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Enfin il cachoit bien foigneufement fes bienfaits, pour éviter les malignes interprétations; ce qui eft fouvent un moyen pour les favorifer.

Si Minval donnoit des foins à la jeuneffe de Georgette, il en étoit payé par la plus tendre reconnoiffance. Mais il n'étoit pas feule. ment content du coeur de fa fille adoptive; fon efprit, fur-tout fa raifon précoce lui faifoit paffer les plus doux momens. Il l'envoyoit chercher fouvent pour s'entretenir avec elle; il la confultoit même fur les affaires, & il s'applaudit plus d'une fois d'avoir suivi fes confeils.

Minval avoit auffi un fils qu'il aimoit, & qui étoit digne de fon amour; mais comme ils étoient l'un & l'autre d'un caractère trèsvif, ils avoient de temps en temps quelques petites altercations; ils fe reffemblaient trop pour vivre tout à fait bien ensemble; cependant l'un étoit bon fils, & l'autre avoit toute la fenfibilité d'un père. Mais Minyal vouloit être obéi. Il étoit né dans une de nos Provinces Méridionales où la Nature & la Loi ont confacré le defpotifme paternel ; & il trouvoit que la Nature & la Loi avoient raifon. Le père vivoit à Paris, & le fils dans une Ville voifine, où il faifoit fon Droit.

D'Orly (c'eft le nom du fils) avoit de refprit, de la taille & de la figure. Voilà fans doute de quoi plaire, & il avoit aufli dans le cœur de quoi fentir vivement l'amour.

Un jour, en fe promenant feul à cheval, il rencontra par hafard Georgette qu'il n'avoit jamais vue, & dont Minval, d'après fes principes, ne lui avoit jamais parlé. Elle étoit avec quelques unes de fes compagnes, & il ne vit qu'elle. Les yeux de Georgette qui s'ouvrirent vers lui fans le regarder, pénétrèrent jufqu'à fon cœur. Il laiffoit aller fon cheval au plus petit pas en s'éloignant d'elle; & quand il l'eut perdue de vûe, il le remit bien vîte au galop pour la rarrapper. Quand il l'eut revûe, il ne vouloit plus la quitter; mais pour n'être pas trop remarqué, il defcendit de fon cheval qu'il laiffa quelque part aux environs; & il fe mit à la fuivre à pied fans en être apperçu. Il la regarda jufqu'à ce qu'il ne fut plus à portée de la voir, c'est à dire, lorfqu'ayant pris congé de fes compagnes elle fut rentrée chez elle.

D'Orly ne tarda pas à refaire cette promenade, quoiqu'elle fût fort éloignée de l'endroit qu'il habitoit. Son cœur étoit resté auprès de Georgette; il ne pouvoit être heureux qu'auprès d'elle. Il revint donc, revit Georgette, & la quitta toujours avec plus de regret. Enfin bientôt il ne lui fut plus poffible de fortir un moment du Village où elle vivoit, & il conçut un projet que la paffion feule peut fuggérer, que le fage blâmera, que l'indifférent jugera fou, & que plus d'un amant trouvera fort raifonnable.

Comme le fentiment qu'on lui avoit infpiré n'étoit pas un pur caprice, une fantaisie paffagère, il étoit auffi timide que paflionné, il craignoit, en fe faifant connoître, d'effaroucher Georgette, & d'armer les parens qui la furveilloient; il craignoit que l'effet d'une tendre déclaration ne fût de lui fermer tout accès auprès d'elle. Que fit il? Il prit des habits villageois; & ayant appris que le père adoptif de Georgette cherchoit un jeune homme qui pût l'aider dans fes travaux, il fe préfenta chez lui. Sans doute la délicateffe entroit pour beaucoup dans le projet que d'Orly avoit conçu. Il ne vouloit pas, en déclarant fes fentimens à Georgette, intéreffer fon amour-propre, mais toucher fon cœur ; & s'il eût réuffi à plaire fous fa forme naturelle, il auroit craint de devoir à fon rang, ce qu'il vouloit ne devoir qu'à fon amour. Quoi qu'il en foit, il offrit fes fervices, qui furent acceptés. Sa phyfionomie prévint en fa faveur; & il ne préfumoit pas trop de fon intelligence, quand il promit de fe rendre très utile. Le prétendu père de Georgette étoit un Jardinier Fleurite; & le hafard ayant voulu que d'Orly fe fut toute la vie occupé de la cultúre des fleurs, ils pouvoient aisément se convenir. La faculté de voir fouvent Georgette, de vivre avec elle, laiffoit à d'Orly l'efpérance de lui plaire & de lui infpirer un amour défintéreffé; car il avoit réfolu de demeurer inconnu même à Georgette. H

