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qui a établi tant de rapports entre l'âme des enfans & celle des femmes, ne femble-t-elle pas nous avertir que c'eft à elles qu'il faut laiffer le foin de former des êtres qu'elles doivent connoître mieux que nous, puifqu'elles leur reflemblent davantage? 5. Un autre danger de l'Education, c'eft la fociété des domestiques pour les hommes ordinaires, & celle des courtifans pour les Princes. « Il eft fage » fans doute, dit l'Auteur, d'interdire à l'enfance

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la fociété des domestiques; mais fi vos précau» tions ne réufliffoient pas, elles ne feroient que » rendre plus douces des leçons dérobées. Vous obtiendrez qu'il n'y ait point de familiarité, point » d'entretien fuivi; mais un regard, un mot, un fourire n'eft pas en votre pouvoir, & peut dé»truire une année de leçons. J'aimerois mieux réu» nir tant de monde à mon parti que d'avoir à » m'en défendre. Le père de Montagne avoit conpofé fa maifon de manière que fon fils apprît le » latin comme fa langue naturelle. Maupertuis » avoit imaginé une Ville où tout le monde devoit » parler latin, & dans laquelle un féjour de deux ans épargneroit à notre jeuneffe les ennuis de la fcholarité. Mon projet à moi feroit une maison » où l'on n'entendit que d'honnêtes gens, où la

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langue ne fût que l'expreffion des mœurs, où » des Maîtres vertueux feroient fervis par des » kommes dignes de former avec eux une même » famille, & de rappeler ces noms d'enfans, d'enfans de famille que les Anciens donnoient à leurs » efclaves... Il eft à peu près impoffible de fouf» traire l'Education à l'influence des domeftiques; a je propofe de les affocier au bien; mais il me » femble que Boffuet & Fénelon lui-même devoient » peu s'entendre à choisir & à conduire de pareils collègues. Cet emploi ne peut être que celui d'une femme. Une femme feule peut avoir en fes mains

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toutes ces volontés fubalternes, & faire que tous » les difcours, tous les plaifirs, tous les vœux de la maifon qu'elle gouverne, foient d'intelligence » avec les leçons des Maîtres; elle pourroit rendre éloquent & inftru&tif le filence de ceux qui ne favent que fe taire. Peut-être dans l'âge fuivant, » dans les défordres de votre Elève, le filence fera la » feule expreflion permife à la douleur & à l'indi» gnation des Peuples; & s'il eft vrai qu'on ne doive impofer à un enfant que des punitions qu'il puiffe toujours craindre, voyez comme femme habile & attentive peut employer tout ce qui l'environne à rendre plus amer, plus vif & plus durable le feul châtiment que le refpect nous ait laiffé pour les Princes de tous les âges.

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6o. Un autre grand avantage que l'Auteur attribue à une Education dornée par les femmes, c'eft de choisir à l'Elève les amis qui s'empareront de fon cœur à la fin de l'Education. Il eft un âge où le Prince n'aime que ceux qui penfent comme lui; mais dans la jeuneffe il penfe comme ceux qu'il aime. C'eft une femme qui peut avoir le talent & l'adreffe de faire pencher fon cœur vers ceux qui n'attireront à eux fes fentimens que pour les attacher davantage à la vertu. C'eft une femme qui a le don de faire aimer ceux qu'elle loue, & hair ceux qu'elle méprife; c'eft elle qui faura imprimer tous fes fentimens dans l'âme flexible & tendre qu'elle aura formée; c'eft elle enfin qui, au moment que la loi affranchira l'Élève du pouvoir de fes Inftituteurs, l'y retiendra lié par la tendreffe & la reconnoiffance, « le ramènera tous les jours par » le goût, l'amitié, par mille circonftances qu'elle » fera naître dans une fociété où le defir de plaire » conduit au bien, cù la vérité, la droiture, la juftice foient néceffaires à l'honneur & le devoir à l'amabilité, où les mœurs comme les difccurs

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»portant toujours une impreffion fenfible de vertu, attriftent celui qui la trahit dans fon âme & confcience, où le bonheur de fe trouver enfemblé croiffe encore par celui de fe rendre meilleurs. » Telle eft l'idée fe fait l'Auteur d'une Éducation dirigée par une femme; mais cette femme, où la trouvera-t-on ? Quelles font les qualités & les lumières qu'elle doit avoir pour remplir de fi auguftes fonctions, des fonctions que, jafqu'à préfent, on a cru fi peu réfervées à fon fexe? C'eft ce que l'Auteur examine dans la feconde Partie de fon Ouvrage. Toujours conféquent à fes principes, il ne veut point,pour faire l'œuvre d'une femme, les qualités & les connoiffances d'un homme. « Une femme dans l'emploi d'un homme ne feroit jamais qu'un homme médiocre plus ridicule qu'un homme efféminé; elle jouera toujours très mal un rôle qui la défigureroit même en le jouant bien. Les femmes font bien plus femmes que les hommes ne font » hommes. Ceux-ci, partagés en différentes claffes » de Citoyens,diffèrent par leur état autant que par » leur fexe. Le fexe d'une femme eft encore fon » état. Elle eft mère, ou fille, ou époule. C'eft toujours une femme que nous voyons fous tous ces » rapports. En Littérature, on veut que les Écrits » d'une femme décèlent une femme, l'indulgence » ou l'admiration ne font qu'à ce prix; s'il eft des Ouvrages de femme fupérieurs à tout ce que les » hommes ont pu faire dans le même genre, c'est qu'il en eft où l'Auteur n'a jamais démenti fon fexe, ou plutôt c'eft qu'on n'y voit point d'Auteur, point de Livre à lire, on y jouit de l'intimité d'une femme que l'on aime. »

