Page images
PDF
EPUB

jours en parfait accord avec l'esprit et les sentiments du pays et de l'époque où l'enfant est appelé à vivre. Celle-là se fait d'elle-même, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, parce qu'elle est dans le lait qu'on suce et dans l'air qu'on respire; et il n'est pas possible de l'empêcher, même quand on réussit à détourner la loi au profit de cette tentative insensée.

L'éducation nationale et la liberté de l'enseignement sont une seule et même chose, et qu'on ne peut séparer. La liberté de l'enseignement n'est donc pas le droit d'exploiter l'enfance au profit d'un parti : c'est le devoir de la tenir à l'abri de toute servitude intellectuelle.

Patrie et liberté, voilà ce que l'enseignement public doit donner. On lui a confié une créature libre et intelligente, pour la former, pour la développer, et non pour la comprimer dans un moule uniforme. L'avenir est à ces enfants, et nul n'a le droit de leur river au pied une chaîne, si légère et si douce qu'elle soit. Il faut faire des âmes, des cœurs, des caractères, des hommes enfin : rien de plus, et c'est assez. Que seront ces hommes, que penseront-ils, que feront-ils, c'est ce que personne ne peut prévoir, et dès lors toute compression, toute excitation exercée sur les idées de l'enfance est un attentat contre l'avenir.

Nous pouvons le dire avec orgueil s'il est un enseignement national et libre, c'est l'enseignement public de la France. Sous ce rapport nous n'avons rien à envier ni à l'Allemagne ni à la Suisse. Nos études secondaires sont moins fortes, notre instruction primaire est moins répandue, mais nous formons de bons Français et nous respectons les intelligences qu'on nous confie : la preuve, c'est que les seules familles qui nous refusent leurs enfants sont celles où l'on repousse les idées nationales et la liberté; la preuve encore, c'est que notre enseignement supérieur, par son élévation et son originalité, tient en Europe le même rang qu'y tient la France. Nous donnons à nos élèves moins de science que ne font les Allemands, mais nous préparons aussi fortement les intelligences, puisque nous fournissons à l'enseignement supérieur des hommes tout aussi distingués.

L'Université a traversé bien des orages mais ce qui l'a toujours sauvée, c'est qu'au fond, et en dépit des régimes d'oppression, d'indifférence, d'excitation, de suspicion, auxquels elle a été tour à tour soumise, elle est toujours restée française de cœur et libre de pensée. Cela lui a valu bien des mauvais jours, mais les pères de famille n'ont jamais cessé d'avoir confiance en elle. Aujourd'hui elle est heureuse et réspectée, et les cris mêmes de ses ennemis prouventque le drapeau qu'elle porte est bien celui de l'avenir.

Nous en avons assez dit, ce nous semble, pour justifier le droit d'intervention de l'État dans l'instruction publique. Nous avons à nous occuper ici uniquement de la répression pénale.

Ce droit, par la nature même des choses, ne s'applique pas avec la même étendue à tous les ordres d'enseignement. Dans les Facultés de droit et de médecine, la loi pénale, à raison des conditions particulières de cet enseignement, ne se manifeste que par des mesures disciplinaires relatives aux manquements commis par les élèves; il en est de même pour les écoles spéciales. Mais en ce qui concerne l'exercice de l'enseignement dans ces Facultés et dans celles des

sciences, des lettres, de théologie, ainsi que dans les établissements publics comme le Collège de France, le Muséum, la Bibliothèque, les écoles des mines, des chartes, des ponts et chaussées, il n'y a pas de dispositions pénales possibles, puisque tous ces établissements sont dirigés par le Gouvernement ou par des administrations, et que personne ne peut usurper le droit d'y enseigner.

Où la loi pénale intervient, c'est en matière d'instruction primaire et d'instruction secondaire. Le droit de surveillance et de veto que l'État s'est réservé sur les établissements d'instruction primaire exige, pour être effectif, une sanction pénale; de même pour l'instruction secondaire.

