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ir. Enfin, le roi ne cachoit point que voulant rendre immuables les conceffions dont il avoit pris l'engagement, & défirant de mettre à l'abri de toute efpece de révolution les avantages politiques dont la nation alloit obtenir la jouiffance, il confentiroit à toutes les difpofitions raifonnables qui paroîtroient propres à remplir un deffein mérité mûrement, & dont l'exécution pleine & entiere lui préfentoit une perfpective de bonheur & un moyen certain de rendre fon nom cher aux générations futures.

» C'eft donc par une forte d'ufurpation de la reconnoiffance des peuples, que l'affemblée nationale parle toujours du bonheur (puifque bonheur y a) & de la liberté comme de fa conquête. Sans doute elle a plus voulu, elle a plus obtenu que le roi n'avoit préfagé; mais les premieres bafes de la conflitution, celles qui forment la clef de la voûte, le roi les a pofées; c'eft à fon génie bienfaifant qu'elles font dues, & il eft permis de douter fi dans le nombre des accroiffemens de pouvoir dont l'affemblée natiomale s'eft emparée, tous ajoutent au bonheur public & à la liberté réelle. «<

>> Ce fut une grande faute (dit l'auteur dans un autre endroit) de la part des deux premiers ordres, de n'avoir pas apperçu, de n'avoir pas voulu voir de bonne heure, qu'une affemblée nationale conftituée d'une maniere à-peu-près femblable à celle de l'Angleterre, étoit ce qu'ils pouvoient attendre de plus favorable au milieu du mouvement des efprits, & près des forces croiffantes du parti des communes. Cette com

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pofition, dont ils rejetterent fi loin l'idée lorfqu'on leur en fit l'ouverture, ils l'ont regrettée peut-être quand il n'étoit plus tems. Il eft rare que les hommes réunis en grand nombre, agiffent par prévoyance; leur fentiment commun celui qui les entraîne, naît de leurs fouvenirs & ils ne peuvent jamais être régis avec force par la multitude des perceptions nécessaires pour le calcul ou le préfage de l'avenir. Le roi luimême avoit de l'éloignement pour la conftitution d'Angleterre, & pour tout ce qui pouvoit y reffembler; fans doute qu'il la trouvoir trop diftante des principes & des idées d'habitude. Les tems font bien changés!

» Cependant, ainfi que je l'ai dit, le roi, en fixant fon attention fur l'organisation future des états - généraux, auroit parlé pour la premiere fois des deux chambres à l'affemblée nationale, fi fa majefté avoit adopté le projet que je mis fous les yeux au mois de juin 1789. Les événemens du mois de juillet ayant beaucoup changé la fituation des affaires, j'aurois pu reprendre la même idée à mon retour de Bafle, & je le fais en conversation avec divers députés ; mais les communes, à cette époque, ne songeoient qu'à tirer avantage des nouvelles circonftances, & les difpofitions politiques qu'elles auroient adoptées avec empreffément dans d'autres tems leur convenoient plus. Il eft permis de douter qu'elles aient eu raifon de préférer pour tous les tems la conftitution du corps législatif en une feule & même affemblée, il eft permis de douter qu'elles aient eu raifon de parler avec

ne

tant

tant de dédain de la liberté angloise; car le jugement de toute l'Europe, & le fentiment profond de toute une nation, heureuse & prospere par une conftitution à laquelle cent années d'expérience l'ont chaque jour attachée davantage; ces confidérations méritoient, je le crois, d'être approfondies plus long-tems; & c'eft au nom de la liberté qu'on eût pu les faire valoir, car, felon le cours des événemens, la rapidité des : réfolutions légiflatives pourroit lui être un jour bien funefte.

