or, que fait l'État? Il nous dit : Enseignez ce que vous voudrez à votre élève; mais quand il aura vingt ans, je le ferai interroger sur les opinions de Pythagore et de Thalès; je lui ferai scander les vers de Plaute, et s'il n'est assez fort en ces matières pour me prouver qu'il y a consacré toute sa jeunesse, il ne pourra être ni médecin, ni avocat, ni magistrat, ni consul, ni diplomate, ni professeur.

Dès lors, je suis bien forcé de me soumettre, car je ne prendrai pas sur moi la responsabilité de fermer à mon fils tant de si belles carrières. Vous aurez beau me dire que je suis libre; j'affirme que je ne le suis pas, puisque vous me réduisez à faire de mon fils, du moins à mon point de vue, un pédant, - peut-être un affreux petit rhéteur, et, à coup sûr, un turbulent factieux.

Car si encore les connaissances exigées par le Baccalauréat avaient quelques rapports avec les besoins et les intérêts de notre époque! si du

moins elles n'étaient qu'inutiles! mais elles sont déplorablement funestes. Fausser l'esprit humain, c'est le problème que semblent s'être posé et qu'ont résolu les corps auxquels a été livré le monopole de l'enseignement. C'est ce que je vais essayer de démontrer.

Depuis le commencement de ce débat, l'Université et le Clergé se renvoient les accusations comme des balles. Vous pervertissez la jeunesse avec votre rationalisme philosophique, dit le Clergé ; vous l'abrutissez avec votre dogmatisme religieux, répond l'Université.

Surviennent les conciliateurs qui disent: La religion et la philosophie sont sœurs. Fusionnons le libre examen et l'autorité. Université, Clergé, vous avez eu tour à tour le monopole ; partagez-le, et que ça finisse.

Nous avons entendu le vénérable évêque de Langres apostropher ainsi l'Université : « C'est vous qui nous avez donné la génération socialiste de 1848. »

Et M. Crémieux s'est hâté de rétorquer l'apostrophe en ces termes : « C'est vous qui avez élevé la génération révolutionnaire de 1793. »

S'il y a du vrai dans ces allégations, que faut-il en conclure? Que les deux enseignements ont été funestes, non par ce qui les

différencie, mais par ce qui leur est commun. Oui, c'est ma conviction: il y a entre ces deux enseignements un point commun, c'est l'abus des études classiques, et c'est par là que tous deux ont perverti le jugement et la moralité du pays. Ils diffèrent en ce que l'un fait prédominer l'élément religieux, l'autre l'élément philosophique; mais ces éléments, loin d'avoir fait le mal, comme on se le reproche, l'ont atténué. Nous leur devons de n'être pas aussi barbares que les barbares sans cesse proposés, par le latinisme, à notre imitation.

Qu'on me permette une supposition un peu forcée, mais qui fera comprendre ma pensée.

Je suppose donc qu'il existe quelque part, aux antipodes, une nation qui, haïssant et méprisant le travail, ait fondé tous ses moyens d'existence sur le pillage successif de tous les peuples voisins et sur l'esclavage. Cette nation s'est fait une politique, une morale, une religion, une opinion publique conformes au principe brutal qui la conserve et la développe. La France ayant donné au Clergé le monopole de l'éducation, celui-ci ne trouve rien de mieux à faire que d'envoyer toute la jeunesse française chez ce peuple, vivre de sa vie, s'inspirer de ses sentiments, s'enthousiasmer de ses enthousiasmes, et respirer ses

idées comme l'air. Seulement il a soin que chaque écolier parte muni d'un petit volume appelé l'Evangile. Les générations ainsi élevées reviennent sur le sol de la patrie; une révolution éclate je laisse à penser le rôle qu'elles y jouent.

Ce que voyant, l'État arrache au Clergé le monopole de l'enseignement et le remet à l'Université. L'Université, fidèle aux traditions, envoie, elle aussi, la jeunesse aux antipodes, chez le peuple pillard et possesseur d'esclaves, après l'avoir toutefois approvisionnée d'un petit volume intitulé: Philosophie. Cinq ou six générations ainsi élevées ont à peine revu le sol natal qu'une seconde révolution vient à éclater. Formées à la même école que leurs devancières, elles s'en montrent les dignes émules.

Alors vient la guerre entre les monopoleurs. C'est votre petit livre qui a fait tout le mal, dit le Clergé. C'est le vôtre, répond l'Université.

Eh non, messieurs, vos petits livres ne sont pour rien en tout ceci. Ce qui a fait le mal, c'est l'idée bizarre, par vous deux conçue et exécutée, d'envoyer la jeunesse française destinée au travail, à la paix, à la liberté, s'imprégner, s'imbiber et se saturer des sentiments et des opinions d'un peuple de brigands et d'esclaves.

J'affirme ceci : Les doctrines subversives auxquelles on a donné le nom de socialisme ou communisme sont le fruit de l'enseignement classique, qu'il soit distribué par le Clergé ou par l'Université. J'ajoute que le Baccalauréat imposera de force l'enseignement classique même à ces écoles prétendues libres qui doivent, dit-on, surgir de la loi. C'est pour cela que je demande la suppression des Grades.

On vante beaucoup l'étude du latin comme moyen de développer l'intelligence; c'est du pur conventionalisme. Les Grecs, qui n'apprenaient pas le latin, ne manquaient pas d'intelligence, et nous ne voyons pas que les femmes françaises en soient dépourvues, non plus que de bon sens. Il serait étrange que l'esprit humain ne pût se renforcer qu'en se faussant; et ne comprendra-t-on jamais que l'avantage très problématique qu'on allègue, s'il existe, est bien chèrement acheté par le redoutable inconvénient de faire pénétrer dans l'âme de la France, avec la langue des Romains, leurs idées, leurs sentiments, leurs opinions et la caricature de leurs mœurs?

Depuis que Dieu a prononcé sur les hommes cet arrêt: Vous mangerez votre pain à la sueur

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