Page images
PDF
EPUB

pénales ordinaires, que peuvent commettre des individus ne faisant pas partie de l'armée de terre ou de mer.

Nous sommes conduits maintenant, par une transition toute naturelle, aux crimes et délits militaires, qui vont faire l'objet des titres ci-après. Commandement militaire pris ou retenu sans autorisation. En tête de toutes les dispositions pénales établies pour sanctionner le grand principe social de la force armée, et les dominant de toute la hauteur du pouvoir souverain dont il assure les droits, l'art. 93 du Code pénal punit ainsi l'usurpation du commandement de la force armée : « Ceux qui, sans droit ou motif légitime, auront pris le commandement d'un corps d'armée, d'une troupe, d'une flotte, d'une escadre, d'un bâtiment de guerre, d'une place forte, d'un poste, d'un port, d'une ville ;Ceux qui auront retenu, contre l'ordre du Gouvernement, un commandement militaire quelconque; - Les commandants qui auront tenu leur armée ou troupe rassemblée, après que le licenciement ou la séparation en auront été ordonnés, seront punis de la peine de mort ».

Il importe de rapprocher de cet article l'art. 6 de la Constitution du 14 janvier 1852, virtuellement maintenu par l'art. 7 du sénatus-consulte du 7 novembre suivant, qui a rétabli l'Empire. L'art. 6 de la Constitution de 1852 est ainsi

conçu :

« Le président de la République est le chef de l'État; il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois, fait les règlements et décrets nécessaires pour l'exécution des lois ».

La première condition de cette incrimination, condition d'ailleurs commune à tous les crimes, est que le fait de prendre ou de retenir un commandement militaire ait été accompagné d'une intention criminelle.

Dans trois dispositions distinctes, l'art. 93 prévoit successivement trois espèces de ce crime l'usurpation du commandement d'une force armée, d'une place de guerre, d'une flotte ou d'un vaisseau; le fait de retenir, contre l'ordre du Gouvernement, un commandement militaire quelconque, ce qui comprend même un commandement en sous-ordre; enfin le fait de tenir une armée ou une troupe rassemblée, après que le licenciement ou la séparation en auront été ordonnés. Levée de troupes sans autorisation.-L'art. 92 du Code pénal dispose: « Seront punis de mort ceux qui auront levé ou fait lever des troupes armées, engagé ou enrôlé, fait engager ou enrôler des soldats, ou leur auront fourni ou procuré des armes ou munitions sans ordre ou autorisation du pouvoir légitime ».

Cet article est le complément de l'art. 93; il ne suffisait pas de réserver à l'Empereur le commandement des forces de terre ou de mer; il fallait encore empêcher que des troupes armées ne pussent être levées sans ordre ou sans autorisation du pouvoir légitime, qui seul a le droit d'en organiser.

Cette incrimination nous conduit, par une transition naturelle, aux lois sur le recrutement, qui vont faire l'objet des articles suivants. Elle ne doit pas être confondue avec l'organisation de bandes armées ni avec les attroupements, infractions dont nous avons suffisamment fait ressortir ailleurs les caractères propres.

TITRE II. Recrutement.

Du recrutement. - La loi du 1er février 1868, en modifiant les conditions du recrutement de l'armée, a maintenu les dispositions pénales établies par la loi du 21 mars 1832 pour réprimer la fraude.

Nous allons exposer ces incriminations, seule partie des lois d'organisation militaire qui se rapporte à notre sujet. Cette partie de notre travail nous montrera la loi pénale procédant, pour assurer l'existence ou plutôt la formation de l'armée, comme elle l'a fait pour assurer l'existence de l'homme et la formation de la famille, de l'autorité, du pouvoir, de l'État, de tous ces grands corps enfin dont l'ensemble constitue la société des hommes. Dans la suite de ce travail, nous retrouverons la loi pénale étendant sa sollicitude sur les armes, sur la subsistance des armées; entourant de sa protection jusqu'aux forteresses elles-mêmes, enfin disciplinant, par des châtiments justes et sévères, ces masses formidables d'hommes armés qui gardent le drapeau de la France.

