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arrivée à l'armée qui, mécontente d'être battue devait redemander son ancien chef, qui alors aurait agi d'après les instructions qu'il aurait reçues.

Il a dù recevoir 900 louis pour le voyage qu'il fit à Paris à l'époque de sa démission. De là vint naturellement son refus de l'Ambassade de Suède. Je soupçonne la famille Lajolais d'être dans cette intrigue.

Il n'y a que la grande confiance que j'ai en votre patriotisme et en votre sagesse, qui m'a déterminé à vous donner cet avis: les preuves en sont plus claires que le jour, mais je doute qu'elles puissent être judiciaires.

Je vous prie, Citoyen Directeur, de vouloir bien m'éclairer de vos avis sur une affaire aussi épineuse. Vous me connaissez assez, pour croire combien a dù me coûter cette confidence: il n'en a pas moins fallu, que les dangers que courait mon pays pour vous la faire. Ce secret est entre cinq persunes: les Généraux Desaix, Reignier, un de mes aides-decamp, et un officier charge de la partie secrète de l'armée, qui suit continuellement les renseignemens que donnent les lettres qu'on déchiffre. Recevez l'assurance de mon estime distinguée et de mon inviolable attachement.

Cette lettre fut croisée par une du Directoire, qui appelait Moreau à Paris.

Voici sa réponse,

Au Quartier général à.................le 24 Fructidor, An. 5.

.....

Le général en chef, au Directoire exécutif.

Citoyens Directeurs.

Je n'ai reçu que le 22, très-tard, et à dix lieux de Strasbourg votre ordre de me rendre à Paris.

Il m'a fallu quelques heures pour préparer mon départ, assurer la tranquillité de l'armée et faire arrêter quelques hommes compromis dans une correspondance intéressante que je vous remettrai moi-même.

Je vous envoie ci-joint, une proclamation que j'ai faite, et dont l'effet de convertir beaucoup d'incrédules, et je vous avoue qu'il était difficile de croire que l'homme qui avait rendu de grands services à son pays, et qui n'avait nul intérêt à le trahir, pût se porter à une telle infamie.

On me croyait l'ami de Pichegru, et dès long-tems je ne l'estime plus. Vous verrez que personne n'a été plus compromis que moi ; que tous les projets étaient fondés sur les revers de l'armée que je commandais; son courage a sauvé la Répu blique.

Salut et respect.

garder le plus profond silence, mais chargé d'une fonction importante ou la confiance est indispensable, je vous dois, Cltoyens Directeurs, quelques détails sur ma conduite aux ar mées que j'ai commandées. Ils serviront de réponse aux criailleries des hommes dangereux qui ne veulent pas de gouvernement et m'accusent d'être le partisan de Pichegru, parce que je ne l'avais pas dénoncé, tandis que les déclamations des Royalistes me reprochent d'avoir été dénonciateur de celui qu'ils appellent mon instituteur et mon ami. Je n'ai jamais été l'élève de Pichegru; j'étais général de division, et j'avais sous mes ordres 25,000 hommes de l'armée du Nord, lorsqu'il est venu en prendre le commandement, pour la campagne de l'an 2. J'ai servi environ 8 mois sous ses ordres. Je l'ai remplacé pendant une maladie d'environ 3 mois, et je lui ai succédé aux armées du Nord et de Rhin et Moselle, pour les Campagnes des années 3, 4 et 5. J'ai exécuté ses ordres, quand il a dú m'en donner, mais je n'ai jamais reçu de ses leçons. Nous avons été amis pendant que nous avons défendu la même cause, et nous avons cessé de l'être, quand j'ai eu la preuve qu'il était ennemi de la République française. On ne me fera sûrement aucun reproche de ne pas avoir envoyé au gouvernement l'énorme quantité de papiers de l'état major ennemi, qui furent pris à Offembourg. Je chargeai quelques officiers d'en faire le triage. La correspondance de Klinglin en faisait partie; mais il falloit un long espace de temps avant qu'on pût y découvrir quelque chose de précis.

Presque tout était en chiffre, et sous des noms empruntés.

Il ne s'y trouva sous les vrais noms que quelques bateliers du Rhin, qui furent seulement remis sous la surveillance de leur municipalité, pour ne pas effaroucher ceux qui n'étaient pas connus.

On en obtint, par mes promesses et craintes du châtiment, quelques renseignemens qui augmentèrent les découvertes.

