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Cependant il y a dans la réalité une puissance supérieure au conventionalisme le plus universel. Quand l'éducation a déposé dans le corps social une semence funeste, il y a en lui une force de conservation, vis medicatrix, qui le fait se débarrasser à la longue, à travers les souffrances et les larmes, du germe délétère.

Lors donc que le communisme eut assez effrayé et compromis la société, une réaction devint infaillible. La France se prit à reculer vers le despotisme. Dans son ardeur, elle eût fait bon marché même des légitimes conquêtes de la Révolution. Elle eut le Consulat et l'Empire. Mais, hélas! ai-je besoin de faire observer que l'infatuation romaine la suivit dans cette phase nouvelle? L'Antiquité est là, toujours là pour justifier toutes les formes de la violence. Depuis Lycurgue jusqu'à César, que de modèles à choisir ! Donc, - et j'emprunte ici le langage de M. Thiers, « nous qui, après avoir été Athéniens avec Voltaire, avons un moment voulu être Spartiates sous la Convention, nous nous fimés soldats de César sous Napoléon. » Peut-on méconnaître l'empreinte que notre engouement pour Rome à laissée sur cette époque? Eh! mon Dieu, cette empreinte est partout. Elle est dans

les édifices, dans les monuments, dans la littérature, dans les modes même de la France impériale; elle est dans les noms ridicules imposés à toutes nos institutions. Ce n'est pas par hasard, sins doute, que nous vîmes surgir de toutes parts des Consuls, un Empereur, des Sénateurs, des Tribuns, des Préfets, des Sénatus-Consultes, des Aigles, des Colonnes trajanes, des Légions, des Champs de Mars, des Prytanées, des Lycées.

La lutte entre les principes révolutionnaires et contre-révolutionnaires semblait devoir se terminer aux journées de Juillet 1830. Depuis cette époque, les forces intellectuelles de ce pay's se sont tournées vers l'étude des questions sociales, ce qui n'a rien en soi que de naturel et d'utile. Malheureusement, l'Université donne le premier branle à la marche de l'esprit humain, et le dirige encore vers les sources empoisonnées de l'Antiquité; de telle sorte que notre malheureuse patrie en est réduite à recommencer son passé et à traverser les mêmes épreuves. Il semble qu'elle soit condamnée à tourner dans ce cercle: Utopie, expérimentation, réaction. Platonisme littéraire, communisme révolutionnaire, despotisme militaire. Fénelon, Robespierre, Napoléon! Peut-il en être autrement? La jeunesse, où se recrutent la litté

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rature et le journalisme, au lieu de chercher à découvrir et à exposer les lois naturelles de la société, se borne à reprendre en sous-œuvre cet axiome greco-romain: L'ordre social est une création du Législateur. Point de départ déplorable qui ouvre une carrière sans limites à l'imagination, et n'est que l'enfantement perpétuel du Socialisme. Car, si la société est une invention, qui ne veut être l'inventeur? qui ne veut être ou Minos, ou Lycurgue, ou Platon, ou Numa, ou Fénelon, ou Robespierre, ou Babeuf, ou Saint-Simon, ou Fourier, ou Louis Blanc, ou Proudhon? Qui ne trouvé glorieux d'instituer un Peuple? Qui ne se complait dans le titre de Père des nations? Qui n'aspire à combiner, comme des éléments chimiques, la Famille et la Propriété ?

Mais, pour donner carrière à sa fantaisie ailleurs que dans les colonnes d'un journal, il faut tenir le pouvoir, il faut occuper le point central où aboutissent tous les fils de la puissance publique. C'est le préalable obligé de toute expérimentation. Chaque secte, chaque école fera donc tous ses efforts pour chasser du gouvernement l'école ou la secte dominante, en sorte que, sous l'influence de l'enseignement classique, la vie sociale ne peut être qu'une inter

minable série de luttes et de révolutions ayant pour objet la question de savoir à quel utopiste restera la faculté de faire sur le peuple, comme sur une vile matière, des expériences!

Oui, j'accuse le Baccalauréat de préparer, comme à plaisir, toute la jeunesse française aux utopies socialistes, aux expérimentations sociales. Et c'est là sans doute la raison d'un phénomène fort étrange, je veux parler de l'impuissance que manifestent à réfuter le socialisme ceux-là mêmes qui s'en croient menacés. Hommes de la bourgeoisie, propriétaires, capitalistes, les systèmes de Saint-Simon, de Fourier, de Louis Blanc, de Leroux, de Proudhon ne sont, après tout, que des doctrines. Elles sont fausses, dites-vous. Pourquoi ne les réfutez-vous pas? Parce que vous avez bu à la même coupe; parce que la fréquentation des anciens, parce que votre engouement de convention pour tout ce qui est Grec ou Romain vous ont inoculé le socialisme.

Vous en êtes un peu dans votre âme entiché.

Votre nivellement des fortunes par l'action des tarifs, votre loi d'assistance, vos appels à l'instruction gratuite, vos primes d'encouragement, votre centralisation, votre foi dans l'État,

votre littérature, votre théâtre, tout atteste que Vous êtes socialistes. Vous différez des apôtres par le degré, mais vous êtes sur la même pente. Voilà pourquoi, quand vous vous sentez distancés, au lieu de réfuter, ce que vous ne savez pas faire, et ce que vous ne pourriez faire sans vous condamner vous-mêmes, vous vous tordez les-bras, vous vous arrachez les cheveux, vous en appelez à la compression, et vous dites piteusement: La France s'en va!

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Non, la France ne s'en va pas. Car voici ce `qui arrive Pendant que vous vous livrez à vos stériles lamentations, les socialistes se réfutent eux-mêmes. Ses docteurs sont en guerre ouverte. Le phalanstère y est resté ; la triade y est restée; l'atelier national y est resté; votre nivellement des conditions par la Loi y restera. Qu'y a-t-il encore debout? Le crédit gratuit. Que n'en démontrez-vous l'absurdité? Hélas! c'est vous qui l'avez inventé. Vous l'avez prêché pendant mille ans. Quand vous n'avez pu étouffer l'Intérêt, vous l'avez réglementé. Vous l'avez soumis au maximum, donnant ainsi à penser que la propriété est une création de la loi, ce qui est justement l'idée de Platon, de Lycurgue, de Fénelon, de Rollin, de Robespierre; ce qui est, je ne crains pas de l'affirmer, l'essence et la

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