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de l'exactitude et de la sincérité des faits ou documents extraits des archives nationales: on ne saurait prendre trop de sûretés pour remplir complétement un tel devoir, et le pouvoir discrétionnaire donné au Gouvernement est une nécessité. Voici les dispositions du décret du 20 février 1809:

Art. 1er. « Les manuscrits des archives de notre ministère des relations extérieures et ceux des bibliothèques impériales, départementales et communales ou des autres établissements de notre empire, soit que ces manuscrits existent dans les dépôts auxquels ils appartiennent, soit qu'ils en aient été soustraits, ou que leurs minutes n'y aient pas été déposées aux termes des anciens règlements, sont la propriété de l'État, et ne peuvent être imprimés et publiés sans autorisation.

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Art. 2. « Cette autorisation sera donnée par notre ministre des relations extérieures, pour la publication des ouvrages dans lesquels se trouveront des copies, extraits ou citations des manuscrits qui appartiennent aux archives de son ministère; et par notre ministre de l'intérieur, pour celle des ouvrages dans lesquels se trouveront des copies, extraits ou citations des manuscrits qui appartiennent à l'un des autres établissements publics mentionnés dans l'article précédent. >>

Il résulte de ce décret que les archives de tous les ministères et des administrations qui en dépendent appartiennent à l'État.

Remarquons d'abord qu'il est ici question des manuscrits, et non pas des livres ou autres documents imprimés ou gravés, lesquels demeurent la propriété des établissements qui en sont possesseurs.

Remarquons ensuite qu'il s'agit des ministères et des établissements publics, et par « établissements publics » il faut entendre ceux administrés ou dirigés par l'État, et non les établissements libres, sur lesquels l'État n'a qu'un droit d'autorisation et de surveillance, mais qui s'administrent eux-mêmes ceux-là sont propriétaires de leurs archives et de leurs manuscrits. Telles sont les sociétés littéraires ou scientifiques, les associations de bienfaisance ou de secours.

Au surplus, quant aux ouvrages d'art ou de littérature publiés par ces associations, il est sans difficulté que le droit des auteurs existe et peut être revendiqué en vertu du décret de 1793. On en doit dire de même des publications faites par l'État : il a sur ces publications le même droit qu'aurait un particulier.

Maintenant, de ce que le droit de propriété de l'État sur les manuscrits des archives est constant et reconnu par la loi, s'ensuit-il que ce droit soit protégé par le décret de 1793, et que l'État puisse poursuivre, en qualité d'auteur, la contrefaçon de ces manuscrits?

Il nous semble que le texte du décret de 1793 résout à lui seul la question, « Les auteurs d'écrits en tous genres », dit l'art. 1er de ce décret, «... jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République, et d'en céder la propriété en tout ou en partie. » L'art. 2 ajoute: «Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit pendant l'espace de dix ans » (aujourd'hui trente ans, pour les veuves et les enfants) « après la mort des auteurs.»

Telle est la base du droit de poursuite en matière de contrefaçon.

Le droit de jouissance exclusive n'appartient qu'aux auteurs: or l'État, s'il est propriétaire des manuscrits des archives, n'en est pas l'auteur. Car si le manuscrit est une œuvre littéraire, l'auteur est celui qui l'a écrit ; et si le manuscrit est un document officiel ou administratif, il n'a pas, à proprement parler, d'auteur, puisqu'il est rédigé par un employé, approuvé par un chef d'administration, et signé par un ministre ou un souverain.

Les mots : « durant leur vie entière»; «leurs ouvrages »; «leurs héritiers ou cessionnaires », rapprochés des dispositions du décret du 8 avril 1854 qui fixe les droits des veuves et des enfants, ne permettent pas d'appliquer le décret de 1793 à une personne morale telle que l'État, qui ne meurt pas et qui n'a pas d'héritiers; qui n'a pas davantage de cessionnaires, puisqu'il ne peut aliéner ses biens à moins qu'une loi ne l'y ait autorisé.

