Page images
PDF
EPUB

privée de ses nationaux à l'étranger, mais c'est là l'exercice d'une faculté naturelle qu'il partage avec le public: peut-on supposer un instant qu'il s'agisse ici de pareille chose? Évidemment non, et les mots « actes non approuvés par le Gouvernement >> supposent nécessairement qu'il a eu à statuer officiellement sur la légitimité de ces actes.

Or quels sont les cas où le Gouvernement peut être appelé à se prononcer, soit en approuvant soit en improuvant? On n'en conçoit guère que deux ou bien un de ses agents aura commis à l'étranger un acte qu'il désapprouve; ou bien un de ses nationaux aura commis envers un sujet étranger un acte qui aura donné lieu à des plaintes, à des réclamations, et qu'après examen il aura désapprouvé.

Dans le premier cas, comme l'acte a émané d'un agent revêtu d'un caractère officiel, le grief est en quelque sorte affaire internationale, et n'y eût-il qu'une seule personne de lésée que l'autre serait dans la catégorie de ceux que prévoit l'art. 85.

Dans le second cas, et quand bien même il ne s'agirait que d'un grief individuel, si ce grief a motivé une intervention et donné lieu à une décision du gouvernement français, l'affaire devient également internationale, et les actes désapprouvés peuvent constituer un élément d'incrimination.

Ainsi voilà la distinction : s'agit-il d'un acte d'un agent du Gouvernement, l'art. 85 est toujours applicable; s'agit-il d'un acte d'un particulier, cet article, en règle générale, ne peut être invoqué; mais si l'acte d'un particulier, ayant donné lieu à une plainte ou à une réclamation, a dû être soumis au jugement du gouvernement français, alors il y a une question de droit engagée, et l'art. 85 s'applique.

On peut donc résumer ce premier point en disant qu'il faut que l'acte incriminé donne lieu à une question de droit international.

Comme c'est l'atteinte aux relations pacifiques entre nos nationaux et les étrangers que le législateur a voulu punir, peu importent les conditions de lieu dans lesquelles le crime aura été commis. Ainsi, qu'un consul, par un acte arbitraire, ait exposé nos nationaux à des représailles, ou que ce soit un fonctionnaire public qui ait, dans l'exercice de ses fonctions en France, molesté un sujet étranger, soit que les représailles puissent être exercées à l'étranger ou en France sur nos nationaux, l'art. 85 est également applicable; on doit adopter les mêmes solutions pour le cas où ce serait un simple particulier qui, dans les conditions que nous avons indiquées plus haut, aurait donné lieu à un conflit international.

Tout cela établi, nous pouvons aborder la question de savoir quelle devra être la nature de l'acte incriminé, ou plutôt cette question se trouve résolue par ce que nous venons de voir, puisque c'est dans les circonstances qu'on devra chercher ce premier élément du crime. Appliquant cette théorie, il faut en déduire ce principe qu'il n'y a pas à se préoccuper, dans l'appréciation des actes tombant sous le coup de l'art. 85, de la catégorie dans laquelle ils sont placés par la loi pénale, ni même s'ils sont punissables au point de vue de cette loi, parce que l'art. 85 ne fait pas cette distinction et n'exige pas cette condition, et que d'ailleurs on peut citer bien des actes que la loi pénale n'atteint pas, et qui sont

cependant de nature à exaspérer l'offensé et à lui inspirer le désir de se venger, même sur des tiers, du mal qu'on lui aura fait.

D'un autre côté, il ne faudrait pas que l'acte fût de nature à exposer l'État à une déclaration de guerre, puisqu'on se trouverait dans le cas prévu par l'art. 85: et c'est là une autre condition qui circonscrit encore les limites de l'appréciation. Une fois la nature de l'acte déterminé, il faut, pour l'application de l'art. 85, que l'acte incriminé ait été de nature à attirer des représailles sur des Français. La loi n'exige pas qu'il en ait en effet attiré il suffit qu'il ait été de nature à produire ce résultat mais sur des Français, et non sur des étrangers ou même des alliés.

:

Lorsque les représailles ont eu lieu, la condition dont il est question se trouve plus que réalisée, et il n'y a pas à douter que l'acte ne fût de nature à produire ce que dans le fait il a produit: mais s'il n'y a pas eu de représailles, comment apprécier?