> Une circonftance mémorable sembloit fortifier cette réflexion. C'eft l'adoption de deux cham. bres ou deux fections par la nation américaine, par cette nation qui a fondé la liberté loin du tumulte de l'Europe, & en lifant, comme nous, dans l'hiftoire du monde, & dans les annales du cœur humain. Cependant, combien n'eft pas plus dangereufe, dans un pays tel que la France, l'attribution de la législation entiere à un feul vote & à une feule chambre; combien n'eft-elle pas plus dangereufe dans un pays où la mobilité du caractere national rend la circonspection du légiflateur fi néceffaire; dans un pays infiniment peuplé, & où tous les hommes rapprochés les uns des autres, font fufceptibles d'être emportés par une même impulfion; dans un pays où le mélange inévitable du plus grand luxe & de la plus grande pauvreté, entretiendra toujours le défir d'un changement de fituation; dans un pays encore qui n'eft pas, comme l'Amérique, uniquement agricole, mais où une grande partie du peuple, dévouée aux travaux des manufactures, Tome IX.

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& au fervice des riches, fe trouve réunie en grande maffe au centre de nos cités corruptrices; dans un pays fur-tout où la morale & l'efprit religieux vont en déclinant, & n'offrent plus de barriere fuffifante aux grands écarts des paffions; dans un pays enfin, où des connexions habituelles avec les autres états, peuvent amener plus facilement des événemens favorables aux révolutions intérieures? Il faut à un pareil royaume un corps législatif qui marche avec mefure, &: qui ne fe trompe jamais, afin d'entretenir la fubordination par un fentiment continuel de refpect; & il le faut encore davantage, lorfqu'on a mis en action la derniere claffe du peuple, lorfqu'on lui a donné des opinions fans avoir pu lui donner des lumieres; car on fe trouve alors: contraint à lui présenter toujours le même tableau, toujours la même idée, & l'on n'eft plus libre d'adopter les changemens que l'efprit confeille, & que les circonftances rendent fouvent! néceffaires. <

Les opinions de M. Necker en politique font toujours modérées, toujours appuyées sur la justice & la morale, comme fa conduite. Il croit, comme bien d'autres, que l'affemblée nationale n'avoit nul droit ni fur les propriétés & fur les confciences des particuliers, ni fur les anciennes prérogatives du trône, que par le confentement libre des intéreffés. Il blâme auffi cet orgueil à. vouloir tout réformer, & encore plus cet efprit d'indépendance, qui s'impatiente de la gêne des loix qu'il a fait lui-même. Dire au peuple qu'il aft le maître, c'eft lui infinuer qu'il peur tout

faire; & fouvent lorfqu'il croit agir par lui-mê me, il n'eft que l'inftrument de quelque vil fac→ tieux, qu'il rougiroit d'appeller fes égaux, s'il connoiffoit toute leur noirceur. ›

¿» Défions-nous des amis cachés du defpotifme dit M. Necker, mais défions-nous auffi de ceux qui fe fervent du nom de la liberté pour exciter un aveugle enthoufiafme; car nous ne favons pas ce qu'ils veulent faire d'un mouvement de ce genre. Ils ignorent encore eux-mêmes le genre d'autorité dont ils défirent la confervation, & plufieurs fouhaiteroient peut-être que tout fût remis en commun, que tout fût replacé dans l'é tat de mature, afin de fe faifir d'une meilleure part que celle dont le hafard de la fortude les a favorifés. On eft véritablement effrayé, en cherchant à présager le dernier degré de la dé forganisation civile, politique, morale & reli gieufe, auquel des génies dangereux ou des efprits défordonnés voudroient infenfiblement nous conduire. Ils auront, n'en doutons point, un abus à dénoncer, une épouvante à donner, jufqu'à ce qu'ils aient amené le nivellement le plus abfolu des hommes & des chofes ; & s'ils avoient la hardieffe des Titans, parvenus à renverser le royaume, ils fe ferviroient de fes débris pour efcalader le ciel; & là, s'ils le pouvoient aprèr avoir égalisé l'action des élémens, après les avoir confonfondus, après avoir rompu les liens qui retiennent la fureur des vents, ils jouiroient un moment du bouleversement général de l'univers. 7 Hélas! nous voyons de toutes parts leur ou vrage, & nous devons en pleurer la confufion

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