Il faut donc reconnaître que le droit de propriété attribué à l'État, par le décret du 20 février 1809, sur les manuscrits des archives, diffère entièrement du droit des auteurs pour achever de s'en convaincre, il suffit de remarquer que celui-ci est temporaire et cessible, tandis que celui-là est perpétuel et inaliénable.

De là il suit que la reproduction de ces manuscrits, faite en violation du décret de 1809, ne saurait donner lieu à l'application des art. 425, 426 et suivants du Code pénal, articles dont le texte confirme les observations tirées du décret de 1793. Et comme le décret de 1809 ne porte aucune sanction pénale, cette reproduction ne constituera pas de fait punissable.

Mais à défaut de sanction pénale, l'action en dommages-intérêts résultera sans aucun doute, pour l'État, de sa qualité de propriétaire; et à ce titre il pourra poursuivre les reproducteurs et les faire condamner, en vertu de l'art. 1382 du Code Napoléon, à lui payer une indemnité à raison du préjudice causé,

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Dans le titre qui précède, nous avons fait ressortir, aussi nettement qu'il nous a été possible, ce caractère à la fois individuel et collectif de l'œuvre d'art ou de littérature, qui s'imprime sur le droit et qui, tout en attribuant à l'auteur un domaine utile sur son œuvre, réserve formellement à l'État un véritable droit de propriété.

L'instruction publique, prise dans son sens le plus précis, n'est autre chose que la somme d'idées et de faits accumulés dans l'âme d'un peuple par le travail des générations qui se sont succédé. C'est à cette mamelle que chaque génération doit d'abord s'allaiter: de sorte qu'on peut comparer justement l'instruction de la jeunesse, quand elle est donnée par la patrie, à cette première éducation où la mère nourrit encore l'enfant de son lait.

Par là l'instruction publique nous paraît se rattacher directement à la propriété littéraire, puisque les lois qui règlent celle-là ont pour but d'assurer la jouissance

des trésors accumulés par celle-ci ; et tel est le motif qui nous a déterminé à placer,

à la suite du titre qui précède, celui dont nous allons nous occuper.

De l'instruction publique.

L'éducation en commun est une de conséquences

de l'état social. Passé l'âge où la mère peut donner à l'enfant les premières notions de la vie, il faut le confier à des maîtres, ou bien se faire maître soimême, parti impossible pour la plupart des pères de famille, qui tous ont des occupations auxquelles il faudrait alors renoncer. Quelque méritant que fût un pareil dévoûment, il en résulterait, pour la société comme pour les familles, une véritable calamité, puisque, la moitié des familles passant son temps à instruire l'autre, il ne resterait plus personne pour travailler et produire.

L'inconvénient serait à peu près le même s'il fallait attacher un instituteur particulier à chaque élève. Non-seulement on ne trouverait pas assez de professeurs, mais ceux qu'on pourrait se procurer exigeraient au moins qu'on leur donnât de quoi vivre, et peu de familles seraient en état de supporter cette dépense pour un seul enfant et, à plus forte raison, pour plusieurs.

L'éducation en commun, où un seul professeur enseigne un grand nombre d'enfants à la fois, est donc une nécessité absolue chez tous les peuples civilisés, si bien qu'on peut juger d'un pays par l'état de son enseignement public.

Partout où il y a un gouvernement, on trouve, faisant partie des institutions de l'État, un enseignement public. Quelque diverses que soient chez nous les origines de cet enseignement, il a, au temps où nous vivons, sa raison d'être dans l'organisation actuelle de la société, et c'est là le seul titre auquel il soit désormais permis de s'attacher lorsqu'il s'agit d'apprécier la valeur d'une institution.

Quand on ne tiendrait compte que de la question financière, c'en serait assez pour voir la nécessité de l'enseignement par l'État. L'instruction secondaire coûte plus qu'elle ne rapporte; et quant à l'enseignement supérieur, où les aspirants aux grades universitaires payent seuls une rétribution, l'État en fait à peu près tous les frais, parce que lui seul peut faire face aux dépenses qu'exigent le traitement des professeurs, les édifices, les bibliothèques, les collections, les instruments nécessaires pour maintenir ces établissements au rang où ils doivent être. Et ce qui est vrai de l'enseignement supérieur l'est aussi de l'enseignement secondaire. A part quelques rares exceptions, les établissements privés en ce genre sont d'une insuffisance notoire; aussi n'y a-t-il guère que des maisons religieuses qui, soutenues par une clientèle toute spéciale, entreprennent de donner l'enseignement secondaire, et on sait ce que vaut cet enseignement.

