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qu'à l'état citement abfolu dans lequel fe trouvoit le crédit public: on l'avoit va dépé rir fous l'adminiftration des gens - de - robe, & l'on voulut faire l'épreuve des connoiffances acquifes dans une autre carriere.

» Cependant les moyens auxquels je mis mà principale confiance, appartenoient également à tous les hommes. Ces moyens étoient l'ordre", l'économie & l'application de la morale à toutes les tranfactions. J'eus uniquement le mérite d'ap percevoir, ou plutôt de fentir fortement que pour l'adminiftration des finances, une marche fimple, une conduite pure étoient de beaucoup préférables à toutes les habiletés dont les gens médio, cres s'extafient.

Je ne négligeai pas néanmoins les fecours que l'on peut tirer de cette fuite de ménagemens, de foins & d'attentions, qui ne fuppléent point aux principes effentiels, mais qui fecondent & favorifent leur falutaire influence. Enfin, je fus heureux fans doute, puifque dans le cours de cinq années de mon premier miniftere, au mi lieu d'une guerre qui amena graduellement le befoin de cent cinquante millions de fecours extraordinaires pour une feule année, les fonds publics qui baifferent en Angleterre de trente à trente-cinq pour cent, éprouverent en France une hauffe graduelle; & prefque tous les émprunts auxquels on eut recours, furent remplis en huit jours.

» C'eft ainfi que je relevai le crédit de la France; & à ce crédit, on le fait, eft attaché pendant la guerre la fûreté de l'empire," la dé

fense de ses colonies & le général de la force & de la puiffance.

» Il étoit réfervé à l'efprit de nouveauté qui nous gouverne fur tous les points, de cenfurer l'ufage du crédit pendant la derniere guerre, comme s'il y auroit eu une poffibilité de fubvenir par des impôts à des befoins immenfes. Je ne fais ce que la nation pourra payer en extraordinaire, fous un gouvernement où elle réglera elle-même toutes les contributions & tou tes les dépenfes, mais autrefois on auroit éprouvé des réfiflances très-nuifibles à la confiance publique, fi dès les commencemens de la guerre on eût demandé un troifieme vingtieme, & ce fupplément n'eût valu que vingt à vingt-cinq millions.

» Le rétabliffement du crédit, tout effentiel qu'il étoit à l'état, n'eût fatisfait qu'imparfaitement, s'il m'eût diflrait un feul jour des intérêts du peuple, l'objet perpétuel de ma follicitude. Mais en garantiflant la nation des fubfides exraordinaires & au-deffus de fes forces, que le défaut de crédit auroit rendus néceffaires, je la préfervai de même des impôts permanens qui Tembloient indifpenfables pour balancer l'intérêt annuel des emprunts deftinés aux befoins de la guerre, & j'y réuffis en fuppléant à cet accroiffement de la dépenfe publique, par des opérations d'ordre & d'économie.

On en a vu le résultat & la preuve dans le compte rendu public au mois de janvier 1781, & dans mon ouvrage fur les finances. J'offris de défendre cette vérité contre un miniftre en pouvoir, & au milieu de l'affemblée des notables de 1787,

au milieu de cele mil avoit compofée lui-même. » La controverfe par écrit, à laquelle j'ai été entraîné depuis cette époque, n'a pu laiffer aucun doute fur l'exactitude parfaite du compte de 1781. Et comme ce compte a été fait par la même perfonne, & d'après les mêmes erremens que le compte général remis aux états généraux, au mois de mai 1789, l'approbation donnée à ce dernier compre, à la fuite d'un examen févere de la part du comité des finances, eft une nouvelle preuve morale de la régularité de celui de 1781.

• Ainfi donc, pendant mon premier ministere j'eus foin de la puiffance, en élevant le crédit au plus haut degré, & j'eus foin du bonheur, en garantiffant la nation des contributions immenfes qui auroient été néceffaires, fi le crédit n'eût pas été rétabli, & en la préfervant encore des impôts annuels que l'intérêt des emprunts auroit exigé, fi dans le même-terus aucune amélioration n'avoit eu lieu dans les finances. Je le demande, que pouvoit-on faire de plus ?