Les art. 38 à 43 de la loi du 21 mars 1832 contiennent les dispositions pénales en matière de recrutement; nous allons exposer ces incriminations.

Omission d'un jeune homme sur les tableaux de recensement, par suite de fraudes ou manœuvres. — « Toutes fraudes ou manœuvres par suite desquelles un jeune homme aura été omis sur les tableaux de recensement, seront déférées aux tribunaux ordinaires, et punies d'un emprisonnement d'un mois à un an. Le jeune homme omis, s'il a été condamné comme auteur ou complice desdites fraudes ou manœuvres, sera, à l'expiration de sa peine, inscrit sur la liste du tirage, ainsi que le prescrit l'art. 11 » (art. 38).

Cette incrimination devait naturellement être placée en première ligne, puisque les tableaux de recensement sont la base même du recrutement.

Le fait matériel qui la constitue, c'est l'omission sur les tableaux; mais cette omission n'est punissable qu'autant qu'elle aura eu lieu par suite de fraudes ou de manœuvres. La loi ne dit pas ce qu'il faut entendre par là: c'est donc au juge à apprécier. On peut remarquer que la fraude pourra se constituer par le seul fait de l'omission volontaire, et qu'à cet égard il suffira dans certains cas que l'intention de l'agent soit constatée. La fraude pourra d'ailleurs, aussi bien que les manœuvres, consister dans des actes, dans des paroles, dans des écrits, dans toute combinaison de moyens frauduleux ou artificieux tendant à empêcher l'inscription sur les tableaux.

Mais ce qu'il importe par-dessus tout de remarquer, c'est que la fraude, les manœuvres ne sont pas punissables par elles-mêmes, et qu'elles ne sont que le mode de perpétration du délit; car le délit n'existe pas si la fraude ou les manœuvres n'ont pas eu pour effet de faire omettre le nom de l'appelé. Et comme, en matière de délit, il n'y a de tentative punissable que celle qui est expressément

incriminée par la loi, la fraude ou les manœuvres ne pourraient être considérées comme la tentative du délit.

Au surplus l'art. 38 n'absorbe pas dans son action tous les crimes ou délits qui pourraient se rattacher à l'omission d'un jeune homme sur les tableaux de recensement l'art. 46 de la loi, en déclarant que les tribunaux civils et militaires appliqueront les lois ordinaires aux délits auxquels pourra donner lieu l'exécution de la loi sur le recrutement et qui ne seraient pas prévus par les dispositions précédentes, l'art. 46 a réservé l'application des lois sur le faux, par exemple, sur la destruction des actes et registres de l'autorité publique, dans le cas où ces faits deviendraient des moyens d'action pour arriver à empêcher l'inscription sur les tableaux de recensement: car si l'art. 48 est applicable dans le cas où l'omission a été réalisée par suite de fraudes ou par suite de manœuvres, il ne l'est point dans le cas où cette omission aura été réalisée par d'autres moyens.

L'art. 463 du Code pénal est applicable, d'après l'art. 46 de la loi.

Recel d'un insoumis, ou fait de le prendre à son service.-Le § 1er de l'art. 40 dispose : « Quiconque sera reconnu coupable d'avoir recélé ou d'avoir pris à son service un insoumis, sera puni d'un emprisonnement qui ne pourra excéder six mois. Selon les circonstances, la peine pourra être réduite à une amende de 20 fr. à 200 fr. »

Quoique le texte ne le dise pas expressément, le fait de recéler un insoumis ou de le prendre à son service n'est punissable qu'autant qu'il a eu lieu sciemment, c'est-à-dire avec connaissance de l'état de l'insoumis. Cette condition est nécessaire dans les deux cas prévus par l'art. 40, et elle suffira pour constituer l'agent en mauvaise foi, car il ne serait pas reçu à alléguer qu'il ignorait que la loi défend de recéler ou de prendre à son service un insoumis connu pour tel nul n'est censé ignorer la loi.

