Page images
PDF
EPUB

ou la police correctionnelle. Si le Gouvernement traînait devant les tribunaux les étudiants qui font du tapage ou des émeutes, on se plaindrait avec raison de cette rigueur; si on ne leur appliquait pas une peine disciplinaire, de quel droit prétendraient-ils à l'impunité, et combien de parents, dans ces conditions, consentiraient à envoyer leurs fils aux écoles? La juridiction disciplinaire est donc une nécessité non moins qu'un bienfait; et s'il n'y avait pas derrière ce qu'on appelle « les Écoles » une foule d'hommes de désordre qui les excitent et les exploitent, on verrait à quoi se réduit le nombre des étudiants qui se plaignent de la discipline ou plutôt, qui savent qu'il existe quelque part un pouvoir disciplinaire.

Nous rapportons ici les dispositions de l'ordonnance du 5 juillet 1820, commune aux étudiants en droit et aux étudiants en médecine. A l'égard de ces derniers, cette ordonnance, dont nous avons eu l'occasion de parler au sujet de la discipline des professeurs de médecine, contient des dispositions qui sont encore en vigueur nous les rapporterons à la suite des premières.

L'art. 14 de l'ordonnance de 1820 assure, par une sanction pénale, l'assiduité aux cours « Tout étudiant qui aura manqué à l'appel deux fois dans un trimestre et dans le même cours, sans excuse valable et légitime, ne pourra recevoir de certificat d'assiduité du professeur dudit cours. »

Et l'art. 10 punit de la perte d'une inscription tout étudiant convaincu d'avoir répondu pour un autre.

«Tout étudiant convaincu d'avoir pris sur le registre une inscription pour un autre étudiant perdra toutes les inscriptions prises par lui, soit dans la Faculté où le délit aura été commis, soit dans toute autre, sans préjudice des peines prononcées pour ce cas par le Code pénal. La punition sera décernée par une délibération de la Faculté : elle sera définitive. >>

L'art. 17 est relatif à la discipline intérieure: il dispose:

[ocr errors]

« Tout manque de respect, tout acte d'insubordination, de la part d'un étudiant envers son professeur ou envers le chef de l'établissement, sera puni de la perte d'une ou de deux inscriptions; la punition sera prononcée, dans ce cas, par une délibération de la Faculté, qui sera définitive. La Faculté pourra, néanmoins, prononcer une punition plus grave à raison de la nature de la faute; mais alors l'étudiant pourra se pourvoir par-devant le conseil académique.—En cas de récidive, la punition sera l'exclusion de la Faculté pendant six mois au moins et deux ans au plus; elle sera prononcée par délibération de la Faculté, et sauf le pourvoi devant le conseil académique.-La même punition sera appliquée dans la même forme à tout étudiant qui sera convaincu d'avoir cherché à exciter les autres étudiants aux troubles ou à l'insubordination dans l'intérieur des écoles. S'il y a eu quelque acte illicite commis par suite desdites instigations, la punition des instigateurs sera l'exclusion de l'académie; elle sera prononcée par le conseil académique. »

L'art. 20, en interdisant aux étudiants toute association non autorisée, ne fait que relever comme fait disciplinaire un délit punissable par la loi pénale quand l'association est de plus de vingt personnes. Sans doute, même au-dessous de ce nombre, l'association entre étudiants constitue un fait disciplinaire; mais le motif est le même et justifie la disposition dont il s'agit. Elle est ainsi conçue :

« Il est défendu aux étudiants, soit d'une même Faculté, soit de diverses Facultés de différents ordres, de former entre eux aucune association sans en avoir obtenu la permission des autorités locales et en avoir donné connaissance au recteur de l'académie ou des académies dans lesquelles ils étudient. Il leur est pareillement défendu d'agir ou d'écrire en nom collectif, comme s'ils formaient une corporation ou association légalement reconnue. En cas de contravention aux dispositions précédentes, il sera instruit contre les contrevenants par les conseils académiques, et il pourra être prononcé les punitions déterminées par les art. 19 et 20, en se conformant à tout ce qui est prescrit par ces mêmes articles. » Les mêmes observations s'appliquent aux art. 18 et 19 qui punissent disciplinairement l'étudiant qui se sera mêlé à des troubles ou à des désordres publics ou à des rassemblements illégaux:

