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cela devait être, et Saint-Just par Babeuf, cela devait étre encore. Dans cette voie, il n'y a qu'un terme raisonnable. Il a été marqué par le divin Platon.

Saint-Just... mais je me laisse trop circonscrire dans la question de propriété. J'oublie que j'ai entrepris de montrer comment l'éducation classique a perverti toutes les notions morales. Convaincu que le lecteur voudra bien me croire sur parole, quand j'affirme que Saint-Just a dépassé Robespierre dans la voie du communisme, je reprends mon sujet.

Il faut d'abord savoir que les erreurs de SaintJust se rattachaient aux études classiques. Comme tous les hommes de son temps et du nôtre, il était imprégné d'antiquité. Il se croyait un Brutus. Retenu loin de Paris par son parti, il écrivait:

« O Dieu! faut-il que Brutus languisse, oublié, loin de Rome! Mon parti est pris, cependant, et si Brutus ne tue point les autres, il se tuera lui-même. »

Tuer! il semble que ce soit ici-bas la destination de l'homme.

Tous les hellénistes et latinistes sont convenus que le principe d'une république, c'est la vertu,

et Dieu sait ce qu'ils entendent par ce mot! C'est pourquoi Saint-Just écrivait :

« Un gouvernement républicain a la Vertu pour principe, sinon la Terreur. >>

C'est encore une opinion dominante dans l'antiquité que le travail est infàme. Aussi SaintJust le condamnait en ces termes:

Un métier s'accorde mal avec le véritable citoyen. La main de l'homme n'est faite que pour, la terre et pour les armes.

Et c'est pour que personne ne pût s'avilir à exercer un métier qu'il voulait distribuer des terres à tout le monde.

Nous avons vu que, selon les idées des anciens, le législateur est à l'humanité ce que le potier est à l'argile. Malheureusement, quand cette idée domine, nul ne veut être argile et chacun veut être potier. On pense bien que Saint-Just s'attribuait le beau ròle:

Le jour où je me serai convaincu qu'il est impossible de donner aux Français des mœurs douces, sensibles et inexorables pour la tyrannie et l'injustice, je me poignarderai.

S'il y avait des mœurs, tout irait bien; il faut

des institutions pour les épurer. Pour réformer les mœurs, il faut commencer par contenter le besoin et l'intérêt. Il faut donner quelques terres à tout le monde.

Les enfants sont vêtus de toile en toute saison. Ils couchent sur des hattes et dorment huit heures. Ils sont nourris en commun, et ne vivent que de racines, de fruits, de légumes, de pain et d'eau. Ils ne peuvent goûter de chair qu'après l'àge de seize ans.

Les hommes àgés de vingt-cinq ans seront tenus de déclarer tous les ans, dans le temple, les noms de leurs amis. Celui qui àbandonne son ami sans raison suffisante sera banni!

Ainsi Saint-Just, à l'imitation de Lycurgue, Platon, Fénelon, Rousseau, s'attribue à luimème sur les mœurs, les sentiments, les richesses et les enfants des Français, plus de droits et de puissance que n'en ont tous les Français ensemble. Que l'humanité est petite auprès de lui, ou plutôt elle ne vit qu'en lui. Son cerveau est le cerveau, son cœur est le cœur de l'humanité.

Voilà donc la marche imprimée à la révolution par le conventionalisme greco-latin. Platon a marqué l'idéal. Prêtres et laïques, aux dixseptième et dix-huitième siècles, se mettent à célébrer cette merveille. Vient l'heure de l'ac

tion: Mirabeau descend le premier degré, Robespierre le second, Saint-Just le troisième, Antonelle le quatrième, et Babeuf, plus logique que tous ses prédécesseurs, se dresse au dernier, au communisme absolu, au platonisme pur. Je devrais citer ici ses écrits; je me bornerai à dire, car ceci est caractéristique, qu'il les signait Caius Gracchus.

L'esprit de la révolution, au point de vue qui nous occupe, se montre tout entier dans quelques citations. Que voulait Robespierre? « Elever les âmes à la hauteur des vertus républicaines des peuples antique.» (3 nivose an III.) Que voulait Saint-Just? « Nous offrir le bonheur de Sparte et d'Athènes. » (23 nivose an III.) Il voulait en outre « Que tous les citoyens portassent sous leur habit le couteau de Brutus. » (Ibid.) Que voulait le sanguinaire Carrier? « Que toute la jeunesse envisage désormais le brasier de Scævola, la cigue de Socrate, la mort de Cicéron et l'épée de Caton.» Que voulait Rabaut - Saint-Étienne? Que, suivant les principes des Crétois et des Spartiates, l'Etat s'empare de l'homme dès le berceau et même avant la naissance,» (16 décembre 1792.) Que voulait la section des Quinze - Vingts? « Qu'on consacre une église à la liberté et qu'on fasse élever un autel sur lequel brúlera un feu

perpétuel entretenu par de jeunes vestales.» (21 novembre 1794.) Que voulait la Convention tout entière? « Que nos communes ne renferment désormais que des Brutus et des Publicola. » (19 mars 1794.)

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Tous ces sectaires étaient de bonne foi cependant, et ils n'en étaient que plus dangereux; car la sincérité dans l'erreur, c'est du fanatisme, et le fanatisme est une force, surtout quand il agit sur des masses préparées à subir son action. L'universel enthousiasme en faveur d'un type social ne peut être toujours stérile, et l'opinion publique, éclairée ou égarée, n'en est pas moins la reine du monde. Quand une de ces erreurs fondamentales, telle que la Glorification de l'Antiquité, pénétrant par l'enseignement dans tous les cerveaux avec les premières lueurs de l'intelligence, s'y fixe à l'état de conventionalisme, elle tend à passer des esprits aux actes. Qu'une révolution fasse alors sonner l'heure des expériences, et qui peut dire sous quel nom terrible apparaîtra celui qui, cent ans plus tôt, se fût appelé Fénelon? Il eût déposé son idée daus un roman; il meurt pour elle sur l'échafaud; il eût été poëte, il se fait martyr; il eût amusé la société, il la boule

verse.

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