Dans un autre ordre d'idées, et pour concilier, dans les établissements d'instruction, la discipline avec l'indulgence que réclament les fautes de la jeunesse, le législateur a établi pour les élèves des juridictions spéciales; certaines dispositions même sont applicables aux professeurs.

C'est à l'exposé de ces dispositions que le présent titre sera consacré.

De l'enseignement primaire. — La loi du 18 mars 1850, sur l'enseignement, définit ainsi l'enseignement primaire : « L'enseignement primaire comprend : L'instruction morale et religieuse; - La lecture; - L'écriture; - Les éléments de la langue française; -Le calcul et le système légal des poids et mesures. Il peut comprendre en outre :- L'arithmétique appliquée aux opérations pratiques; Les éléments de l'histoire et de la géographie;

[ocr errors]

L'ar

Des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle, applicables aux usages de la vie; Des instructions élémentaires sur l'agriculture, l'industrie et l'hygiène; pentage, le nivellement, le dessin linéaire; Le chant et la gymnastique >> (art. 23).

[ocr errors]

D'après l'art. 9 de la loi du 21 juin 1865, il peut encore comprendre le dessin d'ornement, le dessin d'imitation, les langues vivantes étrangères, la tenue des livres et les éléments de géométrie.

Enfin, aux termes de l'art. 16 de la loi du 10 avril 1867, « les éléments de l'histoire et de la géographie de la France sont ajoutés aux matières obligatoires de l'enseignement primaire ».

« L'enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d'état de le payer » (art. 24).

Pour les filles, il comprend en outre les travaux à l'aiguille (art. 48).

Aux termes de l'art. 21 de la loi du 10 avril 1867 : « Aucune école primaire, publique ou libre, ne peut, sans l'autorisation du conseil départemental, recevoir d'enfants au-dessous de six ans, s'il existe dans la commune une salle d'asile publique ou libre. »

En principe, tout Français peut ouvrir une école primaire libre. Mais la loi exige certaines conditions d'aptitude et de moralité, faute desquelles l'autorité académique peut s'opposer à l'ouverture de l'école.

Ainsi, tout individu condamné pour crime, ou pour un délit contraire à la probité ou aux mœurs, est incapable de tenir une école publique ou libre, ou d'y être employé; de même, s'il a été privé par jugement de tout ou partie de ses droits civiques. Le conseil académique peut interdire absolument tout instituteur communal, pour cause de faute grave, d'inconduite ou d'immoralité. Si ces

décisions ont été confirmées par le conseil supérieur de l'instruction publique, l'instituteur est à jamais incapable de tenir une école primaire (art. 26, 30 et 33). Les conditions d'aptitude sont, outre l'âge de vingt et un ans accomplis: soit un brevet de capacité délivré par une commission spéciale; soit un certificat de stage délivré par le conseil académique, et constatant qu'on a enseigné pendant trois ans les matières désignées en l'art. 23; soit le diplôme de bachelier; soit un certificat d'admission dans une des écoles spéciales de l'État; soit le titre de ministre, non interdit ni révoqué, de l'un des cultes reconnus par l'État.

Par une faveur excessive inspirée par les idées qui dominaient le législateur de 1850, « les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l'État » (art. 49).

L'art. 29, § 4, dispense néanmoins de toute justification de moralité et de capacité « les personnes qui, dans un but purement charitable, et sans exercer la profession d'instituteur, enseigneront à lire et à écrire aux enfants » ; l'autorisation du délégué cantonal, toujours révocable par le conseil académique, est la seule garantie. Cette excessive latitude laissée à la discrétion d'un simple délégué cantonal peut d'abord surprendre, dans une loi si sévère et qui fait dépendre de tant de personnes le sort des instituteurs de profession : l'étonnement cesse, si l'on se reporte à la pensée qui dominait le législateur.

Aux termes de l'art. 77 de la loi, toutes les dispositions relatives aux écoles primaires sont applicables aux cours publics sur les matières de cet enseigne

ment.

