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que les anciens fuivoient toujours comme nous les mêmes procédés. Ils ont penfé de plus que la pouzzolane entroit toujours dans leurs cimens & dans leurs mortiers; & ils ont attribué la folidité de leurs édifices à cette conflance dans les procédés & dans le choix des matériaux. L'étude des monumens romains & des écrits que nous ont laiffé leurs architectes, détruifent cette erreur, que Vitruve avoit déja trouvée établie de fon tems, & qu'il combattit avec vigueur (Vitruve, lib. I, cap. v). Toutes les contrées,

difoit-il, ne peuvent pas fournir les matériaux » que nous voudrions employer. Mais quand on trouvera des pierres de taille, ou des cailloux, ou des moëllons, ou des briques cuites, » ou même des briques crues, il faudra les met> tre en œuvre; car au défaut de bitume que

l'on emploie à Babylone, on fait ailleurs de > bonnes murailles avec du fable, des briques

cuites & de la chaux. C'eft ainfi que l'on peut > trouver dans chaque pays & dans les fubftan

ces qui s'y rencontrent, des matieres auffi > utiles, avec lefquelles on conftruira des mu

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railles fans défaut & qui dureront éternelle» ment. « In omnibus locis, quas optamus copias, non poffumus habere fed ubi funt faxa quadrata, five filex, five cœmentum, aut coctus later, five crudus, his erit utendum. Non enim uti Babylone abundantes liquido bitumine pro calce & arenâ & secto latere factum habent murum. Sic item poffunt omnes regiones, feu locorum proprietates, habere tanas ejufdem generis utilitates ut ex his comparationipibus ad æternitatem perfectus habeatur fine vitio murus.

D'ailleurs le même architecte parlant dans un autre endroit (lib. 5, cap. 16.) de la même maniere de fonder folidement dans l'eau ou dans les terreins humides, enfeigne les moyens de le faire fans pouzzolane, dans les pays dont la terre n'a point été réduite à ce degré de deffication par les feux des volcans. In quibus autem locis pulvis (puteolanus) non nafcitur, his rationibus erit faciendum, &c.... fin autem, dit-il enfuite, mollis locus erit, palis uftulatis alneis, aut oleagineis, aut robufteis configatur &earbonibus compleatur, quemadmodum in theatra & muri fundationes eft fcriptum. Je rapporte exprès ce paffage, afin de rappeller l'emploi du charbon dans les fondations que l'on établit dans des terreins humides. Les Romains s'en fervoient pour fixer les limites, & ils l'enfonçoient à une certaine profondeur ( Baldus de officio judicis ), parce que cette fubftance eft indeftructible. Les charbons, qui déterminoient les divifions des champs, étoient appellés carbones fub terra defoffi Cette pratique fit naître fans doute aux architectes romains l'idée d'employer dans les fondations les charbons que l'humidité ne fauroit détruire ou amollir. Pline fait mention d'une fubf→

tance que l'on peut affimiler au charbon pour

le mélange des ciments. Ce font les cendres. favilla, que l'on pêtriffoit avec le fable & la chaux pour former un des lits, fur lesquels on établiffoit les pavés ( lib. 36, c, 25): Non negligendum etiam unum genus græcanicum : folo fiftucato injicitur rudus aut teftaceura parvimentum. Deinde Spiffe calcatis carbonibus, inducitur fabulo, calce ac favilla mixtis, &c. J'ai reconnu l'emploi des cen.

dres dans plufieurs efpeces d'enduits arrachés par nos jeunes architectes aux ruines des édifices romains; & je propofe aux artiftes d'en renouveller l'ufage avec celui du charbon; ce feront des fubftances de plus à mêlanger avec la chaux ou les ciments.

