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tableau, d'une statue ou d'un monument, qui peut toujours revendiquer ses droits sur son œuvre, pourvu qu'il prouve qu'il en est l'auteur.

Le droit des auteurs dramatiques sur la représentation de leurs ouvrages a eu des fortunes bien diverses. Avant la Révolution, c'était, comme en tout et partout, l'arbitraire. Ce ne fut qu'en 1790, par un arrêt du Conseil du 9 décembre, rendu sur les réclamations de Beaumarchais, que le droit vint enfin succéder à l'arbitraire. La loi du 19 janvier 1791, relative aux spectacles, vint confirmer ce droit dans les termes ci-après :

« Les ouvrages des auteurs vivants ne pourront être représentés sur aucun théâtre public, dans toute l'étendue de la France, sans le consentement formel et par écrit des auteurs, sous peine de confiscation du produit total des représentations au profit des auteurs » (art. 3).

Cette disposition régit encore aujourd'hui les droits de l'auteur : elle lui assure, comme aux auteurs d'œuvres littéraires ou artistiques, un droit viager sur les représentations de son œuvre.

N'oublions pas qu'il s'agit ici du second des deux droits que la loi reconnaît à l'auteur dramatique, et que le premier de ces droits, celui sur la reproduction graphique, est régi par la loi de 1793 et sanctionné par les art. 427 et 429 du Code pénal.

En ce qui touche les ouvrages dramatiques posthumes, le décret du 8 juin 1806, concernant les théâtres, a assimilé le propriétaire de l'œuvre à l'auteur lui-même : l'art. 12 de ce décret dispose en effet : « Les propriétaires d'ouvrages dramatiques posthumes ont les mêmes droits que l'auteur; et les dispositions sur la propriété des auteurs et sur sa durée leur seront applicables, ainsi qu'il est dit au décret du 1er germinal an XIII. » Rappelons que ce dernier décret, que nous avons mentionné dans l'article de la propriété littéraire et artistique, dispose que « les propriétaires, par succession ou à un autre titre, d'un ouvrage posthume, ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions des lois sur la propriété exclusive des auteurs et sur sa durée, leur sont applicables; toutefois, à la charge d'imprimer séparément les œuvres posthumes, et sans les joindre à une nouvelle édition des ouvrages déjà publiés et devenus propriété publique » (art. 1or).

Les droits des veuves et des enfants restèrent indéterminés jusqu'en 1844, où une loi, rendue le 3 août 1844, les fixa à vingt ans. Cette loi est abrogée: aujourd'hui le décret du 8 avril 1854, que nous avons rapporté en traitant des droits d'auteurs sur les œuvres littéraires et artistiques, est venu la remplacer. Par son article unique, il accorde aux veuves des auteurs, pendant toute leur vie, la jouissance des droits d'auteur, et la durée de la jouissance accordée aux enfants est portée à trente ans à partir, soit du décès de l'auteur s'il ne laisse pas de veuve, soit, dans le cas contraire, à partir de l'extinction des droits de la

veuve.

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Représentation dramatique faite au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs. L'art. 428 du Code pénal porte la sanction pénale des droits des auteurs dramatiques. Cet article est ainsi conçu: « Tout directeur, tout entrepreneur de spectacle, toute association d'artistes, qui aura fait représenter sur son théâtre des ouvrages dramatiques au mépris des lois et règlements relatifs

à la propriété des auteurs, sera puni d'une amende de 50 fr. au moins, de 500 fr. au plus, et de la confiscation des recettes. >>

Rappelons que l'art. 429 vient compléter ces dispositions en attribuant le produit des recettes confisquées à l'auteur, comme à-compte sur l'indemnité qui lui serait due.

La jurisprudence a eu à se prononcer sur une foule d'espèces de ce délit : les répertoires et les Codes annotés en contiennent le recueil, qu'on pourra consulter avec fruit, mais dont l'énumération serait ici sans utilité, parce que ces décisions n'ont fait qu'appliquer très-exactement, et c'est là ce qui fait leur valeur, des principes qui ressortent très-nettement des termes de l'art. 428.

