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quelque lieu particulier, pour un temps trèscourt; et en croyant soulager le peuple, il ne fait qu'assurer et aggraver ses malheurs.

Les sacrifices faits par l'Administration pour procurer ce bas prix momentané, sont une aumône faite aux riches au moins autant qu'aux pauvres, puisque les personnes aisées consomment, soit par elles-mêmes, soit par la dépense de leurs maisons, une très-grande quantité de grains.

La cupidité sait s'approprier ce que le Gouvernement a voulu perdre, en achetant au-dessous de son véritable prix une denrée sur laquelle le renchérissement, qu'elle prévoit avec une certitude infaillible, lui promet des profits

considérables.

Un grand nombre de personnes, par la crainte de manquer, achètent beaucoup au-delà de leurs besoins, et forment ainsi une multitude d'amas particuliers de grains qu'elles n'ôsent consommer, qui sont entièrement perdus pour la subsistance des peuples, et qu'on retrouve quelquefois gâtés après le retour de l'abondance.

Pendant ce temps les grains du dehors, qui ne peuvent venir qu'autant qu'il y a du profit à les apporter, ne viennent point. Le vuide aug mente par la consommation journalière ; les ap

provisionnemens par lesquels on avoit cru soutenir le bas prix s'épuisent; le besoin se montre tout-à-coup dans toute son étendue et lorsque le temps et les moyens manquent pour y remédier.

C'est alors que les Administrateurs égarés par une inquiétude qui augmente encore celle des Peuples, se livrent à des recherches effrayantes dans les maisons des Citoyens, se permettent d'attenter à la liberté, à la propriété, à l'honneur des Commerçans, des Laboureurs, de tous ceux qu'ils soupçonnent de posséder des grains. Le commerce vexé, outragé, dénoncé à la haine du Peuple, fuit de plus en plus : la terreur monte à son comble; le renchérissement n'a plus de bornes, et toutes les mesures de l'Administration sont rompues.

Le Gouvernement ne peut donc se réserver le transport et la garde des grains sans compromettre la subsistance et la tranquillité des Peuples. C'est par le commerce seul, et par le commerce libre, que l'inégalité des récoltes peut être corrigée.

Le Roi doit donc à ses Peuples d'honorer, de protéger, d'encourager d'une manière spéciale le commerce des grains comme le plus nécessaire de tous.

Sa Majesté ayant examiné sous ce point de vue les réglemens auxquels ce commerce a êté assujetti, et qui après avoir êté abrogés par la Déclaration du 25 mai 1763 ont été renouvellés par l'Arrêt du 23 décembre 1770, elle a reconnu que ces réglemens renferment des dispositions directement contraires au but qu'on auroit dû se proposer:

Que l'obligation impôsée à ceux qui veulent entreprendre le commerce des grains, de faire inscrire sur les registres de la Police, leurs noms, surnoms, qualités et demeures, le lieu de leurs magasins et les actes relatifs à leurs entreprises, flétrit et décourage ce commerce par la défiance qu'une telle précaution suppose de la part du Gouvernement; par l'appui qu'elle donne aux soupçons injustes du Peuple; surtout parce qu'elle tend à mettre continuellement la matière de ce commerce, et par conséquent la fortune de ceux qui s'y livrent, sous la main d'une autorité qui semble s'être réservé le droit de les ruiner et de les déshonorer arbitrairement;

Que ces formalités avilissantes écartent nécessairement de ce commerce tous ceux d'entre les Négocians qui par leur fortune, par l'étendue de leurs combinaisons, par la multiplicité de leurs correspondances, par leurs lumières et l'honnê

teté de leur caractère, seroient les seuls propres à procurer une véritable abondance:

Que la défense de vendre ailleurs que dans les marchés surcharge, sans aucune utilité, les achats et les ventes des fraix de voiture au mar ché, des droits de hallage, magasinage et autres également nuisibles au Laboureur qui produit, et au Peuple qui consomme;

Que cette défense, en forçant les Vendeurs et les Acheteurs à choisir pour leurs opérations les jours et les heures des marchés, peut les rendre tardives, au grand préjudice de ceux qui attendent, avec toute l'impatience du besoin, qu'on leur porte la denrée;

Qu'enfin, n'êtant pas possible de faire dans les marchés aucun achat considérable, sans y faire hausser extraordinairement les prix et sans y produire un vuide subit qui, répandant l'alarme, soulève les esprits du Peuple; défendre d'acheter hors des marchés, c'est mettre tout Négociant dans l'impossibilité d'acheter une quantité de grains suffisante pour secourir d'une manière efficace les Provinces qui sont dans le besoin; d'où il résulte que cette défense équivaut à une interdiction absolue du transport et de la circulation des grains d'une Province à T'autre ;

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Qu'ainsi, tandis que l'arrêt du 23 décembre 1770 assuroit expressément la liberté du trans port de Province à Province, il y mettoit par ses autres dispositions un obstacle tellement invincible, que depuis cette époque le commerce a perdu toute activité, et qu'on a été forcé de recourir, pour , pour y suppléer, à des moyens extraordinaires, onéreux à l'État, qui n'ont point rempli leur objet et qui ne peuvent, ni ne doivent être continués.

Ces considérations mûrement pesées ont déterminé Sa Majesté à remettre en vigueur les principes établis par la déclaration du 25 mai 1763; à délivrer le commerce des grains des formalités et des gênes auxquelles on l'avoit depuis assujetti par le renouvellement de quelques anciens réglemens; à rassurer les Négocians contre la crainte de voir leurs opérations traversées par des achats faits pour le compte du Gouvernement. Elle les invite tous à se livrer à ce commerce: Elle déclare que son intention est de les soutenir par sa protection la plus signalée; et pour les encourager d'autant plus à augmenter dans le Royaume la masse des subsistances, en y introduisant des grains étrangers, elle leur assure la liberté d'en disposer à leur gré; Elle veut s'interdire à Elle-même et à ses

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