Les Romains introduifoient encore dans ces môlanges une autre fubftance qui les rendoit capables de réfifter au froid & aux gelées; c'eft de l'huile que je veux parler. N'ayant pas à leur difpofition des bitumes comme les Babyloniens, ils effayoient de les remplacer par des builes avec lesquelles ces bitumes, qui font des efpeces d'huiles concretes, ont beaucoup d'analo gie. Vitruve parlant de la conftruction des terraffes qui formoient le toît des maisons de Rome, dit (lib. 6, VII, c. 1.) qu'il faut en composer la fuperficie, fummam cruftam ou fummum dorfum, foit avec des dalles de pierre dure, foit avec des carreaux de terre cuite, & en remplir exactement les joints avec de la chaux pêtrie avec de l'huile, ex calce oleo fubacta. Il recommande enfuite de frotter tous les ans pendant l'automne, ces terraffes avec du marc d'olives, ibidem fracibus quosannis ante hiemem faturetur. On retrouve ce procédé en ufage encore aujourd'hui chez les Indiens, ce peuple dont la conftance dans les pratiques de certains arts eft auffi étonnante, que fa répugnance pour l'adoption de ceux que nous avons inventés, & que fes ancêtres n'ont pas connus. Les habitans de la côte de Coromandel (ze. Mém de M. de la Faye, pag. 104.) font entrer l'huile dans l'efpece de fuc, qu'ils ap

pellent argamaffe, & ils en imbibent abondamment les terraffes argamaffées. Je regrette vivement l'emploi des fubftances graffes & oléagineufes qui entroient dans les ciments des Romains, & que nos architectes devroient renouveller. Mais je dois citer M. de la Faye dans les recherches qu'il a faites pour retrouver la préparation donnée à la chaux par les Romains; il décrit fes expériences dans lesquelles l'huile eft entrée avec fuccès.

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Les ouvriers qui travaillent depuis quelques années à réparer les murs de Notre-Dame, em ploient auffi pour en remplir les joints & pour fouder des portions de dalles nouvelles aux anciennes que le tems à rongées, un ciment dans lequel j'ai reconnu au goût & à l'odorat la préfence de l'huile. Le fecret qu'ils obfervent visà-vis de tout le monde fur fa compofition, ne m'a laiffé, pour en juger, que ces moyens groffiers & méchaniques. Ce ciment eft fi fort que j'ai vu des dalles foudées depuis quelques années par ce moyen, avoir été brifées par la chûte decorps pefans, plutôt que de s'être détachées dans les joints. Un fuccès auffi complet doit, à mon avis, être attribué au mélange de l'huile; nouvel hommage rendu racitement par les modernes aux procédés des anciens, & qui mérite d'être configné dans nos mémoires.

C'est encore en faveur des Romains que je réclame la méthode de fonder par eneaiffement, dont notre fiecle se glorifie d'avoir vu faire ufage, pour la premiere fois, aux ponts de Westminster de Tours, &c. Tout le monde fait que dans cette A. S

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pratique abfolument différente de la conftruction par épuisement, on bâtit à découvert une pile ou un maffif de maçonnerie, que l'on defcend enfuite dans l'eau pour fervir de base aux arches des ponts. Virgile parlant des piles qui portoient les môles du fameux pont des Baïes, dit expreffément qu'on les avoit conftruites avant que de les jetter dans la mer. (Æneid. IX. 710).

Qualis in Euboïco Bajarum littore quondam
Saxea pila cadit, magnie quam molibus ante'
Conftruum jaciunt ponto.

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Vitruve qui vivoit, ainfi que le chantre d'Enée, fous l'empire d'Augufte, décrit fort au long la conftruction de ces piles; & il ajoute qu'il ne faut ébranler ces maffifs que deux mois après leur conftruction, afin qu'ils puiffent fécher entiérement relinquatur pila ne minus quàm duos ( lib. V ́, e. 12.) menfes ut ficcefcat. Il eft impoffible de méconnoître dans cette expreffion la conftruction par encaiffement, dont on a fait honneur à un ingénieur François nommé la Bélie, qui l'employa pour la premiere fois depuis les Romains au pont de Westminster.

Les briques employées par les Romains me fourniront quelques obfervations intéreffantes. Je dois avertir d'abord que par les mots génériques lateres & laterculi, traduits en françois par celui de briques, ils défignoient des briques cuites & des briques crues. Nous en voyons la preuve dans plufieurs paffages de Vitruve & de Pline, qui appellent les unes & les autres lateres ou laterguli, avec l'addition des mots, cocti ou crudi Je

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