Telles sont les conditions d'aptitude exigées des Français. Le décret du 5 décembre 1850 a permis aux étrangers de tenir des écoles primaires libres, s'ils justifient des conditions de capacité requises des nationaux. Ils doivent en outre justifier d'une autorisation spéciale du ministre de l'instruction publique, délivrée sur l'avis du conseil supérieur.

Mais cette faculté est subordonnée à une première condition: c'est que l'étranger ait été admis à jouir de ses droits civils en France (art. 1o).

Ici encore la loi fait quelques exceptions. Ainsi, les brevets ou diplômes étrangers peuvent être déclarés équivalents aux brevets nationaux (art. 3); des dispenses de brevets et de grades pourront être accordées, soit aux auteurs d'ouvrages approuvés par le conseil de l'instruction publique (art. 4), soit aux instituteurs qui ne recevront que des enfants étrangers résidant en France (art. 2); enfin les instituteurs étrangers autorisés avant la loi du 5 décembre 1850 pourront continuer sans brevet l'exercice de leur profession.

Quant à l'exercice des fonctions d'instituteur communal ou d'instituteur adjoint dans une école communale, nul étranger n'y est admis, à moins qu'il n'ait obtenu des lettres de naturalisation (D. 7 déc. 1830, art. 7).

Toute personne réunissant les conditions de moralité et d'aptitude exigées peut ouvrir une école primaire libre, à la seule condition de déclarer son intention au maire de la commune; cette déclaration doit être en outre adressée au recteur, au procureur impérial, et au préfet ou sous-préfet; elle demeure affichée à la porte de la mairie pendant un mois. Elle doit indiquer, outre le domicile

actuel, les lieux où le déclarant a résidé et les professions qu'il a exercées pendant les dix années précédentes (art. 27).

Le préfet, soit d'office, soit sur la plainte du procureur impérial ou du souspréfet, peut former, dans le mois, opposition à l'ouverture de l'école, sauf recours au conseil départemental, qui prononce contradictoirement et sans appel (art. 28).

Cette opposition, d'après les termes du même art. 28, ne peut être fondée que sur «<l'intérêt des mœurs publiques ». Toute opposition à l'ouverture d'une école devient par-là, pour l'instituteur qui l'a subie, une flétrissure morale dont il lui est à peu près impossible de se relever. Il peut pourtant y avoir une foule d'autres raisons très-graves qui justifieraient l'opposition sans qu'il en résultât une atteinte à la moralité de l'instituteur. Et dans le fait il arrive souvent que des circonstances purement locales ne permettent pas de laisser tel instituteur s'établir dans une commune, tandis qu'on le lui permettrait partout ailleurs : mais comme la loi n'admet pas d'autre motif que « l'intérêt des mœurs publiques » et comme cette expression est très-élastique, on y fait rentrer, ne pouvant d'ailleurs faire autrement, tous les motifs d'opposition quels qu'ils soient.

Ces quelques mots de l'art. 28 étaient peut-être, lorsque la loi fut portée, une des dispositions les plus redoutables pour les instituteurs libres laïques, puisque chacun savait parfaitement que les instituteurs congréganistes ne pouvaient être attaqués de ce côté-là et que dès lors toutes les oppositions, toujours fondées sur « l'intérêt des mœurs publiques », devaient toujours frapper des instituteurs laïques. Hâtons-nous de reconnaître que, grâce à la justice de l'autorité acadé mique, grâce aussi à la moralité éprouvée des instituteurs laïques, les oppositions sont rares et toujours justifiées par les plus graves motifs.

Les conditions de capacité et de moralité établies par la loi sont communes aux instituteurs libres et aux instituteurs communaux; mais ces derniers étant des fonctionnaires publics, et les écoles communales étant des établissements publics, le système de la déclaration préalable et de l'opposition aurait été un non-sens, l'autorité publique ne pouvant jamais se trouver dans le cas de faire opposition à l'ouverture d'une école dont le directeur est nommé par elle.