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L'Auteur veut donc qu'une femme chargée de l'Education d'un Prince ait le courage de conferver l'efprit de fon sexe, «avec l'habitude d'oublier

toute espèce de lecture dont il ne refte point

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quelque fentiment de vertu pour le cœur, quel » que lumière utile pour l'efprit; elle ne fera point » femme favante, elle n'aura pu que s'inftruire: on dira d'elle comme Mme de Maintenon de M. » de la Rochefoucauld, qu'elle a plus de lumières » que d'inftruction. Peut-être fe croira-t elle igno»rante à la manière de Mme de Sévigné, ne » fachant bien que ce qu'elle aura fenti, & réci

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tant mal ce qu'on lui aura fait apprendre. Accou»tumée à ne juger que des chofes qu'elle aura pu » mefurer ou pefer, ou compter, elle aura l'esprit » sûr & jufte, & même géométrique, & ne faura » point de géométrie, mais bien ce qui eft grand » ou petit, ce qui eft vuide ou ce qui a du poids, ce qui eft ou ce qui n'eft pas. » Avec ce caractère d'efprit elle n'aura pas pour fonction de remplir la tête de fon Elève de connoiffances, mais de lui former le jugement; elle lui enfeignera à connoître les hommes, fcience fi naturelle aux femmes & fi néceffaire aux Princes; à apprécier les chofes, non par l'opinion publique, mais par ce qu'elles produisent pour le bonheur réel; elle n'exaltera point fa tête & fon cœur en enivrant fon imagination des tableaux de l'héroïfme & de la gloire ; mais elle échauffera doucement fon cœur par les images touchantes des fecours donnés à la misère, de l'appui courageux prêté à l'innocence méconnue; elle donnera à l'humanité, pour fe faire entendre de l'âme d'un jeune Prince,ces fons & ces accens fi doux que la Nature a donnés à la voix d'une femme; elle ne fera point un Preux & un Héros, mais un Saint Louis comme Blanche de Caftille, ou un Henri IV comme Jeanne d'Albret.

Voilà à-peu-près le réfultat des idées de l'Auteur fur l'Education des Princes par les femmes. D'autres Ecrivains veulent changer le plan de l'inftitution ; celui-ci veut changer le fexe des Instituteurs ; cette

dernière réforme paroît plus difficile encore. On voit que l'Auteur, effrayé des maux que les têtes ardentes & les âmes paffionnées ont fait aux Nations, voudroit, pour ainfi dire, affoiblir l'espèce humaine pour la rendre plus raifonnable & plus heureufe; il voudroit répandre dans toutes les âmes, & fur-tour dans celles qui font destinées à gouverner, la douceur des fentimens de la tendreffe maternelle, & la pitié fi naturelle à la foibleffe des femmes. Il paroît les avoir beaucoup obfervées, avoir très-bien faifi le caractère de leur efprit & de leur âme, l'efpèce d'empire qu'elles prennent fur l'homme, & les moyens de cet empire; il a très bien vu que la jufteffe naturelle de Jeur efprit tenoit beaucoup à ce qu'elles ne jugent que des chofes qu'elles voient, qu'elles touchent, qu'elles comptent, qu'elles mefu ent. Locke a prouvé que prefque toutes les erreurs venoient de l'abus des mots; les jugemens des femmes ne fe fondent pas fur les mots, mais fur les chofes, & voilà pourquoi elles ont fi peu d'erreurs. En général, toute l'influence qu'elles ont dans le monde & qu'elles peuvent avoir dans l'Education, l'Auteur l'a très-bien vue, & le développement de fes idées amène des détails de mœurs très-piquans & très agréables. On peut faire des reproches à fon ftyle, fa phrase n'eft pas toujours nettement conftruite, & l'on pourroit citer quelques exemples de mois impropres ; mais il a des tournures vive & des expreffions heureufes ; peut-être fon efprit a-t il quelques rapports avec celui qu'il veut faire régner fur l'efprit des hommes & des Princes, avec l'efprit des femmes. Si le titre de fon Ouvrage permettoit des critiques févères fur le plan & l'ordre des idées, c'eft l'objet fur lequel on devroit lui en faire davantage. Il s'eft peu appliqué à donner à fes vues cette fuite & cet enchaîne ment qui, dans les matières philofophiques, font la

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