Dans le cas de recel, il ne suffit pas que l'agent ait connu la qualité de l'insoumis il faut encore qu'il l'ait recélé volontairement, puisqu'il n'y a pas de délit sans intention criminelle.

Au surplus, dans les deux cas prévus par le § 1er de l'art. 40, le texte luimême résume les observations ci-dessus en un seul mot, celui de «< coupable »>, qui a été employé à dessein par le législateur.

Ainsi se trouvent prévus, dans ce paragraphe et dans les autres parties de l'art. 40, les infractions dont la tendance est de favoriser l'insoumission. L'article 39, qui punissait l'insoumission en elle-même, dans la personne de l'insoumis, est aujourd'hui remplacé par l'art. 230 du Code de justice militaire pour l'armée de terre.

L'art. 40 ajoute, dans son § 4: «Si le délinquant est fonctionnaire public, employé du Gouvernement, ou ministre d'un culte salarié par l'État, la peine pourra être portée jusqu'à deux années d'emprisonnement, et il sera en outre condamné à une amende qui ne pourra excéder 1,000 fr. »

Connivence à l'évasion d'un insoumis. Dans son § 2, l'art. 40 prévoit une autre espèce d'infraction, qui consiste à favoriser l'évasion d'un insoumis : « Quiconque sera convaincu d'avoir favorisé l'évasion d'un insoumis, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an».

Le mot « évasion » ne doit pas s'entendre ici seulement du fait, par l'insoumis, de s'échapper d'une prison ou des mains de la force publique où il serait retenu; il comprend d'une manière générale, et les actes par lesquels l'insoumis se dérobe aux recherches de l'autorité, et l'état d'insoumission en lui-même. Il ne faut pas confondre ce fait avec l'évasion de détenus prévue et punie par le Code pénal; et de là suit que les incriminations des art. 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243 et 244 sur l'évasion de détenus ne paraissent pas pouvoir s'appliquer aux individus qui auraient fait ou laissé évader des insoumis.

La loi punit « quiconque sera convaincu d'avoir favorisé l'évasion d'un insoumis». La connivence dont il s'agit ici est un fait principal, qui prend ses caractères en lui-même, et qui dès lors n'est pas régi par la définition que donnent de la complicité les art. 59 et suivants du Code pénal ordinaire.

Le juge du fait aura donc à décider simplement en fait si le prévenu a « favorisé » l'évasion, et il devra condamner si les débats lui fournissent les éléments d'une décision affirmative, quels qu'aient pu être d'ailleurs les moyens d'assistance ou de connivence mis en œuvre pour favoriser l'évasion.

Aux termes du § 4, la peine est aggravée si le coupable est fonctionnaire public ou ministre d'un culte salarié par l'État.

Empêchement ou retard, par des manœuvres coupables, du départ des jeunes soldats. Le § 3 de l'art. 40 est ainsi conçu : « La même peine sera prononcée contre ceux qui, par des manœuvres coupables, auraient empêché ou retardé le départ des jeunes soldats ».

Ce texte réprime indifféremment l'empêchement ou le retard apportés au départ des jeunes soldats. Il ne s'agit plus d'insoumis, mais de jeunes soldats se disposant à partir, et dont l'agent retarde ou empêche le départ. La loi ne tient compte ni de la durée du retard ni du nombre des jeunes soldats; elle ne dit pas davantage que l'empêchement doive être définitif, de sorte qu'on peut dire que l'incrimination consiste à mettre obstacle au départ.

Le délit n'existe d'ailleurs qu'autant que le fait a été commis « par des manœuvres coupables », et sur cet élément du délit la loi ne s'explique pas non plus. Ce sera donc au juge à apprécier ce qu'on doit entendre par «< manœuvres coupables ». Tout fait commis avec intention dans le but de retarder ou d'empêcher le départ pourra réaliser la circonstance que nous recherchons : tels seraient les cris, les démonstrations, les fausses nouvelles, les faux bruits, aussi bien que les actes matériels de violence, mis en usage dans le but défini par la loi: car tous ces faits, inspirés et dirigés par l'intention « coupable » dont le texte a pris soin de spécifier le caractère, sont des manœuvres puisqu'ils sont des moyens combinés pour atteindre le but que s'est proposé l'agent.

