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tant réduit à vingt milliards de livres tournois, qui, fur le pied de deux livres flerlins pour le marc d'argent, évalué pour lors à vingt-huit livres de France, faifoit plus de 142 millions ferlins.

M. Law propofa, pour remédier aux malheurs qui étoient une fuite nécessaire d'une dette auffi énorme, l'établissement d'une banque qui mit en circulation des papiers hypothéqués fur les biens-fonds & fur tous les revenus royaux ; qui refteroient pour gages inalienables de cet objet. Le projet fut approuvé; mais la conjoncture étant jugée défavorable, il obtint feulement des lettres - patentes, datées du 30 mai 1716; qui l'autorifoient à établir une banque privée à Paris, de concert avec son frere, & quelques autres affociés. Leurs fonds confiftoient en 1200 actions de 5000 livres, qui, à quarante livres le marc, montoit à 250 livres fterlins chaque, enfemble 300000 livres fterlins.

La banque générale de Law & compagnie femble avoir commencé des affaires fous les aufpices les plus flatteurs; car elle n'étoit pas feulement favorifée de la protection ouverte du régent, mais s'acquéroit la confiance publique, en obviant à l'ufage arbitraire qui avoit lieu communément pour lors en France, de varier la valeur de l'argent monnoyé à la volonté du momarque. Les effets d'une mefare fi finguliere &

injufte, furent prévenus par la nouvelle compagnie, qui s'engagea de payer au porteur » →→→ livres en efpeces de même poids & fineffe que celles de la date portée par chaque billet. « Les

papiers de Law prirent une telle faveur en peu de tems, qu'ils gagnerent un pour cent fur la valeur des especes courantes, & qu'on dit qu'ils influerent très-favorablement fur l'induftrie & le commerce de la nation.

Le 14 décembre 1718, la banque fut diffoute par un arrêt arbitraire du régent, qui obfervant les grands avantages qui en réfultoient, & s'appercevant auffi que le peuple se passionnoit pour le papier-monnoie, résolut de la continuer au profit du gouvernement.

Tel avoit été le crédit de cette compagnie, qu'à cette période, l'émiffion de leurs papiers ne montoit pas à moins qu'à une fomme de 59 millions. M. Law fut nommé directeur-gé, néral de la banque royale; on en établit des bureaux correspondans à Lyon, à la Rochelle, à Tours, Orléans & Amiens ; & c'eft digne de remarque que le crédit des billets royaux devînt auffi refpectable que celui de la banque généra le, nonobftant que les levées que portoient les effets de celle-ci, avoient une valeur fixe & po fitive, & qu'au contraire celles reprises dans les effets royaux, en conféquence d'un nouvel arran gement qui conftituoit le montant payable en argent, pouvoient être fujettes à fouffrir quelque jour une diminution dans leur valeur. En février 1719, cette banque fut réunie à la compagnie des Indes; & le 29 mai fuivant, on ne comptoit pas moins de 2,235,083,590 livres de papier-monnoie en circulation, dont ces deux compagnies réunies étoient responsables.

Heft à obferver que ce fut bientôt après l'é

tabliffement & la réuffite de la banque générale, que M. Law commença à développer ce grand & étonnant projet, que toute l'Europe connoit fous le nom de Miffiffippi. » Projet, dit notre auteur, qui, s'il eût été fuivi d'une pleine exécution, n'auroit probablement pas manqué de porter la puiffance & les richeffes de la France à un haut degré de fupériorité fur tous les autres états. <

Ce plan ne tendoit à rien moins qu'à réunir tous les privileges, effets & poffeffions de toutes les compagnies étrangeres de commerce, grandes fermes, les profits de la monnoie, la recette générale des revenus du roi, & la régie & la propriété de la banque, fur une grande compagnie, qui, en poffeffion de tout le com. merce, taxes & revenus royaux, fe trouveroit capable de multiplier les papiers de banque au, tant qu'elle trouveroir à propos, jusqu'à une fomme double ou même triple de l'argent en circulation dans le royaume, & qui, au moyen de l'immenfité de fes fonds, étoit à même de porter le commerce extérieur, & la culture des colonies, à un degré de fupériorité qu'il étoit impoffible d'atteindre par aucun autre moyen. «