<< Tout étudiant convaincu d'avoir, hors des écoles, excité des troubles ou pris part à des désordres publics ou à des rassemblements illégaux, pourra, par mesure de discipline et à l'effet de prévenir les désordres que sa présence pourrait occasionner dans les écoles, et suivant la gravité des cas, être privé de deux inscriptions au moins et de quatre au plus, ou exclu des cours de la Faculté et de l'académie dans le ressort de laquelle la faute aura été commise, pour six mois au moins et pour deux ans au plus. Ces punitions devront être prononcées par le conseil académique. Dans le cas d'exclusion, l'étudiant exclu pourra se pourvoir devant la commission de l'instruction publique, qui y statuera définitivement.

«En cas de récidive, il pourra être exclu de toutes les académies, pour le même temps de six mois au moins et de deux ans au plus. L'exclusion de toutes les académies ne pourra être prononcée que par la commission de l'instruction publique, à laquelle l'instruction de l'affaire sera renvoyée par le conseil académique. L'étudiant pourra se pourvoir contre le jugement devant notre Conseil d'État. »

Telles sont les mesures disciplinaires communes aux étudiants des deux Facultés.

L'ordonnance du 2 février 1823, s'inspirant à l'égard des étudiants en médecine des sentiments de défiance qu'un certain parti nourrissait alors contre la Faculté de Paris, a ajouté, aux incriminations disciplinaires établies par l'ordonnance de 1820, d'autres incriminations spéciales aux étudiants en médecine.

L'art. 33 de l'ordonnance de 1823 réprime un abus en faveur duquel personne ne peut réclamer: c'est celui qui consiste à prêter sa carte d'étudiant. Il y a certains cours, certaines salles où les étudiants ne sont admis que sur la présentation de leur carte: c'est une mesure d'ordre que la nature des études médicales rend plus indispensable que partout ailleurs. Une autre raison justifie encore cette mesure: c'est que, dans certaines circonstances, les cours deviennent un rendezvous de désordre pour des turbulents qui, étrangers aux écoles, vont se mêler aux véritables étudiants et les associent malgré eux aux manifestations qu'ils sont venus faire. Pour prévenir cette intrusion, les professeurs font exiger la carte de tous ceux qui se présentent pour entrer au cours : mais on s'est aperçu, en mainte occasion, que des perturbateurs s'introduisaient dans les cours à l'aide de cartes. prêtées, et c'est pour remédier à cela que l'art. 33 dispose: «Tout étudiant qui

aura donné à une autre personne sa carte d'inscription ou l'autorisation qu'il aura reçue, encourra la perte d'une ou de plusieurs inscriptions, ou même son exclusion de la Faculté, si cette transmission a servi à produire du désordre. »

L'art. 35 de l'ordonnance de 1823 est relatif à une simple mesure d'ordre, qui ne peut donner lieu à aucune observation: cet article dispose:

<«< Toutes les fois qu'un cours viendra à être troublé soit par des signes d'approbation ou d'improbation, soit de toute autre manière, le professeur fera immédiatement sortir les auteurs du désordre, et les signalera au doyen, pour provoquer contre eux telle peine que de droit. S'il ne parvient point à les connaître, et qu'un appel au bon ordre n'ait pas suffi pour le rétablir, la séance sera suspendue et renvoyée à un autre jour, - si le désordre se reproduit aux séances subséquentes, les élèves de ce cours encourront, à moins qu'ils ne fassent connaître les coupables, la perte de leur inscription, sans préjudice des peines plus graves, si elles devenaient nécessaires. >>

Enfin, dans l'art. 36, nous retrouvons, réunis à la répression des actes de désordre, l'incrimination que l'art. 30 de la même ordonnance appliquait aux professeurs de médecine.

Nous avons montré qu'en ce qui concerne les professeurs la loi du 15 mars 1850 avait abrogé cet article, parce qu'il a substitué une compétence, une procédure et des peines disciplinaires nouvelles, à celles de l'ordonnance de 1823.

