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étoit digne de mort, & les fept commiffaires furent fur le champ pendus aux grands mâts d'un pareil nombre de vaiffeaux. «

Le czar revint de Cazan au milieu d'une nuis d'été, & l'on crut qu'il fe levroit plus tard le lendemain. Les fénateurs qu'il obligeoit d'être à l'audience dès fept heures du matin en été, & à huit heures en hiver, ne s'attendant à rien moins qu'à être prévenus par fa diligence, prolongerent avec fécurité le tems du fommeil. Mais Pierre fe rendit au fénat à fept heures précises, Il n'y trouva que les invalides qui font les gardiens de toutes les cours de Ruffie. Il leur demanda s'ils étoient feals; ils répondirent que les chancellarifles étoient arrivés. Il les fait venir, leur demande de l'ouvrage, prend la place accoutumée & examine plufieurs affaires. Quand il étoit fatisfait d'un jugement, il fe contentoit d'appofer la fignature (Pitre), s'il ne l'approuvoit pas, il mettoit en marge mal jugé. Pendant qu'il travaille à la révifion des procès, les invalides parcourent la ville pour annoncer aux fénateurs l'arrivée du prince au fénat. Ceux-ci y courent à la file. Pierre voyant entrer le premier, quitte le fiege, marche gravement au-devant de lui, le charge vigoureufement de coups de canne, & lui fait enfuite une verte réprimande; les autres eurent fucceffivement la même réception. Arriva le dernier de tous. C'étoit un amiral à qui le grand Age & les infirmités permettoient à peine de marcher. Informé par la fentinelle de la fcene qui vient de fe paffer, ilse met à genoux & crie de loin au czar : Be

tufchka, (pere) fi vous me roffez comme vous avez fait les autres, j'acheverai de mourir. - Levez-vous, bon vieillard, reprend l'empereur, la loi qui exige l'affiduité des fénateurs n'eft pas faite pour vous. Vous m'avez fervi & votre tems eft plus qu'expiré. Je ne vous ai placé ici que pour que vous fubfiftiez avec plus d'aifance. Mais ces drôles-là ont manqué à leur devoir, & je leur ai donné une leçon. Quant à vous, reftez ou retirez-vous, cela revient au même.

L'anonyme a rapporté le réglement militaire publié par Pierre I, fur lequel il fait ces fages réflexions on pourroit appliquer à cette loi ce qu'on en a dit de celles de Dracon, qu'elles avoient été écrites en lettres de fang. Les conf pirations & les émeutes qui furent fréquentes fous le regne de Pierre I, avoient infenfiblement rendu ce prince méfiant, cruel & farouche. Menzikoff qui fe conduifoit d'après les mêmes principes, affembloit les troupes toutes les fois qu'il vouloit livrer bataille aux Suédois, & leur fignifioit qu'en cas de défaite, tous les foldats feroient décimés par la voie du fort pour fubir le fupplice de la corde. Cette menace qui, dans toute autre religion, auroit caufé beaucoup de défertions, valut peut-être quelques victoires aux Ruffes, mais n'étoit pas propre à adoucir leurs. mœurs fauvages & féroces. Toutes ces loix péchoient par leur base, je veux dire que les prin cipes de morale ont été totalement négligés dans leur rédaction; auffi la civilifation des Ruffes n'eft guere plus avancée aujourd'hui qu'elle l'étoit fur la fin du regne de Pierre I. L'ivrognerie, par exemple, qui eft formellement défen

due par les loix écrites, eft le vice favori des Ruffes. Les prêtres même, bien loin de s'en être corrigés, s'y livrent avec un fcandale dont on trouveroit difficilement des exemples ailleurs. On les voit traverfer les rues dans un état d'abrutiffement qui les rend la fable & la rifée des paffans & de leurs ouailles, lesquelles, tout en les accablant de reproches & des plus groffieres injures, n'en iront pas moins leur baifer la main le lendemain. . . .