Ce sera encore une question de fait. S'il y a eu tentative de représailles, cette circonstance déjà pourra servir au juge à motiver sa décision; si les représailles ont été probables ou, ce qui suffirait, possibles, c'est ce que le juge aura à décider, d'après le temps, le lieu et les circonstances. Question difficile, sans doute, mais qu'il n'est pas absolument impossible de résoudre, et dont la solution sera d'ailleurs l'acquittement de l'accusé si le juge ne se croit pas en état de la décider d'après les circonstances de la cause.

Il faut enfin, pour que le crime défini par l'art. 85 soit établi, que les actes en question n'aient pas été approuvés par le Gouvernement. Ici l'appréciation du juge n'a rien à faire, et il faut qu'il lui soit justifié du défaut d'approbation du Gouvernement. Cette preuve, faisant partie des éléments de l'accusation, est à la charge de la partie poursuivante : le ministère public aura donc à la faire soit par des témoignages oraux soit par des pièces ou documents officiels émanant du Gouvernement lui-même. Sur la question de savoir si la qualité de Français est nécessaire dans la personne de l'agent, voyez l'article ci-après.

Actions hostiles non approuvées par le Gouvernement, et ayant exposé l'État à une déclaration de guerre, sans toutefois que la guerre s'en soit suivie. — L'art. 84 dispose : « Quiconque aura, par des actions hostiles non approuvées par le Gouvernement, exposé l'État à une déclaration de guerre, sera puni du bannissement; et si la guerre s'en est suivie, de la déportation ».

Ici se présente tout d'abord, comme pour le crime prévu par l'art. 85, la question de savoir si les actions dont il s'agit peuvent émaner d'un simple particulier, ou s'il faut que l'agent ait été revêtu, au moment du crime, d'un caractère officiel. On se demande en effet comment il pourrait arriver que des actions hostiles. émanant de simples particuliers pussent exposer l'État à une déclaration de guerre, puisque l'incrimination de l'art. 84 n'existe que si ces actions hostiles ont été désapprouvées par le Gouvernement. « Quelle est la nation », dit M. Morin dans son Répertoire (v° Actions hostiles), « qui, après ce désaveu, pourrait en vouloir tirer vengeance les armes à la main? »

Sans doute la nation qui agirait ainsi montrerait une susceptibilité barbare; mais la preuve que cela peut arriver, c'est que dans le même article la loi pré

voit formellement le cas où cela sera arrivé, et elle aggrave la peine en conséquence. On n'a d'ailleurs qu'à ouvrir l'histoire pour y trouver à chaque page des guerres engagées à la suite d'incidents de ce genre, malgré des offres de satisfactions très-suffisantes.

Il n'y a donc rien dans la loi qui autorise à exclure les actes des simples particuliers de la catégorie de ceux qui peuvent exposer l'État à une déclaration de guerre, et deux arrêts de la Cour de cassation, rapportés par M. Morin dans l'article que nous avons cité ci-dessus, ont reconnu le caractère d'actions hostiles punissables au fait, par un officier de la marine marchande française, d'avoir concouru, sur un corsaire colombien, à la capture d'un navire sarde; et à celui, par des sujets français, d'avoir exercé des violences contre un poste de la douane sarde, pour enlever des objets introduits en contrebande sur le territoire étranger et saisis par les préposés de la douane.

Cette doctrine confirme complétement ce que nous avons dit dans l'article précédent au sujet des actes exposant à des représailles : c'est que c'est le caractère de l'acte, son importance, et non pas seulement la qualité de son auteur, qui donne aux griefs de la nation lésée l'intensité nécessaire pour faire craindre ou pour provoquer de sa part une déclaration de guerre; et dès lors on peut appliquer ce que nous avons dit au sujet de l'art. 85, pour décider que si l'agent était un commandant militaire ou un fonctionnaire accrédité à l'étranger, cette qualité suffira pour donner à ses actes l'idonéité nécessaire pour constituer l'élément préjudiciel de la culpabilité; et que si l'agent n'est qu'un simple particulier, les circonstances dans lesquelles l'acte aura été commis serviront de règle d'appréciation.