Mais il n'en est pas de même à l'égard des étudiants, puisque aucun acte législatif ou administratif n'est venu abroger ni modifier cette ordonnance, dont l'art. 36 est demeuré en pleine vigueur. Voici le texte de cet article :

<< Il y aura lieu, selon la gravité des cas, à prononcer l'exclusion, à temps ou pour toujours, de la Faculté, de l'académie, ou de toutes les académies du royaume, contre l'étudiant qui aurait, par ses discours ou par ses actes, outragé la religion, les mœurs ou le Gouvernement, qui aurait pris une part active à des désordres, soit dans l'intérieur de l'école, soit au dehors, ou qui aurait tenu une conduite notoirement scandaleuse. >>

Rappelons que l'ordonnance du 2 février 1826 déclare cet article applicable aux élèves de toutes les Facultés de France.

Nous avons présenté plus haut, au sujet des professeurs de l'École de médecine, des observations sur la portée des incriminations de l'art. 30, et sur l'esprit de défiance qui en avait dicté les termes. On ne peut s'empêcher de reconnaître que l'art. 36, inséré dans la même ordonnance et rédigé à peu de chose près dans les mêmes termes, est inspiré des mêmes sentiments.

Cependant nous osons dire que, malgré l'analogie des deux articles, le maintien de l'art. 36 à l'égard des étudiants peut très-bien se justifier, quoique les mêmes incriminations ne soient plus en vigueur contre les professeurs.

La position d'un professeur de médecine, en effet, demande une liberté toute spéciale, parce que la science qu'il enseigne est une de celles qui touchent le plus souvent à des points tranchés par le dogme, sans qu'il soit possible, quelque réserve qu'on y mette, d'accorder toujours la science avec l'orthodoxie. Sous un gouvernement qui admet une religion de l'État, une disposition telle que celle de l'art. 30 de l'ordonnance de 1823 était une véritable épée de Damoclès suspendue

au-dessus de toutes les chaires de médecine, et menaçant du même coup le professeur et la science qu'il enseignait. Nous avons fait remarquer d'ailleurs que le danger de pareilles incriminations était dans les arrière-pensées cachées derrière des définitions vagues: mais nous avons eu soin de faire voir en même temps. qu'au fond les obligations imposées aux professeurs sous la sanction de peines si rigoureuses n'en faisaient pas moins partie intégrante de leurs devoirs, puisque personne n'osera soutenir qu'ils puissent impunément dire du haut de leur chaire ce qu'ils ne pourraient dire, comme simples particuliers, sans s'exposer à des poursuites.

Un étudiant en médecine n'est pas dans les mêmes conditions. Il n'a pas d'enseignement à donner, et son âge lui commande, dans ses actes et dans sa vie publique, d'autant plus de réserve que l'étude est le premier de ses devoirs et doit passer pour lui avant tout. Il fait partie d'un corps organisé par l'État afin de lui donner un enseignement, des moyens d'études et finalement un titre honorable, pour exercer une profession plus honorable encore. Mais s'il abuse, dans un intérêt d'opinion, de l'influence que peut lui donner sur certaine partie du public son agrégation à ce grand corps, loin de faire un acte honorable, il manque à la délicatesse. Car, on aura beau dire, qui accepte s'engage; et pour avoir le droit de s'affranchir de tout devoir envers le Gouvernement, il faut commencer par lui rendre ce qu'on a reçu de lui à des conditions qu'on n'ignorait pas. Qu'un étudiant quitte l'école pour se livrer à la vie politique, s'il trouve là sa vocation, il n'y a rien à redire à cela: mais qu'il abuse de sa qualité d'étudiant pour donner de l'autorité à ses actes politiques, je ne vois rien là de noble ni de généreux.

Le droit de discipline établi par l'art. 36 se justifie donc dès qu'il est dégagé de l'influence sous laquelle avait été portée l'ordonnance de 1823. Au fond, les devoirs qu'il impose aux étudiants ne diffèrent pas de ceux imposés par la loi à tous les citoyens.