De la propriété des livres d'église, d'heures et de prières. Le décret du 7 germinal an XIII, art. 1o, dispose: « Les livres d'église, les Heures et prières ne pourront être imprimés ou réimprimés que d'après la permission donnée par les évêques diocésains, laquelle permission sera textuellement rapportée et imprimée en tête de chaque exemplaire. »>

Ce décret, dont le but est d'établir une haute surveillance, dans l'intérêt de la religion catholique, sur les livres servant à l'exercice du culte, où la pureté de la doctrine pourrait être altérée, avec ou sans intention, ce décret a fait naître la question de savoir si ces livres, dont la publication n'est pas possible sans la permission de l'évêque, ne sont pas sa propriété, et s'il n'y peut pas prétendre les droits que le décret de 1793 confère aux auteurs sur leurs ouvrages.

On a reconnu, et c'est l'application pure et simple de ce décret, que les évêques auront le droit d'auteurs s'ils sont auteurs, et qu'ils ne l'auront pas s'ils n'ont fait qu'examiner et approuver des livres d'église composés par autrui.

Il résulte de là que les évêques sont sans qualité pour intenter, contre les éditeurs sans autorisation de livres d'église, l'action réservée aux seuls auteurs par le décret du 19 juillet 1793.

Mais ils ont qualité pour déférer au ministère public, par une plainte, ce fait comme constituant l'impression de ces livres sans autorisation.

Impression ou réimpression de livres d'église, d'heures ou de prières, sans permission de l'évêque diocésain. L'art. 2 du décret du 7 germinal an xu érige en délit l'impression ou la réimpression, sans permission, des livres d'église: « Les imprimeurs, libraires, qui feraient imprimer, réimprimer des livres d'église, des Heures ou prières, sans avoir obtenu cette permission, seront poursuivis conformément à la loi du 19 juillet 1793. »>

Le décret de 1793, ainsi que nous l'avons vu, ne prononçait d'autre peine que celle d'une amende égale à la valeur de trois mille exemplaires de l'ouvrage. Nous avons vu également que le Code pénal abroge en cette partie ce décret, et que l'art. 427 de ce Code constitue aujourd'hui la sanction pénale du droit des

auteurs.

On appliquera donc les dispositions de l'art. 427 du Code pénal, mais seulement dans la partie spéciale au contrefacteur. En effet il faut remarquer que le décret de l'an x incrimine uniquement l'impression ou la réimpression, mais non le débit, ni l'introduction des livres imprimés ou réimprimés sans l'autorisation de

l'évêque; ces deux derniers faits ne pourront donner lieu qu'à des dommagesintérêts.

L'art. 427 ordonne en outre, dans ses §§ 2 et 3, la confiscation de l'édition contrefaite et des planches, moules ou matrices des objets contrefaits.

Mais l'art. 429 sera-t-il applicable? Évidemment non, puisqu'il ordonne l'attribution du produit des objets confisqués au propriétaire, et que, dans le cas dont nous nous occupons, il n'y a pas de propriétaire. Il en serait autrement, bien entendu, si le propriétaire, c'est-à-dire l'auteur du livre d'église, intervenait ou figurait dans le procès; mais alors il n'y aurait plus seulement le délit spécial prévu par l'art. 2 du décret de l'an xu, il y aurait action en vertu du droit de propriété conféré aux auteurs par le décret de 1793.

Il faut remarquer que le délit spécial incriminé par l'art. 2 du décret de l'an xi, par cela même qu'il résulte d'une atteinte au droit de surveillance des évêques diocésains, n'est applicable qu'aux livres d'église, d'heures et de prières catholiques.

Nous avons cru devoir rappeler ici cette incrimination, quoiqu'elle ait déjà figuré dans une autre partie de notre ouvrage, parce qu'elle nous paraît se rattacher au sujet du présent titre par son objet, qui est de sauvegarder la propriété de l'œuvre littéraire dans ce qu'elle a de plus respectable et de plus précieux, et par sa nature, qui la rattache à la pensée, dont elle est une des plus hautes manifestations.