» Du moins que pouvoit faire de plus un míniftre de finances qui éperdu, pour ainfi dire, au milieu d'une cour depuis long-tems étrangere aux idées d'ordre & d'économie, s'efforce de propager ces même idées, & fe voit dans la néceffité de com◄ battre feule contre tous. On ne faura jamais toute la conftance dont j'ai eu befoin. Je me rappelle encore cet obscur & long efcalier de M. de Maurepas que je montois avec crainte & mélancolie incertain du fuccès auprès de lui d'une idée nou velle, dont j'étois occupé, & qui tendoit le plus

fouvent à obtenir un accroitement de revenu par quelque opération jufte, nais févere; je me rappelle encore ce cabinet en entrefol placé fous les toits de Versailles, mais au-deffus des appartemens du roi, & qui, par la petiteffe & fa fituation, fembloit véritablement un extrait & un exHait fuperfin de toutes les vanités & de toutes les ambitions; c'étoit-là qu'il falloit entretenir de réforme & d'économie un miniftre vieilli dans le fafte & dans les ufages de la cour. Je me fouviens de tous les ménagemens dont j'avois befein pour réuffir, & comment plufieurs fois repouffé j'obtenois à la fin quelques complaisances pour la chofe publique; & je les obtenois, je le voyois bien, à titre de récompenfe des reffources que je trouvois au milieu de la guerre. Je me fouviens encore de l'efpece de pudeur dont je me fentois embarraffé lorfque je mêlois à mes difcours & me hafardcis à lui préfenter quelquesunes des grandes idées morales dont mon cœur étoit animé. Je femblois alors auffi gothique au vieux courtifan, que Sully le parut aux jeunes, le jour qu'on le revit à la cour de Louis XIII.

Je trouvois auprès du roi plus de courage: jeune & vertueux, il pouvoit & vouloit tout enTendre; la reine auffi m'écoutoit favorablement; mais autour de leurs majeftés, mais à la cour, à la ville, à combien d'inimitiés & de haines ne me fuis-je pas expofé! c'étoit à tous les genres de crédit & de pouvoir que je devois oppofer de la fermeté; c'étoit avec toutes les factions de l'intérêt particulier que j'avois à, combattre, & dans cette lutte continuelle je rifquois à tout mo

ment ma fragile exiftence. Je le fis cependant, & je marchai dans ma route fans reculer un moment. Auffi, je l'avoue, en me fouvenant & de ma pofition & de ma conduite, je confidere en pitié cette réputation de vaillance qu'on cherche à fe donner au milieu de l'affemblée nationale', en y dénonçant à grand bruit, mais fans aucun Bilque, mille écus à retrancher ou à prendre fur les foldats épars d'une armée en déroute, cer tain qu'on eft encore des applaudiffemens fans nombre de tous ceux dont on fe trouve environné. On a foin, il eft vrai, de faire réfonner nom des grands, des miniftres & des courtifans, afin de perfuader au peuple que les géans font encore-là, & que c'eft d'eux dont on fe joue, tandis que foi-même on eft bien fûr de n'avoir plus à lutter qu'avec des fantômes.

Ce n'eft pas le tems aujourd'hui de particu larifer les réglemens d'ordre & d'économie, & les diverfes difpofitions utiles aux finances, qui durant le cours de mon premier miniftere, ont rempli le but dont j'étois fans ceffé occupé; je dois aller en avant rapidement, & j'aime mieux faire obferver que l'on trouve le germe de nos idées actuelles dans les deux inftitutions les plus remarquables de mon adminiftration.

» L'établissement des affemblées provinciales dont je pofai les premieres bafes en 1779, 'devoit affocier toute la nation à la gestion de fes intérêts, & foulever le voile que tenoient depuis long-tems dans leurs mains un petit nombre de commiffaires nommés par le roi. Cet établis fement donnoit des guides & des protecteurs pa

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