Dans une affaire qui a eu un grand retentissement, l'Académie de Paris a eu à statuer sur la question de savoir si l'action disciplinaire pouvait atteindre des faits commis hors du territoire français. Par sa décision du 12 décembre 1865, elle a résolu affirmativement la question et elle a prononcé des peines disciplinaires. Cette décision nous paraît à l'abri de toute critique, le pouvoir disciplinaire étant, par sa nature, un véritable statut personnel qui suit le Français à l'étranger. Pourrait-on admettre qu'il suffit à un fonctionnaire public, à un militaire, à un officier public, de passer la frontière pour pouvoir, là étant, violer impunément tous ses devoirs politiques et professionnels, sauf à revenir ensuite reprendre possession de ses fonctions, sans qu'on pût lui demander compte de faits qui, commis en France, auraient entraîné sa révocation?

Ou il faut admettre cela, ou il faut reconnaître le bien-fondé de la décision de l'Académie de Paris.

Dans sa séance du 27 décembre 1865, le Conseil impérial de l'instruction publique a confirmé cette décision, et le Conseil d'État, par décision du 27 juillet 1866, approuvée par un décret du 14 août suivant, a rejeté le pourvoi des étudiants condamnés.

[blocks in formation]
[ocr errors]

Des crieurs et des chanteurs sur la voie publique. Jusqu'ici la loi pénale n'a régi, dans la propriété littéraire et dans l'instruction publique, que les sources de la pensée : elle a réglé les droits respectifs de l'auteur et de la société sur les fruits du patrimoine intellectuel que l'un et l'autre cultivent en commun; elle a pourvu à ce que rien ne pût empêcher la jeunesse d'y venir prendre sa part.

Si la pensée pouvait demeurer enfermée dans les pages d'un livre ou dans les murs d'une école, le rôle de la loi serait fini. Mais la pensée n'est vivante qu'à la condition de se manifester au dehors, et l'homme ne penserait pas s'il ne pouvait communiquer ses idées aux autres hommes. La conversation privée ne lui suffit que pour les sujets d'un intérêt restreint une idée générale vient-elle à le dominer, il lui faut la parole publique, et lorsqu'il parle, il peut, par un scul discours, par une phrase, par un cri, agir d'un seul coup sur des milliers d'auditeurs. De là des moyens d'action très-puissants soit pour le bien soit pour le mal. L'usage de la publicité met à la disposition de l'orateur, du crieur, du chanteur, une force à laquelle ceux qui l'écoutent ne peuvent rien opposer, à moins de l'interrompre mais tant qu'on le laisse parler, il émet ses idées sans résistance et sans objection.

Or cette force ne peut être laissée à la disposition du premier venu. Il ne suffira pas qu'un agent de police soit là pour prendre note des paroles immorales ou séditieuses à mesure que l'orateur les prononcera, pour en faire plus tard l'objet d'une poursuite; il faudra qu'à défaut d'un des auditeurs, ce soit l'agent qui l'interrompe. Et si l'orateur continue, il faudra bien que l'agent l'arrête pour l'empêcher de continuer.

C'en serait assez dans une petite bourgade où l'on n'aurait pas à craindre de voir se renouveler trop souvent des scènes de cette nature: mais ne voit-on pas que, dans un grand État où tout est proportionné, un tel régime serait impraticable, à moins de préposer un agent à la surveillance de chaque crieur ou chanteur en plein vent?

Aussi que fait-on? On établit une police spéciale à l'effet de prévenir autant que possible les infractions. On craint que les chanteurs n'aillent débiter sur les places publiques des chansons immorales ou séditieuses; que les crieurs n'annoncent des nouvelles mensongères ou alarmantes on les soumet les uns et les autres à une autorisation préalable; on veut savoir qui ils sont, où ils demeurent, ce qu'ils chanteront ou crieront. Et tout le monde trouve cela très-juste et très-sage, parce que ces gens-là, qui ne font que crier ou chanter, ne savent pas faire d'autre bruit dans le monde et n'ont pas de journaux à leur disposition.

Peut-être, dans ce que nous venons de dire, avons-nous un peu anticipé sur un ordre d'idées qui sera mieux à sa place lorsque nous exposerons les lois pénales. en matière de presse proprement dite mais aussi bien nous sommes déjà en

:

« PreviousContinue »