Quand le chiffre fut découvert et qu'on eut rassemblé quelques autres renseignemens, il n'y eut plus de doutes de la part qu'y prenaient Pichegru et autres.

Je balançai quelque tems entre l'envoi des pièces au gouvernement, ou seulement de le prévénir de leur existence.

S'il s'était agi d'une conspiration contre le sort de l'état, il n'y avait pas à balancer; mais il n'était ici question que d'un espionage qui ne traitait que de la situation et des mouvemens de l'armée du Rhin. C'était à l'armée seule qu'on pouvait compléter les preuves, découvrir les coupables, et qu'ils devaient recevoir leur châtiment.

Dans le courant de la guerre, on a arrêté, jugé et puni plusieurs centaines d'espions, sans que le gouvernement en ait jamais entendu parler. Je me bornai donc, à cause de la qualité de représentant d'un des prévenus, et surtout pour l'influence qu'il paraissait avoir, à en écrire à un mem

bre du gouvernement, persuadé que les conseils qu'il me donnerait seraient le résultat de l'opinion de ses collègues.

Si ma lettre ne fut écrite que le 17 Fructidor, an 5, et si je n'y annonçai alors que des preuves insuffisantes pour une instruction judiciaire, c'est que le déchiffrement était trèspeu avancé, puisqu'il a fallu dans les bureaux du ministère de la police, après un travail continuel, plus d'un an pour le compléter.

Quoique je connusse très-peu Barthelemy, ne l'ayant vu que deux fois, il était naturel que je m'adressasse à lui puisqu'il connaissait une partie de cette correspondance.

On m'a reproché ensuite que l'armée du Rhin et Moselle n'a point fait d'adresse sur les événemens antérieurs au 18 Fructidor.

Quoiqu'aucune des armées de la République n'avait pas plus de droit qu'elle de se plaindre des entraves qu'éprouvait la marche da gouvernement, il n'en était pas dont la situa tion exigeât de la part du chef une conduite plus circonspecte et plus prudente. Il lui était dù plus de quatre mois de solde. L'habillement était dans un dénuément affreux. Elle recevait à peine la moitié des subsistances qui lui appar tenaient. La plupart de ses cantonnemens en France ne lui procuraient pas pour vivre les ressources du pays conquis.

On devait craindre avec raison qu'en faisant naître aux sol dats l'idée d'une demande collective sur un objet quelconque, il ne devînt très-difficile, pour ne pas dire impossible, d'arrêter le torrent des réclamations qu'ils se seraient crus en droit de faire. Il fallait les disséminer pour assurer leur subsistance et empêcher les insurrections. Il n'y avait de troupes rassemblées que dans les garnisons; aussi celles d'Huningue, Brissac, Strasbourg et Landau, s'insurgèrent-elles quelquesfois; mais le patriotisme bien éprouvé de l'armée rendit ces mouvemeus peu dangereux. Pour les faire cesser, il suffisait de faire comprendre aux soldats les périls auxquels leur insubordination exposait la République.

Quant à moi peu au courant de la situation de Paris, où je n'avais aucune correspondance suivie, et ne connoissant les événemens que par les feuilles publiques, voie toujours peu sûre dans les momens de troubles, je ne m'occupais que du soin d'améliorer le sort des troupes que vous m'aviez confiées. Un officier supérieur envoyé à l'armée pour connaître les mo tifs de son silence, vous confirmera ces détails, et vous assurera de mon devouement à la République.

Je pourais me dispenser de répondre à quelques imputations calomnieuses dirigées contre ma nomination par un journal signé de trois réprésentans; mais peu de mots suffirout pour vous convaincre de la fausseté des faits qu'il

avance.

Très-peu d'officiers généraux de l'armée avaient des F

moyens de paraître toujours dans une tenue riche et recherchée.

Aucun surtout n'eût été assez imprudent pour afficher le moindre luxe devant des soldats dans la misère la plus affreuse, mais je puis vous assurer, Citoyens Directeurs, que tous, et je m'y comprens, ont paru toujours à l'armée en habit militaire et tenue simple à la vérité, mais décente. On n'en vit jamais porter la livrée d'ancun particulier."

Cette lettre, au lieu d'être de nature à dissiper les soupçons .contre lui, devait au contraire les fortifier.

Le devoir de Moreau, général de l'armée du Rhin, était d'instruire le gouvernement, sans aucun retard.

Sil l'eut fait, que de maux il eût évités!

Ce n'est pas encore le moment de s'occuper des motifs de son silence.

