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Il importe donc à la chofe publique de fe mettre à jour fur les intérêts arrierés. Cette opération emploieroit pour 230 millions d'affignats; il en faut 170 pour rembourfer la caiffed'efcomte; il n'en refteroit donc point pour d'autres remboursemens, fi l'on s'en tient à 400 millions. Que dis-je ? Si l'on fuivoit la partie fpéculative du plan de la ville, on feroit réduit à ne pouvoir employer en affignats, que les 300 millions correfpondants à la même fomme d'engagemens déposés par les municipalités.

Au contraire, en fe tenant à la fimple réfolution de vendre les biens du clergé par l'entremise des municipalités, pour en verfer le produit, à fur & mefure dans la caiffe de l'extraordinaire; & à cette autre réfolution également fimple, de décréter la circulation générale d'affignatsmonnoie, hypotéqués fur ces biens; on peut fans inconvénient en porter la fomme à 600 millions. Y aura-t-il un emprunt moins coûteux? Tout l'arriéré qu'on rembourfera avec ces 200 millions d'excédent, ne coûte-t-il pas davantage; ne caufe-t-il pas, fur-tout, un énorme déficit, dès qu'il eft perdu pour la circulation?

La frivole objection, du trop de papiers, retiendra-t-elle ? Je l'ai détruite en rappelant aux lecteurs la multitude de chofes à faire en France,

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qui n'en attendent que les moyens,.. Mais il y plus. Qu'entend-on par trop de papiers? Le papier-monnoie, puifqu'il faut fe fervir de cette expreffion, juftement flétrie par les abus qu'elle rappelle, n'eft pas un papier; c'eft une monnoie. Il y en a de la bonne & de la mauvaise. Ici, il eft queftion de la bonne, évidemment bonne pour

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toute perfonne de bonne-foi. Additionner fix cent millions d'affignats, avec les papiers-contrats, qui ne font pas commerçables, c'eft réunir des chofes totalement différentes; c'eft comme fi l'on additionnoit la marchandife, foit les propriétés avec l'argent, pour en conclure qu'il y a trop d'argent; c'eft, en un mot, confondre le repréfentant avec le représenté (1). Avec quoi donc faut-il additionner les fix cent millions d'affignats? Avec le numéraire effectif; car j'ai prouvé qu'il n'y auroit entre eux aucune antipathie.

Ainfi, il eft queftion de porter à deux milliards fix cent millions, le numéraire, le figne des valeurs; or, peut-on dire que ce foit-là trop de numéraire pour le royaume de France, peuplé de vingt-cinq millions d'habitans? Peut-on dire que ce foit une augmentation trop confidérable, quand il eft démontré que le royaume eft loin d'en avoir abondamment, même dans les temps les plus profpères (2)?

Mais les biens eccléfiaftiques & domaniaux peuvent-ils fupporter cette hypothèque ? La peuvent-ils fupporter, tandis que les premiers

(1) M. de Montefquiou a fait la même observation dans fon rapport fur le mémoire de M. Necker. Il dit, parlant des affignats, ils feront effectivement & nonfictivement une monnoie. Mais, quand on énonce cette vérité, pourquoi tant de timidité dans la queftion de l'émiffion? Sommesnous donc fi près du trop? On ne s'entend pas même encore parmi les calculateurs politiques qui parlent du trop de numéraire.

(2) Voyez, à ce fujet, les Opinions d'un créancier de l'Etat, pag. 74 & fuivantes.

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reftent chargés de l'entretien du culte, des miniftres, des pauvres & des dettes du clergé? C'est tranfporter les objections de la défiance, caufée par les temps fâcheux, au temps où la confiance. naîtra d'un état profpère. Il ne s'agit pas ici d'un débiteur condamné à la liquidation rigoureuse de ses biens, & au repos de l'incapacité. Il s'agit d'un débiteur plein de reffources; il s'agit de rétablir une activité & un travail, dont les produits font incalculables. Ainfi, pour que l'objection, contre la création de 600 millions d'affignats, fût plaufible, il faudroit fuppofer que les affignats doivent être remboursés dans un terme très-court; il faudroit fuppofer qu'on retranchera au culte, aux miniftres, aux religieux, aux pauvres, aux créanciers du clergé, tout ce que le produit total des biens eccléfiaftiques & domaniaux rendroit de moins que les fonds néceffaires à ces objets importans, après en avoir prélevé fix cents millions; il faudroit fuppofer que, pendant la révolution du temps néceffaire pour une fage liquidation des biens du clergé le royaume ne profpérera point; que le régime de la liberté y détruira l'industrie; que la hache meurtrière, qui, pour cueillir le fruit, abattoit l'arbre, vaut mieux que le hoyau qui fait profpérer l'arbre en cueillant le fruit; que fous la protection de loix égales pour tous, les manufactures profpéreront moins; que le commerce languira; que l'agriculture fera de plus en plus retardée; il faudroit fuppofer, enfin, qu'une équitable & judicicufe répartition de l'impôt décourage le travail, détruit l'efpérance. Toutes ces fuppofitions font abfurdes, tandis que les contraires font affurés. Dès-lors eft-il raifonnable