La peine est d'un emprisonnement d'un mois à un an. Aux termes du § 4, la peine est aggravée si le coupable est fonctionnaire public ou ministre d'un culte salarié par l'État.

Fait ou tentative, par des jeunes gens appelés à faire partie du contingent ou par de jeunes soldats non encore mis en activité, de se rendre temporairement ou définitivement impropres au service. - L'art. 41, dans ses trois premiers paragraphes, prévoit et punit le fait, par de jeunes soldats, de se rendre temporaire

ment ou définitivement impropres au service militaire. Cet article dispose : « Les jeunes gens appelés à faire partie du contingent de leur classe qui seront prévenus de s'être rendus impropres au service militaire, soit temporairement, soit d'une manière permanente, dans le but de se soustraire aux obligations imposées par la présente loi, seront déférés aux tribunaux par les conseils de révision, et s'ils sont reconnus coupables, ils seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an. Seront également déférés aux tribunaux, et punis de la même peine, les jeunes soldats qui, dans l'intervalle de la clôture du contingent de leur canton à leur mise en activité, se seront rendus coupables du même délit. - A l'expiration de leur peine, les uns et les autres seront à la disposition du ministre de la guerre pour le temps que doit à l'État la classe dont ils font partie. La peine portée au présent article sera prononcée contre les complices

[ocr errors]

On sait quelle fécondité d'imagination déploient les appelés, ou ceux auxquels ils ont recours, pour se soustraire, par des infirmités réelles ou simulées, à l'obligation du service militaire. C'est au point qu'on en est venu à écrire des traités spéciaux sur ces fraudes, que l'insuccès ne décourage pas.

Aux termes de la loi de 1832, il faut, pour l'application de la peine, que l'agent se soit effectivement rendu impropre, pour un temps ou pour toujours, au service militaire. La pratique a cependant fait voir que l'impunité laissée à la tentative de ce délit avait pour résultat d'encourager la fraude, puisque le pis qui pût arriver était de ne pas réussir. Pour mettre un terme à cet état de choses, on a introduit dans le Code de justice militaire pour l'armée de terre, du 9 juin 1857, sous le n° 270, un article ainsi conçu : « Les peines prononcées par les art. 41, 43 et 44 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrutement de l'armée, sont applicables aux tentatives des délits prévus par ces articles, quelle que soit la juridiction appelée à en connaître. Dans le cas prévu par l'art. 45 de la même loi, ceux qui ont fait des dons et promesses sont punis des peines portées par ledit article contre les médecins, chirurgiens ou officiers de santé ».

Ainsi, désormais, la tentative du délit est punissable comme le délit lui-même. Quant au fait matériel, il est du ressort exclusif de la médecine légale et des conseils de révision. Les règlements déterminent les cas d'inaptitude, le chirurgien les constate, et le conseil de révision prononce en conséquence. La décision du conseil est donc la base de la poursuite, et il n'appartient pas aux tribunaux de répression de la contrôler.

Mais il est un élément du délit qu'il appartient au juge d'examiner c'est la question de savoir si le fait, tenu pour constant, a été commis dans le but d'éviter le service militaire; c'est à cette scule condition que le prévenu pourra, suivant l'expression de l'art. 41, être reconnu coupable.

Dans son § 3, le texte déclare les complices du délit passibles des mêmes peines que les auteurs principaux. On a voulu par là prévenir toute difficulté sur l'application d'un principe qui régit d'ailleurs toute la répression pénale. Nous allons voir toutefois que, par son § 4, l'art. 41 a établi un ordre de pénalités particulier pour le cas où les complices, à raison de leur profession, ont paru devoir être punis plus sévèrement.

Les éléments de la complicité doivent être, pour ce délit comme pour tous ceux

« PreviousContinue »