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Ce vafte plan, qui fut, à notre avis, un monopole auffi monftrueux qu'impraticable, reçut l'approbation du régent, qui fit émaner des lettrespatentes pour l'érection d'une compagnie d'oc¬ cident, avec la ceffion, en fa faveur, de toute la province de la Louifiane, ou le pays fur la riviere de Miffiffippi. Comme on repréfentoit cette partie de l'Amérique comme un pays abondant

en mines d'or & d'argent, & un terrein des plus fertiles, les actions s'enlevoienr avec avidité; & telle fut la fureur pour la spéculation, que les portions incultes de la colonie fe payerent alors à raifon de 30,000 liv. pour la lieue quarrée. La compagnie d'Occident, dont Law fut naturellement directeur général, enfuite de fon plan, entreprit la ferme du tabac, moyennant une avance annuelle de plus de deux millions : enfuite elle dépouilla la compagnie du Sénégal de fa charte & de fes effets, & fe procura, en mai 1719, l'octroi d'un commerce exclufif aux Indes orientales, à la Chine, & dans les mers du fud, avec les poffeffions des compagnies de la Chine & des Indes, qui furent alors diffoufous la condition d'acquitter leurs dettes ce qui fit hauffer les actions de 550 à 1000 liv. chacune.

Le 15 juillet de la même année, la compagnie d'Occident, qui prit le nom de compagnie des Indes, entreprit de faire de la monnoie pour une fomme de 50 millions : & le 27 août fuivant, elle obtiut un bail des fermes pour l'avance d'une rétribution annuelle de 3,500,000 livres. Ayant ainfi concentré en elle-même nonfeulement tout le commerce & les poffeffions extérieures de la France, mais même la collecte & la régi des revenus royaux, elle promit un dividende annuelle de 200 livres par action, en conféquence de laquelle le prix des actions monta à 5000. Comme il parut par un relevé spécieux que leur revenu annuel excédoit 80,500,000 liv. fterl. avec apparence d'être augmenté par leur com

merce extérieur, une fureur pour l'acquifition de ces actions s'empara de toutes les claffes de citoyens.

Cette frénéfie fe pouffa fi loin, que toute la nation, le clergé, les laïques tant nobles que plébéiens, hommes d'état & princes, fans excep ter même les dames, qui avoient ou pouvoient le procurer de l'argent pour cet objet, devinrent. agioreurs, acheterent des actions, enchériffant les uns fur les autres, avec une telle cupidité qu'en novembre 1719, après plufieurs variations, le prix des actions fe porta au-delà de dix mille livres, qui faifoient fix fois la valeur à laquelle elles s'étoient vendues dans l'origine.

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M. Law fe vit tout-à-coup à un degré de pouvoir & de fortune, qui n'avoit pas d'exem-, ple. Il avoit l'oreille du duc d'Orléans, & étoit prefqu'adoré du peuple, continuellement entouré de princes, de ducs & de prélats qui briguoient fon amitié, & qui fembloient même honorés de fa protection. Ses poffeffions étoient fi vafles, qu'il n'avoit pas moins de quatorze terres titrées en propriété, au nombre defquelles on compta le marquifat de Rofny, qui avoit appartenu au grand duc de Sully, le miniftre & l'ami de Henri IV. Ce fut auffi vers cette époque qu'il reçur d'Angleterre fon pardon de la mort de M. Wilson, & que la capitale d'Ecoffe, fiere d'avoir produit un auffi grand homme, lui fit présenter les pri vileges de la cité dans une boîte d'or.

. Le feul obftacle à fon élévation aux plus hauts poftes de l'état, ayant été levé bientôt après par fon abjuration de la religion proteftante, en

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