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auroit bien voulu ne pas la quitter un moment; mais il craignoit, avec raison, que fon père ne fût averti de fon abfence. Il dit donc à fon nouveau maître qu'il étoit obligé d'aller coucher le foir chez fon père qui étoit à quelques lieues de-là; mais que fon devoir n'en fouffriroit point, On refpecta fon motif; & on le plaignit feulement des fațigues qu'il alloit endurer.

Sans doute d'Orly avoit pris fes mesures en cas d'informations; peut être auffi n'avoit-il pas pouffé la prévoyance si loin; çar l'amour eft plus ardent à defirer qu'adroit à combiner fes démarches. Au moins avoit-il laiffé fon cheval à quelque diftance de l'endroit; & il en payoit fort cher la nourriture & le logement, parce qu'avec fon cheval on avoit promis de garder auffi fon fecret. I voyageoit donc la nuit, & travailloit le jour; c'est à dire, qu'il ne dormoit guères. Mais les travaux du jour le confoloient bien des fatigues de la nuit ! Il voyoit Georgette; & dès qu'il l'avoit vûe, il fe trouvoit délaffé. Comme Georgette étoit l'unique objet de les travaux, il les dirigeoit fans ceffe vers les plaifirs. Ce qu'elle aimoit le mieux, profperoit toujours le plus; la fleur qu'elle préféroit étoit toujours la mieux cultivée. On fait que dans les jardins il y a toujours un endroit, une allée qu'on affectionne le plus; d'Orly avoit eu grand foin de remar quer l'allée favorite de Georgette; & l'on juge bien que celle-là étoit mieux foignée,

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plus propre que le refte du jardin. Quand elle s'y promenoit, il la fuivoit prefque toujours, quoique fans affectation, avec fon rateau à la main; & il s'y prenoit fi bien, que lorfqu'elle revenoit fur les pas, droit qu'elle venoit de parcourir fembioit n'avoir pas encore été foulé. Dès qu'il avoit vú Georgette flairer une rofe, il alloit luimême la baifer amoureusement; & quel baifer voluptueux ! Certe feule rofe avoit alors de quoi flatter tous fes fens à la fois. Il alloit s'affeoir où Georgette s'étoit ailife; & quelle molle ottomane eût pu valoir le banc ou le gazon qu'elle avoit touché ? L'intérieur de la maifon ne lui procuroit pas moins de jouiffances. 11 mangeoit du pain qui n'étoit pas bien blanc; mais Georgette ordinairement l'avoit coupé, c'étoit elle qui le lui donnoit; fes doigts lui avoient commer niqué une faveur qu'aucun autre mêts ne pouvoit avoir. Quand il deffervoit la table, il s'emparoit bien vîte du verre qui aveit fervi à Georgette; & il le gardoit bien de le rincer. Le vin ou l'eau qu'il y verfoit devenoient un nectar délicieux; & fes lèvres n'en approchoient pas fans un deux frémillement. Ainfi tout fe changeoit en plaifir pour d'Orly, qui fembloit regarder comme perdu le tems où il n'avoit pas été garçon de village.

Mais le fentiment qui l'animoit étoit trop vif pour ne pas fe répandre au dehors; & Georgette, comme cela arrive fort fouvent, avoit déjà deviné fon amour, avant qu'il

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