Sur la nature des actions incriminées, la loi ne s'explique pas plus dans l'art. 84 que dans l'art. 85: mais elle en définit le caractère : « des actions hostiles ». Cette qualification ne peut suppléer sans doute à la définition qui serait donnée des circonstances matérielles de ces actions; il faut d'ailleurs reconnaître qu'une telle définition ne serait pas possible, puisqu'elle ne pourrait être complète qu'à la condition d'embrasser la nomenclature de tous les actes imaginables d'hostilité mais le mot « hostiles » porte avec soi une règle d'appréciation très-approximative, puisque le droit des gens détermine ce qui constitue des actes d'hostilité. Ainsi, pour tous les actes d'hostilité énorme, comme l'invasion du territoire, le combat sur terre ou sur mer, dont le caractère est universellement reconnu par tous les peuples civilisés, il n'y aura pas de difficulté: où cette difficulté commencera, c'est au sujet des actes dont le caractère hostile n'est pas apprécié uniformément par tous les peuples. Mais le fait, l'événement, servira de solution. Si la guerre a été déclarée, ce sera la preuve sans réplique que l'action qui y a donné lieu a été considérée comme hostile par la nation offensée; si, sans que la guerre ait eu lieu, cette nation a déclaré qu'elle voyait dans cette action un cas de guerre, l'action sera encore suffisamment caractérisée.

On peut donc résumer tout ce qui précède en disant que le crime prévu par l'art. 84 consiste à avoir donné lieu à un casus belli entre la France et une nation avec laquelle elle était en paix. Il est évident que si l'action hostile a été commise contre l'ennemi, au lieu d'un crime il y a un acte légitime.

L'art. 84, de même que l'art. 85, n'est applicable qu'à la condition que les actions hostiles aient été désapprouvées par le Gouvernement: s'il les approuve, il se les approprie; et le crime disparaît, on peut le dire, dans les plis du drapeau de la France.

Ce qui précède porterait à croire que la qualité de Français est nécessaire pour que le crime existe, car les actes d'un étranger n'engagent pas, en général, le gouvernement du pays dont il n'est que l'hôte; mais il ne paraît pas admissible que des actes d'hostilités commis par des sujets d'une puissance alliée coopérant avec la France, comme, par exemple, la légion étrangère, ou les cawas des consuls en Orient, n'engagent pas la responsabilité de la France. Nous pensons que la même solution doit s'appliquer aux actes pouvant exposer la France à des représailles. Quant à la preuve du défaut d'approbation des actions hostiles, nous ne pouvons que nous en référer à ce que nous avons dit sur ce point sur l'art. 85 du Code pénal.

Actions hostiles non approuvées par le Gouvernement, et ayant entraîné la guerre. Si la guerre a été déclarée à la suite des actions hostiles qu'il prévoit, l'art. 84 punit le coupable de la déportation.

Sauf cette circonstance, qui est un fait matériel et qui résout par là les questions relatives au caractère matériel ou moral de l'action, toutes les observations que nous venons de faire dans l'article précédent s'appliquent à ce crime.

Communication, aux agents d'une puissance neutre ou alliée, par un agent du Gouvernement, des plans des fortifications, arsenaux, ports ou rades dont le dépôt lui était confié à raison de ses fonctions. L'art. 81 du Code pénal est ainsi conçu « Tout fonctionnaire public, tout agent, tout préposé du Gouvernement, chargé, à raison de ses fonctions, du dépôt des plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades, qui aura livré ces plans ou l'un de ces plans à l'ennemi ou aux agents de l'ennemi, sera puni de mort. Il sera puni de la détention, s'il a livré ces plans aux agents d'une puissance étrangère neutre ou alliée ». Aux termes de l'art. 1o de la loi du 8 juin 1850, la peine de mort est aujourd'hui remplacée par celle de la déportation.

Nous ne nous occuperons ici que du cas prévu par le dernier paragraphe de cet article, celui prévu par le § 1o se rapportant à la guerre, qui fera le sujet d'un livre spécial.