Il y a d'ailleurs, au-dessus de la question d'argent, celle des ressources intellectuelles. L'État seul dispose d'une force suffisante pour attirer et grouper autour de lui un personnel assez nombreux et assez choisi pour alimenter un service qui demande des aptitudes si diverses et un choix si varié suivant la destination de chaque professeur. L'État seul, en faisant de l'enseignement une carrière publique, peut assurer le sort des maîtres et leur demander un dévoûment absolu, une moralité à toute épreuve, une aptitude complète. Il peut seul, par ses écoles normales, par ses facultés, par ses concours, former des professeurs et assurer ainsi le recrutement du professorat et le progrès continu de l'enseignement.

Ainsi, quand ce ne serait que par la force des choses, il faut reconnaître à l'État le droit de donner l'enseignement public, puisque seul il en a le pouvoir. Mais au-dessus de ces considérations il y en a une autre, le devoir, qui ordonne à tout gouvernement d'intervenir, et d'intervenir d'une manière dominante, dans l'éducation de la jeunesse.

Si un gouvernement n'a pas le droit de permettre que par des discours ou par des exemples on pervertisse les hommes faits, il n'a pas davantage le droit d'abandonner l'enfance à la corruption morale ou à la dégradation intellectuelle. N'y eût-il que des écoles privées, il serait tenu d'y contrôler l'enseignement et de surveiller la conduite morale des maîtres; à plus forte raison quand il existe des écoles publiques. Voilà un principe que personne ne conteste.

Mais est-ce là tout, et pourrait-on prétendre que l'État n'ait pas le droit de diriger l'enseignement? Peut-on soutenir que, quand un instituteur aura subi un examen, il lui sera loisible d'enseigner des absurdités à ses élèves ? Peut-on admettre qu'au milieu du XIXe siècle un établissement prenne pour base d'éducation les idées du Moyen âge, ou qu'un autre remplace les classiques français par la littérature chinoise? Personne n'a jamais osé soutenir cela: quand on a parlé de liberté d'enseignement, il s'agissait uniquement de faire triompher une idée politique, c'est-à-dire de faire confier l'éducation publique au clergé, dans l'espoir d'arriver par là à l'anéantissement de l'Université; mais en dehors de ces considérations politiques, qui sortent de notre sujet, il n'est personne, pourvu qu'il sache épeler le mot de « patrie », qui conteste à l'État le droit de diriger l'enseignement; excepté, bien entendu, quand le père de famille fait instruire son enfant par un précepteur, car il y a là une liberté absolue à laquelle il n'est pas permis de toucher.

Les adversaires de l'enseignement public, dans leurs efforts pour attirer l'enseignement public à eux, sont animés de cette espérance que, dans l'enfant qu'ils élèvent, ils se prépareront l'homme fait: Leibnitz a dit que celui qui dispose de l'éducation d'un peuple dispose de ce peuple; et ils le croient, et c'est ce qui leur donne tant d'ardeur.

Pourtant rien n'est plus faux. Que chacun jette les yeux sur soi-même, qu'il compare ses idées à celles qu'il avait au sortir de ses classes, et qu'il cherche ce qu'est devenu ce léger bagage d'idées littéraires, scientifiques, historiques surtout, qui suffisaient à remplir sa jeune tête. Qu'est-ce que tout cela est devenu? Quel rôle jouent dans notre existence ces vieux souvenirs classiques, ces maîtres gourmés dont nous nous moquions, ces Grecs et ces Romains qui nous ennuyaient? Tout cela nous apparaît comme le songe d'une vie passée, et quand nous reprenons ces vieux auteurs, nous sommes tout étonnés d'y découvrir tant de belles choses qu'on ne nous y avait pas fait voir, et plus étonnés encore des énormités morales ou intellectuelles qu'on nous y faisait admirer.