» Les Ruffes de toutes les claffes font de très» mauvaise foi, frippons, les plus adroits esca> moteurs du monde, & très-jaloux des étran

gers. L'efprit de rapine n'anime pas feulement > la populace, il guide fouvent les grands &

les magiftrats. La plupart de mes lecteurs au> ront peut-être entendu parler de Schémékin, » de Schémékina-Soud, c'est-à-dire, du jugement

de Schémékin. Il avoit à juger depuis long>tems un procès dont le fond étoit une lettre> de-change due par un de fes amis. Le créan»cier, impatienté des lenteurs de la justice, va > trouver Schémékin à la chancellerie avec un

gros fac fur le dos, & le dépofa devant lui. › Le gouverneur alléché à la vue d'un sac de > ce volume & d'un pareil poids, lui fait un

accueil gracieux, & lui dit de le fuivre à la > chancellerie, où il va finir fon affaire fur le

champ. Le créancier l'accompagne avec fon > fac qu'il dépofe encore dans un coin. Sché>mékin ordonne, follicite, rend fa décifion » & fait délivrer au porteur de la lettre-de> change, fentence qui condamné l'accepteur à > folder le principal & les intérêts jusqu'au jour

du paiement effectif. Le plaideur ayant fa ⚫ fentence en main, reprend fon fac, falue les » juges, leur fouhaite toute forte de biens, & » s'en va. Schémékin qui le voit fortir férieufe>ment avec fon fac, toute honte hue, court > après lui, & lui dit: Mais, mon ami, j'ai cru que ce que vous portez étoit deftiné à récompenfer mes foins & mes bons offices, à moi qui » viens de rendre un jugement qui vous eft fi favo› rable. Oui, Monfieur, ce que je porte vous » étoit réfervé; mais, ajouta-t-il, en jettant le > fac par terre, regardez ce qu'il contient : ce • font des cailloux, avec lefquels je vous aurois caffè » la tête, fi vous m'aviez encore dénié la juftice qui » m'étoit due; vous me l'avez enfin rendue, & je remporté mon fac fans regret. Depuis cet évé> nement, celui qui ne peut obtenir justice, > ou qui s'en croit léfé, n'a qu'à crier Schémé kina-foud, pour épouvanter les juges. « L'anecdote fuivante fuppoferoit des fentimens & de l'honneur dans les Ruffes, fi elle pouvoit corriger les prévaricateurs d'entr'eux.

» L'impératrice régnante s'eft vue forcée depuis peu d'ordonner une enquête contre un > vaiwode de bonne famille qui avoit exercé > fans pudeur les dernieres exactions. L'enquête. > lui fut remife avec toutes les preuves de fes > malverfations. Elle fe contenta de le dépo

fer, & de lui faire une forte réprimande. Le » jour de la fête de ce gouverneur infidele arrive peu après; elle lui envoie pour bouquet > le brevet d'une autre vaiwodie, & un grand fac tout neuf, pour contenir apparemment le pro

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> duit de fes nouvelles extorfions. Cette fouveraine a préfumé fans doute que l'affront qu'il > avoit reçu étoit une punition fuffifante, & dont le fouvenir réprimeroit fa rapacité. J'i» gnore encore fi elle n'a pas été trompée dans fon attente; attendons.

Une communauté mi - partie de négocians & de merciers ou de marchands en détail, a deux maifons à Rével, où elle tient fes affemblées, Dans le tems que Iwan Bafilowitsch poursuivoit le cours des conquêtes & des ravages qu'il avoit faits en Efthonie, & approchoit de Rével, dans le deffein d'en faire le fiege, le manque de vivres & de munitions jetta d'abord la ville dans la confternation. Elle en fut bientôt tirée par la prompte & courageufe réfolution des négocians & de leurs garçons, qui, formant entr'eux un corps de milice bourgeoife, firent une fi vigou reufe fortie fur les affiégeans, qu'ils les maffacrerent prefque tons. Ces foldats citoyens s'étoient armés de cuiraffes & de cafques, ce qui leur fit donner le nom d'hommes noirs. Ils fe qualifient encore aujourd'hui de têtes noires. Après la retraite de ceux des Ruffes qui purent échapper au carnage, on érigea près de Rével une pyramide ornée d'une infcription qui rappelle cette action mémorable. On en célebre l'anniversaire par une fêre folemnelle dans laquelle les négocians donnent à tous les notables un magnifique repas où brille la plus vive & la plus pure allégreffe, augmentée par des falves roulantes de canons Pierre I fe trouvant à Rével dans le tems de cette fête, les négocians, après leur repas,

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