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C'eft par l'expreffion fur-tout que Mme Todi fut nous plaire; cette expreffion, qui anime fa voix, fon âme, fa figure, parut ne rien laiffer en elle à defirer.

Mme Mara eft née en Saxe. Elle en eft fortie fort jeune, & a été élevée en Angleterre. Elle ne peut pas fe vanter de fon Maître; fon nom (fignor Paradifi) n'eft pas venu jufqu'à nous; mais fi fes talens répondoient à ceux de fon Élève, la Kenommée eft bien injufte. Mine Mara fur appelée à Berlin, & fes talens étoient déjà tels qu'ils triomphèrent des préjugés que l'on avoit conçus contre eux. C'eft de ce coin de terre (car dans l'empire mufical la Pruffe eft un bien petit Royaume) que fa réputation fe répandit par toute l'Europe. Mine Mara étoit très connue des véritables Amateurs de Paris lorfqu'elle y vint. On l'avoit fort préconifée, & cependant elle n'éprouva point le fort ordinaire des talens trop vantés. Malgré les éloges prodigués d'avance, malgré le fuccès conftant de Mme Todi, qu'on nom moit la Chanteule de la Nation, malgré le plaifir qu'avoient fait d'autres Virtuofes dans un genre plus approchant de celui de Mme Mara, elle réuffit beaucoup, & fon fuccès à ce dernier voyage a pris encore de nouvelles forces. Il s'est soutenu à côté de celui de Mme Todi; celui de Mme Todi s'eft foutenu à côté du fien: c'eft affez les louer l'une & l'autre.

La voix de Mme Todi eft large, noble,

fonore, intéreffante; elle eft fort étendue au grave, & l'eft affez à l'aigu pour les airs qu'elle fe permet de chanter. La voix de Mme Mara eft brillante, légère & d'une facilité étonnante. Son étendue dans le haut eft fort extraordinaire, fur-tout par fon extrême égalité.

Mme Todi a fur la voix, fur tout lorfqu'elle chante la grande expreffion, un ceri tain voile qui la rend encore plus intéres fante. Cette légère altération, qui paroît ve nir de fon âme, eft fouvent d'un effet fi heureux qu'elle remplit celle des Auditeurs de la plus vive émotion; elle imtte le fon desi pleurs, & les laimes coulent autour d'elle.

Le timbre de la voix de Mme Mara eft) très éclatant, très pur, il ébranle toutes les fibres de ceux qui l'entendent. On eft étonné de la rapidité des paffages, ravi de leur netteté, de leur perfection. Les airs les plus dif: ficiles ne le font pas pour elle; leur difficulté. même difparoît par la facilité dont elle les rend. ·

La voix de Mme Todi eft plus favorable à l'expreffion qu'à la bravoure; mais fon art a fu tout vaincre, & elle fait des paffages trèsdifficiles avec beaucoup d'habileté. Le genre le plus familier à Mme Mara eft la bravoure; mais comme elle a beaucoup d'âme & d'intelligence, elle chante les rondeaux & les airs d'expreflion avec beaucoup de grâce & de fenfibilité. Il eft à remarquer que c'est par un air rempli de paffages A morir fe ni

condanna, de Paifiëllo, que Mme Todi a d'abord établi fa réputation en France; & c'eft par le rondeau d'expreffion de Nauman : Tu m'intendi, que Mme Mara a conftaté la fienne.

Ces deux Virtuofes fe rapprochent en ce point; leur manière eft cependant très-différente, ainfi que la fenfation qu'elles font éprouver. Mme Mara étonne, ravit, tranfporte de plaifir; Mme Todi émeut, intéreffe, déchire l'âme; fouvent mille bravo, mille applaudiffemens d'enthoufiafme ont interrompu Mme Mara au milieu d'un trait que l'âme des Auditeurs, trop remplie d'admiration, ne pouvoit lui laiffer achever. Souvent quand Mme Todi chante, loin de fonger à l'applaudir, on craint de refpirer; le cœur, tout plein du plaifir qu'il éprouve, femble oublier un moment celle à qui il le doir.

Mme Mara chante le François très-agréablement. Le faible accent qu'elle a encore, donne à fa prononciation une grâce nouvelle. Il eft impoffible de chanter les Chanfons françoifes avec plus de charmes & d'efprit. On dit que Mme Todi chante auffi le François; nous le croyons aifément; elle le parle à merveille. Son articulation eft excellente; & perfonne ne dit mieux qu'elle le récitatif Italien.

Toutes deux font excellentes Muficiennes ; toutes deux ont infiniment d'efprit dans la Société, ce qui n'eft nullement indifférent

à leur manière de chanter. Toutes deux ont dans un genre différent, un talent très remarquable: laquelle l'emporte donc fur l'autre ? Eh! pourquoi décider cette queftion, quand il feroit facile de le faire? Jouiffons également de deux talens rares qui réuniffent tout ce que nous pouvons defirer.

Nous devons favoir gré à Mme Todi, de nous avoir fait connoître plufieurs Compofiteurs qui annoncent un grand mérite, tels que fignor Martini & fignor Ferraro, dont elle nous a fait entendre de fort beaux airs. Mme Mara a chanté auffi quelques morceaux très jolis de M. Grefnick, que nous citons, parce qu'il mériteroit de nous être plus connu. Ce jeune Compofiteur eft à Lyon, & il eft étonnant qu'il ne vienne pas effayer fes talens dans la Capitale. Mme Mara part in ceffamment pour l'Angleterre, & nous laiffe l'efpoir de la revoir encore dans quelque tems. Mme Todi part malheureufement pour la Ruffie, où elle a un long engagement. Les applaudiffemens qu'elle vient de recevoir, lui font garants des regrets que le Public éprouve en fe féparant d'elle.

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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

Na continué les repréfentations de Péronne fauvée. Les Auteurs ont fait quelques retranchemens avantageux. La feconde & la troisième repréfentation ont été plus applaudies que la première; mais l'opinion publique eft encore fort partagée fur le degré de mérite & fur le fuccès de cet Ouvrage.

Il a été en général exécuté avec beaucoup de zèle & d'intelligence; prefque tous les premiers fujets du chant y font employés, & y rempliffent leurs rôles avec les talens qu'on leur connoît; mais la multiplicité même des Perfonnages n'a pas permis qu'aucun d'eux ait un rôle affez important, ni des Scènes affez développées, pour s'y montrer d'une manière qui mérite une mention particulière.

La Fête champêtre qui coupe le premier Acte a le caractère qui y convient, & a été très bien exécutée; les airs de danse ont de la fraîcheur & de l'originalité; on a diftingué fur tout le menuet figuré que danfent Mlle Guimard & le fieur Veftris, avec les grâces & la perfection qu'on eft accoutumé d'admiter & d'applaudir dans ces deux charmans fujets. L'air que danfe enfuite le fieur

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