de craindre que le tréfor public ne fouffre de quelques mécomptes fur le produit des biens eccléfiaftiques & domaniaux ? Le fecret, fi bien gardé fur leur valeur, annonce-t-il qu'on fe l'exagère, quand on le juge fuffifant ? Quand s'appercevra-t-on de ce mécompte fi improbable? Lorfque le tréfor public fe reffentira de la prof périté générale. Manquera-t-il alors de reffources pour remplacer un déficit graduellement apperçu ? Comment l'Affemblée générale, qui a montré un fi grand courage dans les loix fondamentales qui l'immortaliferont, fe défiera-t-elle affez du fuccès de fes travaux, pour craindre de faire l'opération la plus féconde qui ait jamais été faite en France, celle d'accroître le numéraire de fix cents millions, en prenant cette fommé fur les biens du clergé Non. Elle ne fe laiffera point aller à cette timidité mal entendue; & je le répète, loin qu'on doive fe défier de l'hypothèque portée jufqu'à 600 millions, on ne tardera pas à defirer que les affignats ne s'éteignent que d'une manière très-infenfible, & à mesure qu'une augmentation véritable dans le numéraire effectif, pourra les remplacer; car on fentira tous les jours d'avantage, l'utilité de ces fortes de billets-monnoie, qui peuvent tout-à-la-fois, faire l'office de nu, méraire, & convenir aux placemens d'argent.

Si, par impossible, ils étoient trop abondans, ils portent en eux-mêmes le rémède à cette abondance; l'excès les déprécieroit, & dès-lors, ils fe réflerreroient par l'effet de l'intérêt journalier qui leur fera attaché. Ils n'ont à craindre que le difcrédit de la défiance, & ce difcrédit eft de nature à céder tous les jours davantage

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à la réflexion. Si les circonftances politiques empiroient, qu'auroit-on pu faire de mieux ?

S'il exifte des capitalistes qui aient refferré de l'or ou de l'argent pour acheter des immeubles tombés à vil prix, on doit s'attendre à les voir s'élever contre les affignats; car fuppléant aux métaux rares, & tendant à les rappeler ils empêcheront que le prix des chofes ne s'aviliffe. Mais peut-on redouter ces clameurs intéreffées ? L'opinion publique peut-elle longtemps tarder à en faire juftice?

Enfin, les provinces ont à redouter une inondation d'affignats. Mais, pour cela, il faudroit qu'on les leur envoyât, fans autre raifon que de les y échanger contre des efpèces., Or, le fimple échange contre espèce reftera toujours libre ; & perfonne n'ira rifquer de perdre l'intérêt attaché aux affignats pour cette douteufe fpéculation. Les paiemens feront feuls forcés. Les provinces ne recevront donc des affignats - monnoie que pour ce qui leur fera dû par la capitale & par le tréfor public. Mais les provinces, à leur tour ont des remises à faire à la capitale; car, foit en impofitions, foit en rentes foncières appartenant aux perfonnes qui habitent Paris, foit en fonds néceffaires pour acquitter les traites tirées de l'étranger pour le compte des provinces, foit en dépenfes des voyageurs, foit en frais d'éducation, foit en valeur des marchandifes dont Paris eft la manufacture, cette capitale reçoit plus qu'elle ne dépenfe; fans quoi elle s'appauvriroit au lieu de s'enrichir.

Il y a donc une cause invincible qui ramene dans Paris les valeurs qui en fortent pour les provinces. Și c'eft de l'argent, il reviendra de l'argent; fi

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