Dans les classes, on apprend deux choses: travailler et obéir; mais on n'apprend à penser et à vivre qu'en pensant et en vivant pour son propre compte. Espérer autre chose de l'éducation est une illusion.

Et en vérité ce serait le plus grand de tous les malheurs qu'il pût dépendre de huit ou dix professeurs, entre les mains de qui chaque génération passe quelques

années, de donner pour la vie un tour uniforme et une direction invariable à toutes ces intelligences: ce serait la fin du monde moral. Remarquez qu'il ne faudrait pas un grand nombre d'idées pour enrayer le monde dans une ornière; une seule suffirait, pourvu qu'elle fût bien enracinée; et on verrait sortir des écoles des légions d'élèves qui, malgré la diversité des caractères et des intelligences, seraient toute leur vie sous l'influence d'une même idée dominante, à laquelle ils rapporteraient tout: c'est ce que les médecins appellent des monomanes; et c'est le rêve éternel de tous les hommes de parti, d'avoir à leur disposition le plus possible de ces instruments humains.

Non, il n'en est pas ainsi, et la nature humaine ne se laisse pas mutiler: elle suit sa voie, et elle tourne à son profit les forces qu'on prétend lui opposer. On l'a bien vu depuis 1850. Certes il n'est pas possible de rêver pour le clergé une part plus large dans l'éducation publique que celle qu'on lui fit alors; la fameuse mesure de la bifurcation et celle non moins significative de la suppression de la classe de philosophie dans les lycées, vinrent mettre le comble aux sacrifices qu'on voulait faire à la religion. Qu'en est-il résulté? Le clergé a-t-il gagné du terrain, ou la religion a-t-elle vu diminuer son influence? Ni l'un ni l'autre, et les choses religieuses sont aujourd'hui ce qu'elles étaient en 1849, tandis que la société, où les élèves de 1850 sont venus prendre place à côté de nous, n'a pas ralenti un instant son mouvement de progrès vers l'avenir.

Rappelons d'ailleurs, à l'honneur du noble ministre qui dirige aujourd'hui l'Université, que la bifurcation est supprimée et que l'enseignement de la philosophie est rétabli.

L'histoire tout entière n'est-elle pas là pour attester la vanité des plans de domination fondés sur l'éducation publique? Depuis les premiers protestants jusqu'à Marat et à Saint-Just, l'enseignement public n'a cessé d'être exclusivement religieux et monarchique; et cependant le xvir siècle n'a pu empêcher le xvшr de se dérouler à son tour, et après lui la Révolution; et nous voyons les philosophes incrédules, les grands seigneurs débauchés, les économistes, les Girondins, les conventionnels, les bourreaux, les massacreurs, sortir tour à tour de ces écoles antiques où, depuis tant de siècles, on enseignait aux générations à confondre dans une même religion le trône et l'autel.

Ainsi nulle puissance au monde, pas même un gouvernement, ne peut prétendre pétrir à sa fantaisie l'âme des jeunes générations on aura beau tenir l'enfant agenouillé pendant dix ans devant les mêmes idées, un jour viendra où il faudra bien le laisser redresser sa tête et marcher seul, et ce jour-là il ne relèvera plus que de lui-même. Alors, libre au milieu de ce monde tout nouveau pour lui, il choisira sa voie, d'abord timidement et dominé par l'impulsion qu'on lui aura donnée, mais bientôt plus ferme et plus sûr dans sa marche et dès lors, quoi qu'on ait pu inspirer à l'enfant, l'homme n'en croira que sa propre expérience. Il s'apercevra qu'il n'est destiné à vivre ni à Sparte, ni à Rome, ni dans les nuages, mais dans sa patrie, et il rejettera toute idée incompatible avec l'instinct nouveau qui l'entraîne vers les idées de son temps et de sa patrie.

Or qu'est-ce que la patrie, sinon l'âme et le cœur d'une nation? Il n'y a donc qu'une éducation qui soit durable, c'est l'éducation nationale, c'est-à-dire tou

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