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quintessence non seulement du socialisme, mais du communisme. Ne me vantez donc pas un enseignement qui ne vous a rien enseigné de ce que vous devriez savoir, et qui vous laisse consternés et muets devant la première chimère 'qu'il plaît à un fou d'imaginer. Vous n'êtes pas en mesure d'opposer la vérité à l'erreur; laissez au moins les erreurs se détruire les unes par les autres. Gardez-vous de bàillonner les utopistes et d'élever ainsi leur propagande sur le piédestal de la persécution. L'esprit des masses laborieuses, sinon des classes moyennes, s'est attaché aux grandes questions sociales. Il les résoudra. Il arrivera à trouver pour ces mots : Famille, Propriété, Liberté, Justice, Société, d'autres définitions que celles que nous fournit votre enseignement. Il vaincra non seulement le socialisme qui se proclame tel, mais encore le socialisme qui s'ignore. Il tuera votre universelle intervention de l'État, votre centralisation, votre unité factice, votre système protecteur, votre philanthropie officielle, vos lois sur l'usure, votre diplomatie barbare, votre enseignement monopolisé.

Et c'est pourquoi je dis; Non, la France ne s'en va pas. Elle sortira de la lutte plus heureuse, plus éclairée, mieux ordonnée, plus

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grande, plus libre, plus morale, plus religieuse que vous ne l'avez faite.

Après tout, veuillez bien remarquer ceci : Quand je m'élève contre les études classiques, je ne demande pas qu'elles soient interdites; je demande seulement qu'elles ne soient pas imposées. Je n'interpelle pas l'État pour lui dire; Soumettez tout le monde à mon opinion; mais bien : Ne me courbez pas sous l'opinion d'autrui. La différence est grande, et qu'il n'y ait pas de méprise à cet égard.

M. Thiers, M. de Riancey, M. de Montalembert, M. Barthélemy Saint-Hilaire, pensent que l'atmosphère romaine est excellente pour former le cœur et l'esprit de la jeunesse, soit. Qu'ils y plongent leurs enfants; je les laisse libres. Mais qu'ils me laissent libres aussi d'en éloigner les miens comme d'un air pestiféré. Messieurs les réglementaires, ce qui vous paraît sublime me semble odieux, ce qui satisfait votre conscience alarme la mienne. Eh bien! suivez vos inspirations, mais laissez-moi suivre la mienne. Je ne vous force pas, pourquoi me forceriez-vous ?

Vous êtes très convaincus qu'au point de vue social et moral le beau idéal est dans le passé. Moi, je le vois dans l'avenir. « Osons le dire à un siècle orgueilleux de lui-même, disait M. Thiers,

l'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde. » Pour moi, j'ai le bonheur de ne pas partager cette opinion désolante. Je dis désolante, car elle implique que, par une loi fatale, l'humanité va se détériorant sans cesse. Vous placez la perfection à l'origine des temps, je la mets à la fin. Vous croyez la société rétrograde, je la crois progressive. Vous croyez que nos opinions, nos idées, nos mœurs doivent, autant que possible, être jetées dans le moule antique; j'ai beau étudier l'ordre social de Sparte et de Rome, je n'y vois que violences, injustices, impostures, guerres perpétuelles, esclavage, turpitudes, fausse politique, fausse morale, fausse religion. Ce que vous admirez, je l'abhorre. Mais enfin, gardez votre jugement et laissez-moi le mien. Nous ne sommes pas ici des avocats plaidant l'un pour l'enseignement classique, l'autre contre, devant une assemblée chargée de décider en violentant ma conscience ou la vôtre. Je ne demande à l'État que sa neutralité. Je demande la liberté pour vous comme pour moi. J'ai du moins sur vous l'avantage de l'impartialité, de la modération et de la modestie.

Trois sources d'enseignement vont s'ouvrir : celui de l'État, celui du Clergé, celui des Institeurs prétendus libres.

Ce que je demande, c'est que ceux-ci soient libres, en effet, de tenter, dans la carrière, des voies nouvelles et fécondes. Que l'Université enseigne ce qu'elle chérit, le grec et le latin; que le clergé enseigne ce qu'il sait, le grec et le latin. Que l'une et l'autre fassent des platoniciens et des tribuns; mais qu'ils ne nous einpêchent pas de former, par d'autres procédés, des hommes pour notre pays et pour notre siècle.

Car, si cette liberté nous est interdite, quelle amère dérision n'est-ce pas que de venir nous dire à chaque instant: Vous êtes libres?

Dans la séance du 23 février, M. Thiers est venu dire pour la quatrième fois :

« Je répéterai éternellement ce que j'ai dit : La liberté que donne la loi que nous avons rédigée, c'est la liberté selon la Constitution.

« Je vous mets au défi de prouver autre chose. Prouvez-moi que ce n'est pas la liberté ; pour moi, je soutiens qu'il n'y en a pas d'autre possible.

Autrefois, on ne pouvait pas enseigner sans la permission du gouvernement. Nous avons supprimé l'autorisation préalable; tout le monde pourra enseigner.

« Autrefois on disait: Enseignez telles choses; n'enseignez pas telles autres. Aujourd'hui nous disons Enseignez tout ce que vous voudrez enseigner. »

C'est une chose douloureuse de s'entendre adresser un tel défi, et d'être condamné au silence. Si la faiblesse de ma voix ne m'eût interdit la tribune, j'aurais répondu à M. Thiers:

Voyons donc à quoi se réduit, au point de vue de l'instituteur, du père de famille et de la société, cette Liberté que vous dites si entière.

En vertu de votre loi, je fonde un collége. Avec le prix de la pension, il me faut acheter ou louer le local, pourvoir à l'alimentation des élèves et payer les professeurs. Mais à côté de mon Collége, il y a un Lycée. Il n'a pas à s'occuper du local et des professeurs. Les contribuables, moi compris, en font les frais. Il peut donc baisser le prix de la pension de manière à rendre mon entreprise impossible. Est-ce là de la liberté? Une ressource me reste cependant, c'est de donner une instruction si supérieure à la vôtre, tellement plus recherchée du public, qu'il s'adresse à moi malgré la cherté relative à laquelle vous m'avez réduit. Mais ici, je vous rencontre et vous me dites : Enseignez ce que vous voudrez, mais si vous vous écartez de ma routine, toutes les carrières libérales seront fermées à vos élèves. Est-ce là de la liberté ?

Maintenant je me suppose père de famille; je

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