Il est à regretter toutefois que la loi pénale, dont les droits et les devoirs procèdent directement et uniquement de la nature humaine. sans distinction de croyances, n'ait pas étendu sur les livres de toutes les religions la protection. qu'elle réserve aux seuls livres catholiques. Avec une religion de l'État, cette inégalité se comprendrait : on ne se l'explique pas dans un pays comme le nôtre, où la loi ne fait aucune différence entre les diverses religions. S'il importe au catholique que les livres qui doivent servir de guide à sa foi soient constamment gardés purs de toute altération, cela n'importe pas moins au juif, au protestant, au mahométan et, par suite, à l'État lui-même, puisqu'il se reconnaît obligé de protéger également toutes les religions.

Au reste, tout en signalant cette lacune, nous devons faire remarquer que l'exercice du droit d'auteur, tel qu'il résulte du décret de 1793, suffira la plupart du temps à empêcher la contrefaçon des livres religieux. L'observation que nous venons de faire porte donc moins sur un préjudice effectif que sur une atteinte portée au principe de l'égalité absolue de tous les cultes devant la loi. Du droit de publication et de reproduction des lois. - Après la prière, la loi. Règle inviolable et sacrée des droits et des devoirs de tous les citoyens, elle est la propriété de tous, et comme elle se manifeste par la parole écrite, elle est une propriété littéraire, avec cette seule différence qu'elle a pour auteur le peuple entier. Mais on voit tout de suite comment, à raison de son origine impersonnelle, à raison du but de sa rédaction, la loi ne comporte pas l'idée de contrefaçon : comment, par conséquent, la sanction pénale destinée à conserver cette propriété littéraire d'un peuple entier doit être d'une nature particulière.

Précisément parce qu'il appartient à tout le monde, le texte de la loi ne peut

être revendiqué par personne, pas même par l'État d'où suit que personne, pas même l'État, ne peut y prétendre un droit de propriété et, par suite, un bénéfice pécuniaire quelconque. Mais il résulte de ce droit de copropriété de tous que l'intégrité du texte de la loi constitue une sorte de domaine public auquel nul ne peut toucher sans porter préjudice à la société, et c'est dans ce sens que la loi pénale intervient pour sauvegarder ce grand intérêt public.

Le décret du 6 juillet 1810 a pris un moyen fort simple pour assurer l'exactitude de la reproduction des textes légaux. Le préambule de ce décret fait ressortir en peu de mots les motifs qui ont déterminé le législateur: «Des spéculateurs avides se hâtent de faire imprimer et débiter les lois, avant même qu'elles aient été adoptées par le Corps législatif; il résulte de là des éditions fautives qui peuvent égarer les parties, leurs conseils, et même quelquefois les juges; mais en réprimant cet abus, nous n'entendons, en aucune manière, priver nos sujets de l'avantage de connaître, comme par le passé, par la voie des journaux, l'objet des sénatus-consultes, lois et règlements au moment où ils sont annoncés.

« Nous avons en conséquence, sur le rapport de notre grand-juge ministre de la justice, et notre conseil d'État entendu, décrété et décrétons ce qui suit: Art. 1. «Il est défendu à toute personne d'imprimer et débiter les sénatusconsultes, codes, lois et règlements d'administration publique, avant leur insertion et publication par la voie du Bulletin au chef-lieu du département. »>

Une ordonnance du 28 décembre 1814 avait chargé l'Imprimerie royale de l'impression des lois, règlements et ordonnances royales. Depuis, par l'ordonnance du 12 janvier 1820, ce service a été réduit à l'impression du Bulletin des lois, et dès lors ce n'est plus la publication du Bulletin des lois au chef-lieu de département, mais celle de ce même Bulletin par l'Imprimerie impériale, qui marque le moment où la loi peut être imprimée et débitée par les particuliers ; et c'est ce que l'art. 3 de l'ordonnance de 1820 a pris soin de spécifier.

Au reste l'édition du Bulletin des lois est seule authentique, et les éditions publiées par les particuliers n'ont d'autre caractère que celui de simples copies; et si, malgré le soin et l'exactitude avec lesquels on compose les recueils de lois, il arrivait qu'un doute s'élevât sur l'authenticité du texte reproduit dans un recueil particulier, il faudrait recourir à l'édition originale.