Pichegru, déporté par le Directoire, trouve le moyen de s'évader de Cayenne, et porte en Angleterre ses sentimens de haine et de vengeance.

Il y est accueilli par le ministère anglais, par les ci-devant Princes français, et par leurs agens principaux.

Il ne s'y occupe que des moyens de mettre la France en combustion. Des pièces d'une correspondance d'Angleterre à Pa ris, et de Paris en Angleterre, saisies au mois de floréal an 8, confiées au Citoyens Chaptal, Emery et Champagny, pour les examiner, le présentent comme écrivant, agissant, et devant jouer un des principaux rôles dans l'exécution des projets de contre-révolution. C'est à lui qu'il est réservé de commander J'Armée royale. L'analyse imprimée, faite par ces trois Con seillers d'état, ne peut laisser aucun doute.

Sa conduite prouve que la journée du 3 Nivose, au lieu d'affaiblir au moins sa résolution, ne lui laissait que le regret d'avoir vu échouer le projet infernal des assassins à la solde de l'Angleterre..

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On le vit, peu de tems après, conspirant avec le comité de Bareuth dont les pièces saises ont aussi été imprimées :

De retour en Angleterre, on le trouve avec ceux des chefs de la conspiration du 3 Nivose, qui avaient echappé au glaive de la loi.

En signant le traité d'Amiens, l'Angleterre n'avait pas renoncé à ses projets.

Les violations les plus marquées en sont une preuve frappante. Pichegru connaissait la pensée du gouvernement britannique, et celle des ci-devant princes français.

Un nouveau plan arrêté lui avait été confié.

On ne s'était point dissimulé qu'il était impossible de l'exécuter, sans avoir à sa disposition un général français qui eût long-tems commandé, et qui jouît de l'estime des armées. IL connaissait mieux que personne le caractère du général Mo-, reau: il jette les yeux sur lui.

Il sait que David, son ami, qui possède éminemment l'art de

l'intrigue, est à Paris; il le fait instruire du projet, et de la nécessité d'intéresser Moreau à son exécution,

L'honneur semblait défendre à jamais toute relation entre ces deux généraux. David, qui voit toute l'importance de la réunion et de l'accord, trouve bientôt des prétextes pour écrire et parler, et une réconciliation s'opère.

Vers la fin de Brumaire an 11 cet intermédiaire, dont on avait observé les démarches, est arrêté à Calais, au moment où il allait assurer de plus en plus Pichegra des dispositions de Moreau.

Les pièces qui constatent un raccommodement aussi étrange sont saisies.

Le général Moreau est instruit par une lettre que cet intermédiaire lui écrit, le 4 Frimaire, des prisons de Calais. II paraît agité, il voudrait faire des démarches; la politique l'arrête.

Le gouvernement a les yeux fixés sur Moreau, qui se tait. Il attribue ce sileuce à l'humiliation d'un aveu, et ne voit, dans la plupart de ses discours indiscrets, que de l'humeur et un vain mécontentement.

Le moindre rapport avec Pichegru, conspirant ouvertement contre son pays depuis près de dix ans, suffisait sans doute pour le faire arrêter. On le laisse tranquillement jouir des honneurs attachés à sou grade, d'une fortune immense, et des bienfaits de la République.

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Des déclarations très-précises étaient déjà recueillies; des brigands soldés par l'Angleterre, partis pour assassiner le premier Consul, avaient été signalés et arrêtés, lorsqu'un nouveau confident est envoyé de Londres à ce général par Pichegru: c'est l'ex-général Lajolais.

Ce confident arrive à Paris, lui rend compte des dernières résolutions du gouvernement britannique et des ci-devant Princes Français, et lui fait connaître les desseins positifs de Pichegru et de ses associés.

Sa réponse ne laisse aucun doute sur sa détermination; Lajolais la reporte à Londres.

La prompte exécution du plan est arrêtée.

Bientôt trois lignes sont marquées pour le passage des con jurés qui doivent venir d'Agleterre en France, et se rendre à Paris pour la contre-révolution.

Ces trois lignes partent de la Falaise de Béville au pied de laquette, loin de toute inquiétude, et de toute surveillance, les conjurés, transportés par des Vaisseaux de guerre anglais, doivent débarquer sans être aperçus, et trouver des hommes corrompus pour les recevoir.

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Tout est disposé pour qu'on les accueille dans des stations convenues, et pour que des guides sûrs les conduisent progressivement jusqu'à Paris où des repaires sont préparés.

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