Comme l'objectif principal de cette incrimination est le danger qui résulte pour la France de la communication des plans, le Code a employé, pour déterminer la qualité du coupable, un ensemble de désignations qui embrasse toutes les catégories possibles d'agents, depuis le fonctionnaire jusqu'au simple préposé : il n'y a donc pas à se préoccuper du degré que le coupable occupe dans la hiérarchie administrative ou militaire, pourvu qu'il en fasse partie.

Mais il ne suffit pas que le coupable occupe dans cette hiérarchie une place quelconque il faut que cette place ait pour attribution de surveiller, ou d'administrer, ou de garder le dépôt des plans qu'il a livrés à l'ennemi ou à l'étranger. Ici la trahison, c'est-à-dire la communication des secrets de la défense nationale, est aggravée de l'abus de confiance et du vol domestique qui en sont en quelque sorte les moyens d'exécution nécessaires; mais, tout en se réservant de punir la

communication de plans en elle-même et quand elle aura été commise sans la circonstance aggravante résultant de la qualité de l'agent, la loi s'est d'abord occupée du cas le plus grave et en même temps le plus dangereux, puisque les agents chargés de garder le dépôt des plans seront plus à même que personne de les livrer à l'ennemi ou à l'étranger.

Le fait n'étant punissable que si la livraison a été faite à l'étranger ou à l'ennemi, il s'ensuit que cette communication cessera d'être punissable si elle a été faite à d'autres que l'étranger ou l'ennemi. Il faut entendre ceci, non à la lettre, mais dans le sens loyal: une communication faite directement à un Français, mais destinée à être par cet intermédiaire transmise à l'étranger ou à l'ennemi, est en réalité faite à l'étranger ou à l'ennemi.

La communication de plans, ou le fait d'avoir livré ces plans, constitue un fait matériel, mais sur les caractères duquel il importe de ne pas se méprendre. Il ne faudrait pas, en effet, restreindre l'application de l'art. 81 au seul cas où l'agent aura pris un des plans dont le dépôt lui est confié, et l'aura donné ou transmis. Un plan n'est pas seulement une certaine feuille de papier sur laquelle sont représentées des fortifications ou des côtes; un plan est ce qu'il représente, c'est-à-dire le tracé graphique d'un système de défenses naturelles ou de fortifications construites: soit donc qu'il ait communiqué l'original du plan déposé, soit qu'il en ait délivré une copie entière ou partielle, soit qu'il en ait transmis même une description assez technique pour équivaloir à un plan, il n'est pas douteux que l'art. 81 ne trouve dans tous ces cas son application.

Il n'est question, dans le texte de l'art. 81, que des plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades. Il suit de là que la communication de plans de villes, ou de cartes militaires, ne serait pas punissable. En effet il est évident que le législateur n'a pu vouloir incriminer que la communication de plans non publics, mais que, quant à ceux qui sont livrés à la publicité, il n'y a pas songé.

Bien donc que l'art. 81 ne distingue pas, il faut, pour appliquer de bonne foi cet article, distinguer, parmi les plans déposés, entre ceux qui ont été publiés et ceux qui sont inédits. Les premiers sont dans le domaine public; si l'ennemi ou l'étranger en a connaissance, c'est le Gouvernement qui l'a permis, et dès lors on ne saurait imputer à crime le fait d'en procurer un exemplaire de plus pour les seconds, au contraire, ce sont de véritables secrets d'État, et c'est en vue de ces documents secrets que l'art. 81 a été édicté.

Ainsi, pour la détermination de cet élément du délit, le juge aura à examiner une question de fait, à savoir : si les documents communiqués sont publics. Et certainement, quand il serait constant qu'ils faisaient réellement partie du dépôt confié à la garde de l'agent, on ne pourrait le condamner s'il s'agissait de documents publics. Prenons pour exemple un garde du génie qui aura livré une ou plusieurs feuilles de la carte de France de l'état-major. C'est là une carte que tout le monde peut se procurer; et quelque blâmable, quelque coupable que soit le fait d'en fournir un exemplaire à une puissance étrangère ou ennemie, il faut reconnaître qu'il n'y a pas là un crime qui mérite la peine de mort ou celle de la détention.

Il est d'autant plus nécessaire d'admettre cette interprétation, qu'on ne sait

« PreviousContinue »