Il n'est pas besoin d'ajouter que si un éditeur, dans le but de présenter son édition comme originale, y incrivait l'indication d' «Imprimerie impériale », il serait passible des peines portées par la loi pour impression sans nom d'imprimeur; et que s'il allait jusqu'à contrefaire le sceau de l'État qui est imprimé, dans le Bulletin des lois, au bas de chaque loi, il aurait commis le crime de contrefaçon de sceau de l'État.

Au surplus, au point où en est venue l'industrie de la typographic, de pareilles fraudes seraient sans objet, et le discrédit qui frapperait un éditeur assez négligent pour publier des textes de loi inexacts, suffit pour assurer la correction de ces sortes de recueils.

On sait d'ailleurs qu'à moins de faire graver des caractères exprès, aucun éditeur ne peut songer à contrefaire les éditions de l'Imprimerie impériale. Ses types, outre leur perfection et leur beauté qui les rend presque inimitables, peu

vent toujours se reconnaître à la barre horizontale placée à droite et au milieu de la hauteur de la lettre l.

Publication et débit de sénatus-consultes, codes, lois et règlements d'administration publique avant leur publication officielle au Bulletin des lois. — La sanction des dispositions que nous venons de rapporter est dans l'art. 2 du même décret, qui dispose: « Les éditions faites en contravention de l'article précédent seront saisies à la requête de nos procureurs généraux, et la confiscation en sera prononcée par le tribunal de police correctionnelle. >>

La confiscation est la seule peine applicable, puisque c'est la seule que la loi prononce et que nulle part on ne trouve d'autre disposition pénale pour réprimer ce délit.

Rappelons qu'aux termes de l'art. 1er du Code Napoléon interprété par l'avis du conseil d'Etat du 25 prairial an xi, la promulgation résulte du fait de l'insertion au Bulletin des lois, et que la date de cette promulgation est celle de la remise à la chancelleric du numéro du Bulletin qui contient la loi. C'est donc, non pas à partir du moment où le Bulletin sort des presses de l'Imprimerie impériale, mais à partir du moment où il a été remis à la chancellerie, que la loi peut être publiée par des particuliers.

De la propriété des manuscrits des établissements publics. Tout manuscrit appartient à celui qui en est l'auteur. On pourrait dire que les manuscrits des archives des établissements publics ont pour auteurs ces établissements euxmêmes et, si l'on suivait les règles ordinaires de la propriété littéraire, chaque dépôt serait la propriété de l'administration ou de la communauté qui l'a formé. Mais à raison du grand intérêt qui s'attache à la conservation des manuscrits déposés dans les établissements publics, on a de tout temps reconnu que l'État doit être considéré comme propriétaire de ces manuscrits.

Le décret du 20 février 1809 constate ce droit de propriété, non-seulement sur les manuscrits déposés, mais sur ceux qui ne le seraient pas ou qui en auraient été soustraits; ce n'est donc pas un droit qu'on établit, c'est une propriété qu'on revendique.

Mais tout en se réservant la propriété des manuscrits, l'État en accorde la jouissance aux personnes qui auraient besoin d'y puiser des renseignements historiques ou administratifs. Cette jouissance n'est toutefois qu'une concession facultative, et qui peut, soit être refusée, soit être accompagnée de conditions ou de restrictions particulières.

On comprend qu'on ne saurait livrer au premier venu de pareils trésors. L'histoire de la France, l'honneur des personnages les plus illustres, les correspondances diplomatiques, les secrets d'État, sont rassemblés dans ces archives, non pour servir de pâture au scandale ou à la curiosité, mais pour éclairer l'avenir par les leçons du passé et dans le passé tout n'est pas bon à connaître. Sous un autre rapport, d'ailleurs, l'État, s'il ne peut prétendre réglementer la critique historique et subordonner l'autorisation, par exemple, à la condition de ne pas s'écarter de telle ou telle opinion reçue, est du moins tenu de faire en sorte que les chercheurs ne puissent pas dénaturer ou tronquer les documents qu'on les autorise à mettre au jour. L'autorisation est donc, comme on voit, une garantie

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