La loi sur l'enseignement a donc laissé à l'autorité le choix des instituteurs qui, remplissant d'ailleurs les conditions de moralité et de capacité requises, sont préposés à la direction des écoles publiques. Les art. 31 à 41 de la loi ont établi les principes généraux relatifs aux écoles communales et à la nomination des instituteurs. Le décret réglementaire du 7 octobre 1850, chap. 1, a réglé les détails d'exécution.

Il faut néanmoins observer que, pour ouvrir un pensionnat primaire, les instituteurs communaux sont, comme les instituteurs libres, soumis à la déclaration préalable dans les formes prescrites par les art. 27 et 28 de la loi sur l'enseignement (D. 30 déc. 1850, art. 5).

Le chapitre Iv de la loi a organisé d'une manière très-étendue la surveillance des écoles primaires soit libres soit communales. Outre les autorités académiques, des délégués cantonaux sont chargés d'une inspection permanente;

enfin le maire et le curé ont le droit d'entrer à tout moment dans les classes

pour surveiller l'enseignement.

Aux termes des art. 54 et 55 de la loi, les écoles d'adultes et d'apprentis sont soumises aux mêmes conditions en ce qui concerne l'aptitude des instituteurs, les formalités d'ouverture, et la discipline.

En ce qui touche les pensionnats primaires libres, l'art. 53 exige en outre l'âge de vingt-cinq ans, et cinq années d'exercice soit comme instituteur soit comme maître dans un pensionnat. Les instituteurs communaux, outre la déclaration préalable, doivent obtenir l'autorisation du conseil départemental, sur l'avis du conseil municipal. Le décret réglementaire du 7 octobre 1850, rendu pour l'exécution de la loi sur l'enseignement, et celui du 30 décembre 1850, relatif aux pensionnats primaires, ont établi en détail les formalités administratives en cette matière.

La loi ne permet la réunion d'enfants des deux sexes que dans les externats. Cette réunion, aux termes de l'art. 52 de la loi du 15 mars 1850, ne peut avoir lieu qu'avec l'autorisation du conseil départemental.

Dans les écoles communales, on ne peut confier la direction d'une école. mixte à une institutrice que si l'école ne reçoit pas en moyenne, depuis trois ans, plus de quarante élèves.

La réunion ne peut jamais avoir lieu dans les pensionnats, ni même, aux termes de l'art. 13 du décret du 30 décembre 1850, dans les externats annexés aux écoles primaires soit libres soit communales.

Nous devons placer ici une observation relative à la compétence universitaire en matière d'instruction primaire, et dont il faut tenir compte pour le régime et la discipline des écoles primaires.

Lorsque la loi sur l'enseignement fut promulguée, la France était divisée en autant d'académies qu'il y avait de départements; chaque académie avait un recteur et un conseil académique. On ne tarda pas à reconnaître quelle puissance d'affaiblissement ce régime exerçait sur l'Université, et la loi salutaire du 14 juin 1854, en rétablissant les seize grandes circonscriptions académiques, rendit à l'Université toute sa force.

Dans cette réorganisation, on maintint au chef-lieu de chaque département un inspecteur d'académie et un conseil départemental de l'instruction publique présidé par le préfet. Ce magistrat, aux termes de l'art. 8 de la loi, exerce, sous l'autorité du ministre de l'instruction publique, et sur le rapport de l'inspecteur d'académie, les attributions conférées au recteur par la loi du 15 mars 1850 et par le décret organique du 9 mars 1852, en ce qui concerne l'instruction primaire publique ou libre. Aux termes de l'art. 7, le conseil départemental exerce, en la même matière, les attributions jusque-là conférées au conseil académique. Telles sont les principales prescriptions relatives à l'ouverture des écoles et à l'exercice de l'enseignement primaire. Pour les sanctionner, la loi a établi deux ordres de dispositions pénales, les unes relatives à l'ouverture des écoles, les autres relatives à la discipline des instituteurs. Nous allons exposer ces incriminations.

Admission, dans son école, par un instituteur ou une institutrice libre, d'en

« PreviousContinue »