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l'avantage même de cette ville que je ne le

veux pas.

"Les moyens fe réduifent à deux, la dou» ceur & la force.»

Remarquez bien qu'il vous en laiffe le choix, & qu'il ne vous dit rien de plus pour vons engager au parti de la douceur qu'au parti de la force; dans l'un & dans l'autre cas vous pouvez également compter fur lui, il ne vous refufera pas le fecours de fes alumières, il vous conduira également au fuccès.

"Si vous prenez le parti de la douceur, zouvrez toutes vos portes aux étrangers. Ici on ne peut qu'applaudir.

Si vous prenez celui de la force, détruifez toutes les villes voifines..... Rome fut fidelle à ces principes.

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Et Rome fut violente, injufte & odieufe. Une telle République mérite

un

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie, Que cent peuples unis des bouts de l'Univers, Paffent, pour la détruire, & les monts & les mers. Et c'eft ce qui devoit le plus naturellement arriver. Si le contraire a eu lieu, c'eft par concours de caufes qui ne nous font pas affez connues, &, pour le dire en paffant, ce n'eft peut e pas un médiocre défaut dans nos meilleurs Livres politiques, tels que ceux de Machiavel, de Bodin, de Montef quieu même, de voir toujours fi évidem ment que les événemens ont dû être tels

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qu'ils ont été, c'est une manière de prédire le paffe, dont on appercevroit le ridicule, s'il n'avoit pas été couvert à force d'efprit, de talent & de philofophie; car enfin, nous n'avons prefque jamais toutes les données néceffaires pour affeoir un jugement certain de ce qui devoit arriver: à égalité d'ef prit & de talent, on pourroit donner une autre explication tout aufli probable des mêmes événemens; & fi toutes les données qui nous manquent nous étoient fournies à la fois, fi le dégré d'influence de chaque caufe dans le concours, de toutes, nous étoit affigné avec précifion, nous aurions, avec les mêmes fairs, des résultats politiques tout différens. On peut dire à ces Philofophes qui voient fi clairement dans le paffé la liaifon des caufes avec les effets, ce que La Fontaine difoit aux Aftrologues :. L'état où nous voyons aujourd'hui l'Univers, méritoit bien que quelques uns d'eux l'euffent prévu & annoncé que ne l'ont-ils donc fait à Et quant à l'avenir, les caufes font fous leurs yeux, que ne prédifent ils les effets?

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Et par où l'un périt un autre eft confervé.

a dit Corneille; & il eft vrai que tel eft fouvent le résultat de l'Hiftoire dans les principaux événemens; cependant le rapport des effets avec leurs caufes eft infaillible & invariable; d'où vient donc cette différence, finon de ce que les caufes paroiffent être les mêmes, & ne font pas les mêmes, & de ce

qu'aux caufes apparentes fe mêlent des caufes réelles, mais fecrettes, qui nous échap

pent.

Pour appliquer cette théorie aux Romains, il ne faut pas toujours dire: Les Romains ont pris un tel moyen, & ils ont réuffi; donc voilà le moyen qu'on doit employer quand on fe propofe la même fin; car peutêtre ont-ils réuffi malgré le choix du moyen, & par d'autres causes tout-à-fait inconnues: il ne faut pas que l'événement nous en impofe; & pour profiter des leçons de l'hiftoire, on doit y regarder d'un peu plus près, on doit remonter à la nature des chofes, & éclairer l'hiftoire par la philofophie. Le cœur humain eft affez connu pour que nous fachions tous que

L'injuftice à la fin produit l'indépendance ;

la fourberie la défiance, & la violence la révolte. Voilà ce qui fut & ce qui fera toujours, malgré tous les exemples contraires que l'hiftoire peut fournir; ces exemples ne font que des exceptions, & nous annoncent feulement qu'à cette caufe première, qui eût produit infailliblement fon effet, le font mêlées d'autres caufes qui l'ont contrariée, & qui en ont arrêté l'influence. Les Romains n'ont donc pas réuffi pour avoir détruit toutes les villes voisines; car, par la nature des chofes, ce moyen violent devoit opérer le foulèvement de tous les peuples, la réunion de toutes les Puiffances contre la Puiffance

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Romaine. Peut-être ont ils réuff. parce qu'ils avoient affaire à des voifins ignorans & barbares, à des efpèces de demi-fauvages qui n'avoient les uns avec les autres aucune liaison, aucune correfpondance, qui ne favoient pas s'unir ni s'entre-fecourir qui peut être ne favoient rien de ce qui fe paffoit chez leurs voifins. Peut être les Romains ont ils réuffi, parce qu'ils appliquoient à une mauvaise fin & à de mauvais moyens des vertus & des talens qui devoient néceffairement réuffir. Peut-être enfin durent-ils. leurs fuccès à un concours de circonftances ignorées qui leur échappoient à eux-mêmes, & dont ils n'ont pu nous inftruire; mais ce que nous favons certainement, c'eft qu'il n'eft pas poffible qu'ils ayent réuffi uniquement pour avoir été violens, fourbes & injuftes, parce que la nature des choses y réfifte. Il y a, indépendamment des faits, des vérités métaphyfiques, 'éternelles, invariables; quand l'hiftoire ne me montreroit pas la fin malheureufe de la plupart des Tyrans, je n'en faurois pas moins qu'un Tyran eft toujours en danger, parce qu'il est toujours menacé par la haine publique & particulière. Les faits qui pourroient paroître démentir cette théorie, s'expliquent par d'au tres caufes apparentes ou cachées, connues ou ignorées, dont l'action a combattu l'inAluence de cette autre cause. Concluons donc que dans les inductions qu'on tire de l'hiftoire, il faut fe défier des apparences, re

monter à l'effence des chofes, difcuter les caufes & leur rapport avec de certains effets, pour ne pas rifquer de porter de faux jugemens, & d'établir des principes pernicieux, d'après quelques exemples.

Continuons l'examen de Machiavel. Cer Auteur a un Chapitre dont le titre eft: Que la fraude fert plus que la force pour s'élever d'un état médiocre à une grande fortune.

Et la force & la fraude, & la grande for tune à laquelle on parvient par l'un ou l'autre moyen, ou par tous les deux, font trois chofes très mauvaises & très condamnables, que l'Auteur paroît eftiner beaucoup; mais paffons lui pour un moment cette eftime, & voyons fi la préférence qu'il donne à la fraude fur la force, eft juste. Quoique les Romains fe foient trop fouvent permis la fraude, il eft certain que la force en général a eu plus de part à leurs conquêtes, & que c'eft principalement par la force qu'ils ont écrâfé leurs ennemis.

Alexandre, celui de tous les Conquérans qui a pouffe le plus loin fa fortune, peut Savoir quelquefois employé la rule; mais c'est ce qu'on apperçoit à peine dans fon Hiftoire on le voit toujours triompher par l'audace, par la valeur, par la force.

Enfin, il est un peu étonnant de voir un Écrivain, qui parle fans ceffe d'énergie & de grandeur, préférer la fraude à la force; c'eft qu'il trouve de la grandeur à tromper auffi bien qu'à viacre, & qu'il veut qu'on réuf

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